Point de vue : Alex

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Alex savait qu’il avait atteint un point de non-retour.

Il était resté trop longtemps. Chaque jour sous couverture avait effacé un peu plus la frontière entre son rôle et ce qu’il était devenu. Mais il était toujours là, assis derrière le volant, à fixer les gars qui transportaient une caisse de l’autre côté du pare-brise. Diego, lui, fumait devant l’entrepôt dans cette foutue nonchalance, témoin d’un contrôle absolu. Son contrôle.

Alex inspira lentement. Il n'avait rien à craindre. La transaction allait avoir lieu, Morel attendait son signal. Il ne restait plus qu’à jouer sa partition jusqu’au bout.

Un claquement de portière.

Son coeur sauta d’un bond mais il n’en montra rien. Diego s’installa à côté de lui, la cigarette coincée entre ses doigts. L’odeur de tabac envahit l’habitacle, une odeur trop familière, rassurante. C'était absurde :

— Mec, t’as une sale gueule.

Alex cligna des yeux. Un test ? Une remarque en l’air ? Une seconde de flottement avant de reprendre contenance :

— Juste crevé.

C’était crédible. Vrai, même. Trois jours sans dormir, trop de pression, trop de variables à gérer et cette tension qui lui broyait les nerfs. Diego tapota sa cigarette contre le rebord de la fenêtre, un geste en apparence anodin. Pourtant, Alex connaissait sa manière de fonctionner. Rien n’était jamais anodin avec lui.

— T’as toujours l’air crevé, ces derniers temps.

Alex sentit un frisson lui remonter l’échine, qu’il étouffa aussitôt. C’était une remarque. Rien d’alarmant. Il détourna les yeux, fixant un point au hasard sur le tableau de bord et Diego renchéris encore :

— Tu me caches quelque chose ?

Là, il y avait un piège. Mais Alex avait appris à les éviter. Il en avait vu d’autres :

— Non.

Il avait répondu sans hésitation. Sûr de lui. Parfait. Diego ricana doucement :

— T’es pas doué pour mentir.

Si. Il l’était. Il l’avait été pendant quatre ans. Il l’était encore. Alors pourquoi cette phrase sonnait-elle comme une condamnation ? Il se surpris à constater que ses mains tremblaient, à peine. Diego n'avait rien vu. Son oreillette choisi cet instant pour grésiller :

“Alex.”

La voix de Morel. Alex se raidit, la nausée au bord des lèvres. Il ne pouvait pas répondre, pas quand Diego le fixait comme ça.

"Alex, tu me reçois ?"

Diego le regardait toujours, un sourire aux lèvres, une lueur qui lui serra la gorge et qui lui hurlait qu’il savait. Depuis combien de temps ? À quel moment l’équilibre avait-il basculé sans qu’il s’en rende compte ? Il posa sa main sur son épaule. Un contact léger. Trop léger.

— Détends-toi, mec. Y a que nous deux ici.

“Que nous deux”. Alex manqua d’air.

Soudain, un mouvement derrière Diego. Des silhouettes, discrètes, fondues dans l’obscurité, se rapprochaient de l’entrepôt. Morel et son unité. Diego ne se retourna pas. Il ne voyait rien. Il ne savait pas. Alex sentit son souffle se bloquer. Quelque chