Chapitre 5.5 : L’ombre de Pixie

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Le quotidien de la bande était mouvementé et chaque journée avait son lot d’emmerdes. Mais parfois il leur arrivait de n’avoir rien à faire, alors par simple habitude ou par peur de se retrouver seuls, ils continuaient à trainer ensemble.

Ce soir ils n’avaient pas de but précis. Pas de dettes à récupérer, pas d’ennemis à traquer. Juste un instant rare où ils pouvaient exister sans la pression constante de la survie.

Altior, Rovan et Pixie marchaient sans but précis, traversant des quartiers où la violence s'était tue pour la nuit.

— J’ai une idée. déclara Pixie en se retournant d’un coup, un sourire malicieux sur le visage.

— Oh non. grogna Rovan.

Altior leva un sourcil.

— J’hésite entre ‘On va s’amuser’ et ‘On va finir en cavale’.

Pixie lui donna une tape sur l’épaule.

— On est toujours en cavale, alors autant profiter. Venez, j’vous emmène quelque part.

Elle les guida à travers un réseau de petites rues, que même Altior et Rovan n’avaient jamais traversés, jusqu’à une bâtisse abandonnée, perchée sur une hauteur qui surplombait la ville. De là-haut, ils pouvaient voir l’horizon artificiel, la lueur des néons de la Haute Ville qui filtraient à travers la brume toxique.

— Bienvenue chez moi. annonça-t-elle en sautant par une fenêtre cassée.

L’intérieur était poussiéreux, mais étrangement accueillant. Quelques couvertures et coussins étaient jetées sur le sol, une lanterne à moitié brisée diffusait une lumière tremblotante. Il y avait des dessins griffonnés sur les murs, des phrases écrites dans une écriture enfantine :

« Les étoiles existent même si on les voit pas. »

« Rien n’est réel, alors autant tout inventer. »

« Les bonbons au caramel sont meilleurs que ceux aux fruits »

Altior observa ces traces de solitude déguisée en liberté.

— C’est ici que tu vis ? demanda-t-il.

— Parfois. J’aime bien changer. Mais ouais, c’est mon coin préféré.

Rovan siffla.

— Ça a l’air d’un repaire de psychopathe.

— Merci Roro, je l’ai salis exprès pour toi , j’espère que tu apprécies le geste trouduc.

Ils s’installèrent, et pour une fois, la tension entre eux sembla s’apaiser. Pixie sortit une bouteille d’un recoin du mur et la fit tourner entre ses doigts.

— Alors, mes chers amis, ce soir, on joue à un jeu.

— Oh putain. murmura Rovan.

— Un jeu à la con ou un jeu dangereux ? demanda Altior.

— Les deux.

Elle prit une gorgée de la bouteille et tendit le goulot à Altior, qui hésita avant de boire à son tour.

— On joue à ‘Pose une question, bois si tu veux pas répondre’.

Rovan roula des yeux, mais prit la bouteille quand elle lui tendit.

— Ok, mais j’te préviens, si tu poses une question trop débile, j’te fous une droite.

Pixie éclata de rire.

La nuit s’étira dans des échanges légers, des questions stupides, comme « tu préfères manger un rat vivant ou un humain mort » ou des moqueries entre Pixie et Rovan. Mais à un moment, Altior décida de poser une vraie question.

— Pixie… c’était comment, avant ?

Elle le regarda, et son sourire s’effaça légèrement.

— Avant quoi ?

— Avant la Basse Ville. Avant que tu sois… toi.

Elle resta silencieuse une seconde, puis haussa les épaules.

— C’est pas intéressant. Elle but une longue gorgée.

— Donc c’est pire que ce que tu veux bien admettre.

Elle lui lança un regard en biais, un brin amusé.

— T’as pas encore compris que je suis un mystère, Alti ?

Il haussa les épaules.

— Tout le monde finit par se trahir d’une façon ou d’une autre.

Pixie se figea une fraction de seconde, mais éclata de rire avant de se lever.

— Bon, assez de philosophie, moi j’vais dormir.

Elle disparut dans une pièce à l’arrière.

Altior, lui, ne bougea pas, fixant un point invisible devant lui.

Rovan l’observa du coin de l’œil.

— Tu t’attaches trop à elle.

— Elle est différente.

— Elle est un problème.

Altior ne répondit pas.

Après que Rovan soit partis pisser et n’en soit jamais revenus car endormis le « machin » entre les mains, Altior de son côté avait les yeux bien ouvers, il réfléchissait à cette soirée, à sa bande. Quelque chose chez Pixie l’intriguait, une dissonance dans son comportement, comme si sa folie cachait quelque chose de plus profond.

À un moment, il se leva pour aller prendre le peu d’air qu’offrait les hauteurs de la basse-ville. En passant devant l’arrière-salle, la porte était entrebâillée.

Il ne voulait pas être un voyeur. Mais ce qu’il vit l’arrêta net.

Pixie était endormie, à moitié recouverte d’un drap.

Et son dos… Son dos était couvert de cictatrices, tellement que même Altior eut des frissons dans le dos. Certaines étaient très vielles et certaines dataient d’à peine 1 semaine.

Altior connaissait ces vielles cicatrices. Il les voyait dans ses cauchemars chaque nuit.

Les stries profondes, les marques brûlées, les traces violacées d’incisions trop nettes pour être naturelles. Ces mêmes stigmates qui recouvraient les corps sans vie des bébés dans les usines de X.

La chair arrachée par des seringues. Les plaies laissées par des machines d’extraction.

Pixie n’était pas simplement une survivante de la Basse Ville.

Elle était une miraculée du X.

Un bébé qui aurait dû être broyé, vidé, puis jeté avec les autres déchets humains.

Mais elle avait survécu.

Altior sentit une rage sourde monter en lui.

Combien de temps était-elle restée enfermée dans une cage, son corps pompé de force pour nourrir l’avidité des riches ? Combien de fois avait-elle frôlé la mort avant de pouvoir s’enfuir ?

Soudain, tout s’éclaira.

Son exubérance, sa folie, son détachement vis-à-vis du passé. Son rire incontrôlable devant l’horreur. Sa façon de ne jamais rester au même endroit, d’agir comme si demain n’existait pas.

Pixie n’avait pas survécu à son enfer.

Elle vivait toujours dedans. Qui sait comment elle a pu survivre ? Qui sait ce qu’elle a du traverser pour rester en vie jusqu’ici ? Une chose est sûre, à la différence d’Altior, elle sa tragédie a débuté dès sa naissance.

Il recula doucement et retourna s’asseoir, le regard perdu dans le vide.

Quand Pixie réapparut le matin, elle était égale à elle-même. Sautillante, moqueuse, insouciante.

— Bien dormi, les mecs ?

Altior la regarda et lui répondit avec un sourire remplis de tristesse et de compassion :

— Oui et toi Pix ?
Elle le regarda de haut en bas.
— Je ne sais pas à quoi tu joues, mais tu me dégoutes.

Rovan grogna.

— "Moi j’me suis réveillé avec ton pied dans la gueule, alors non ça va pas."

Elle éclata de rire.

Mais Altior, lui, ne rit pas.

Il regarda Pixie différemment, ce matin-là.

Avec un respect silencieux.

Et une promesse qu’il ne formula jamais :

Tant que je serai là, personne ne te touchera plus jamais.

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