Chapitre 7 : La dernière lumière de la ville

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Altior marchait dans la nuit, son pas mécanique et lourd résonnant sur les pavés humides. Ses bottes soulevaient des flaques d’eau sale, des restes de pluie ou de sang, il ne savait plus trop. Il avançait sans vraiment savoir pourquoi. L’instinct, peut-être. Une sensation désagréable, une ombre dans son esprit qui lui soufflait que quelque chose n’allait pas. Il avait cette foutue impression d’avoir oublié quelque chose, d’avoir tourné le dos à un détail important, une faille qu’il aurait dû voir venir.

Il poussa la porte rouillée du bâtiment délabré qui servait de repaire à Pixie. L’endroit était toujours bordélique, envahi de bric-à-brac volé dans la ville, d’objets insignifiants qu’elle collectionnait pour une raison qu’elle seule connaissait. Des peluches abîmées, des jouets cassés, des morceaux de verre coloré qu’elle accrochait aux fenêtres pour faire semblant d’avoir un vitrail. Pixie aimait l’idée d’une église, d’un sanctuaire où personne ne pourrait venir la faire chier. C’était sa manière d’avoir un chez-soi.

Mais ce soir, l’endroit était trop calme.

Une odeur métallique flottait dans l’air, et immédiatement, le corps d’Altior se raidit.

Il y avait du sang.

Il le sentit avant même de le voir. Cette odeur, il la connaissait par cœur. Le X, la sueur, la crasse... et le sang. Toujours le sang. Il resta figé un instant, son souffle suspendu, incapable de bouger. Ce n’était pas possible. Pas elle. Pas maintenant. Pas comme ça.

Mais ses jambes avancèrent toutes seules.

Et là, dans l’ombre d’un mur couvert de graffitis, à moitié allongée contre le sol poussiéreux, Pixie était là.

Morte.

Un trou noir en plein front, une balle unique, propre, clinique. Pas de douleur. Pas de lutte. Juste une vie éteinte d’un simple geste.

Tout s’effondra.

Le monde, la logique, le bruit. Tout.

Altior sentit son cœur cogner brutalement contre sa cage thoracique, une pulsation désordonnée qui lui vrillait les tempes. Ses doigts tremblèrent sans qu’il ne puisse les contrôler, et il dut s’agripper au mur pour ne pas tomber.

Il voulut parler. Dire son nom. Mais aucun son ne sortit.

Il s’agenouilla, lentement, mécaniquement, comme si son corps n’était plus qu’une enveloppe vide. Son regard glissa sur le visage de Pixie, son air figé dans un dernier sourire, ce putain de sourire qu’elle gardait toujours, même dans la merde la plus noire. Comme si tout n’était qu’un grand jeu, une vaste blague dont elle seule connaissait la chute.

Mais cette fois, elle ne bougerait plus.

Il posa une main contre son bras, espérant un miracle, une chaleur, un souffle. Mais il n’y avait rien.

Rien.

Autour d’elle, quelques objets éparpillés sur le sol. Un vieux carnet, un stylo à moitié vide. Il tendit la main, lentement, et ouvrit la première page. Son regard s’accrocha aux mots griffonnés dans l’urgence, écrits d’une écriture chaotique, désordonnée, mais encore imprégnée de cette foutue énergie qui la caractérisait tant.

“J’espère qu’un jour on partira d’ici avec Altior.”

Il sentit quelque chose se briser à l’intérieur de lui. Une fracture nette, irréversible.

Ses yeux coururent sur les pages suivantes, à la recherche d’autres morceaux d’elle, d’autres pensées, d’autres morceaux de vie laissés derrière.

“J’aime bien quand on marche sans but. Comme si on était libres. Comme si on pouvait juste... disparaître.”

“Roro est chiant. Mais je crois qu’il est triste.”

“Altior a toujours l’air en colère. J’aimerais bien lui voler un peu de cette colère. Peut-être qu’il serait plus léger, et moi moins invisible.”

Il tourna une dernière page.

“Il me fait oublier toutes mes cicatrices.”

Les mots dansaient sous ses yeux, flous, irréels.

Un grondement s’échappa de sa gorge, un bruit inhumain, comme si quelque chose de profond, de viscéral, venait d’être arraché de son âme. Sa gorge brûlait, son souffle était erratique, son corps secoué de spasmes qu’il ne comprenait pas.

Ce n’était pas une mort brutale. C’était une putain de trahison.

Quelqu’un l’avait trouvée. Quelqu’un l’avait tuée.

Quelqu’un l’avait prise à lui.

Et il savait déjà qui.

Rovan.

L’information s’imposa à lui avec une évidence brutale, comme une claque en pleine gueule.

La rage, pure et brûlante, explosa en lui. Il jeta le carnet à travers la pièce, l’envoyant percuter une étagère déjà branlante qui s’écroula dans un bruit sourd. Son regard, brouillé par quelque chose qu’il refusait de reconnaître comme des larmes, tomba à nouveau sur Pixie.

Cette gamine.

Cette foutue gamine.

Celle qu’il avait promis de protéger.

Celle qui lui avait offert quelque chose de rare, une lumière dans cette merde.

Et maintenant, elle n’était plus qu’une silhouette froide et inerte dans cette pièce qui puait la mort.

Altior sentit son corps entier trembler. Ses poings se crispèrent, ses ongles s’enfonçant dans ses paumes jusqu’à la douleur. Sa mâchoire était tellement serrée qu’il sentit quelque chose craquer. Il suffoquait.

Son sang tapait contre ses tempes, son cœur cognait trop fort, trop vite.

Il ne pensa plus.

Il n’y avait plus que la haine.

Une haine pure, brute, animale.

Il allait retrouver Rovan.

Il allait lui arracher la putain de vie de ses propres mains.

Il allait le traquer, le coincer, le regarder dans les yeux avant de lui faire comprendre l’ampleur de sa putain d’erreur.

Il allait le briser.

Pas pour l’honneur. Pas pour un putain de code.

Pour elle.

Il inspira profondément, sa respiration tremblante, incontrôlable.

Puis il se leva, sans un regard en arrière.

Pixie ne reverrait plus jamais le soleil.

Mais Rovan, lui, allait prier pour ne jamais revoir l’aube.

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