Chapitre 8 : La traque du dernier traitre

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La ville était devenue un cimetière.

Les flammes rongeaient les restes de ce qui avait été la Basse Ville, noircissant les murs, projetant des ombres décharnées sur le sol crasseux. Chaque rue était jonchée de cadavres, des corps calcinés, mutilés, oubliés. Tout n’était plus qu’une spirale infernale de destruction.

Et au milieu de cette apocalypse, Altior avançait.

Il n’y avait plus rien d’autre que la haine.

Il marchait d’un pas lourd, méthodique, mécanique. Il ne cherchait plus à éviter les flaques de sang, il les traversait.

Les bruits de la guerre s’étaient éloignés. Il n’entendait plus que son propre souffle.

Un souffle profond, haché, trop rapide. Comme une machine déréglée, prête à imploser.

Rovan était quelque part.

Et Altior allait le trouver.

Il retourna la ville pour lui.

Il arpentait les ruelles comme un prédateur, les yeux vides, la rage en bandoulière. Chaque personne qu’il croisait devenait une proie potentielle.

Un gamin des rues eut le malheur de fuir en croisant son regard.

Altior l’attrapa par le col et le plaqua contre un mur, si violemment qu’il entendit le souffle du gamin s’échapper dans un hoquet de terreur.

— Rovan. Où. Il. Est.

— Je… Je sais pas, je… !

Le coup partit tout seul. Le crâne du gamin heurta la pierre derrière lui avec un bruit sourd.

Altior le lâcha.

Le corps s’affaissa sur le sol, inconscient.

Il n’avait même pas réalisé qu’il avait frappé.

Il ne ressentait plus rien.

Un homme plus âgé, un ancien combattant aux traits marqués, tenta de négocier. Il parlait de fraternité, de la guerre qui devait cesser, du fait qu’Altior avait mieux à faire que de traquer un autre homme.

Il se retrouva la mâchoire éclatée en une fraction de seconde.

Altior n’attendait plus.

Il broyait.

Il détruisait chaque obstacle sur son chemin, méthodique, froid, implacable.

À chaque pas, à chaque mot, il brisait.

Puis, il eut l’information.

L’un des Cafards, un jeune trop téméraire, eut l’idiotie de cracher un indice entre deux insultes.

— Si t’es pressé, va voir près de l’ancienne fabrique, enfoiré.

Le ricanement se transforma en gargouillis quand Altior enfonça la lame de son couteau dans sa gorge.

Il retira l’arme sans un mot.

Le corps tomba mollement à ses pieds.

L’ancienne fabrique.

Il savait où c’était.

Et cette fois, ce n’était plus qu’une question de minutes.

Il arriva comme un spectre.

L’endroit était plongé dans la pénombre, l’odeur du X flottant dans l’air, mêlée à celle du métal chaud et de la moisissure.

À l’intérieur, trois hommes gardaient la pièce principale.

Rovan était là.

Assis à une table en bois, une bouteille de mauvais alcool à moitié vide devant lui, l’air épuisé.

Il parlait avec ses hommes, les voix basses, trop calmes.

Ils ne l’avaient pas entendu arriver.

Altior posa lentement une main sur son couteau.

Puis il frappa.

Le premier ne vit rien venir.

Altior lui trancha la gorge dans un mouvement fluide, propre, rapide.

Le deuxième eut juste le temps de lever son arme avant qu’Altior ne lui enfonce son couteau entre les côtes. Il hurla, un cri étranglé, avant qu’Altior ne l’achève d’un coup sec dans la tempe.

Le troisième tenta de fuir.

Altior lui explosa le genou d’un coup de pied. L’homme s’effondra en hurlant, se tordant de douleur.

Il leva les yeux vers Altior, le regard suppliant.

Altior n’hésita pas.

Il posa son talon sur son crâne… et appuya.

Le bruit de l’os brisé résonna dans toute la pièce.

Un silence total s’abattit.

Rovan n’avait pas bougé.

Il était resté là, figé.

Son regard glissa lentement sur le carnage.

Il poussa un soupir.

— Fallait que tu viennes.

Sa voix était rauque, fatiguée. Sans peur.

Altior ne répondit pas.

Il jeta son couteau.

Il n’en avait pas besoin.

Il fit un pas en avant.

Puis un autre.

Rovan se leva.

Il le regarda en face. Calme.

— Tu veux savoir pourquoi, c’est ça ?

Altior ne bougea pas.

Rovan sourit tristement.

— Parce que je crois en quelque chose. Parce que toi, t’es juste une bête enragée.

Il n’ajouta rien d’autre.

Il ouvrit les bras.

— Vas-y.

Altior ne réfléchit pas.

Il cogna.

Le premier coup brisa la mâchoire de Rovan.

Un bruit sec, brutal, suivi immédiatement par un craquement dans la propre main d’Altior.

La douleur explosa dans ses nerfs, mais il s’en foutait.

Il continua.

Encore.

Encore.

Chaque coup résonnait comme un coup de tonnerre, les os craquant sous la puissance des impacts.

Le sang jaillissait, éclaboussant le sol, les murs, les deux hommes.

Rovan tenta de riposter, une maigre tentative.

Altior l’attrapa par la gorge et le projeta contre le mur.

Rovan toussa du sang, s’effondra au sol.

Altior s’agenouilla au-dessus de lui.

Il leva le poing… et l’abattit.

Encore.

Encore.

Les gémissements de Rovan s’étouffèrent rapidement.

Altior continua.

Il n’y avait plus d’homme sous ses poings.

Juste une masse informe.

Et pourtant… il continua.

Jusqu’à ce que sa propre main ne soit plus qu’un amas de chair brisée et de sang.

Jusqu’à ce qu’il ne puisse plus respirer.

Il serra les dents.

Il n’avait plus de mots.

Plus rien à dire.

Alors il prit la pierre.

Une simple pierre, prise au hasard sur le sol sale de la Basse Ville.

Et il l’abattit sur le crâne de Rovan.

Un coup.

Puis deux.

Puis trois.

Il ne s’arrêta pas.

Il ne pouvait pas s’arrêter.

Il frappa encore, et encore, et encore.

Même quand Rovan ne bougea plus.

Même quand son visage n’était plus qu’un tas informe de chair et d’os brisés.

Même quand son sang éclaboussait le sol, ses mains, ses vêtements.

Même quand il ne restait plus rien.

Puis, lentement… il laissa tomber la pierre.

Autour de lui, le sol était maculé de sang. Son souffle était lourd, irrégulier, vibrant d’un mélange de fatigue et de rage encore inassouvie. Il restait là, debout au-dessus du cadavre de Rovan, le regard vide, les poings toujours serrés, comme si son corps refusait d’accepter que tout était terminé. Ses muscles tremblaient sous l’effort, la douleur de sa main brisée commençait enfin à percer le voile de l’adrénaline, mais il n’y prêtait même pas attention.

Il baissa lentement les yeux.

Ce qui restait du visage de Rovan n’avait plus rien d’humain. Juste une masse informe de chair broyée et d’os fracassés, une bouillie rougeâtre dont l’odeur métallique flottait dans l’air. Pourtant, Altior ne ressentait aucune satisfaction, aucune délivrance. Il avait cru qu’en le tuant, il apaiserait ce gouffre en lui, qu’il mettrait un terme à quelque chose. Mais il ne ressentait que le vide. Un abîme sans fond qui le dévorait de l’intérieur.

Il inspira profondément, mais même l’air de la Basse Ville semblait vicié, lourd, étouffant. Ce monde était pourri, gangrené, sans espoir. Il avait brûlé ses dernières attaches, laissé derrière lui tout ce qui pouvait encore avoir un sens. Pixie était morte. Brenn était mort. Tout était mort.

Et pourtant, il était toujours là.

Il se redressa, essuyant d’un revers de main le sang qui dégoulinait sur son visage. Ses vêtements étaient trempés d’hémoglobine, collant à sa peau comme une seconde couche maudite qu’il ne pourrait jamais retirer. D’un geste mécanique, il recula d’un pas, observant une dernière fois le cadavre étendu à ses pieds.

Rovan était parti.

Mais la haine, elle, était toujours là.

Une brise s’engouffra dans la pièce, soulevant la poussière et les cendres qui flottaient dans l’air. Il avait l’impression d’être un fantôme. Plus rien ne le rattachait à cette ville en ruines, à cette guerre absurde qui avait tout détruit. Il n’y avait plus rien à protéger, plus d’amis, plus de cause, plus de raison de rester.

Il ferma les yeux, juste une seconde.

Un seul endroit restait à atteindre. Un dernier pas à faire.

Il ouvrit la porte et sortit, laissant derrière lui le cadavre encore chaud de celui qui, autrefois, avait été son frère d’armes. Sans un regard en arrière, il s’éloigna dans la nuit, son corps portant les cicatrices de sa haine, son esprit n’étant plus qu’un désert aride où il ne restait plus rien d’autre que le désir d’en finir.

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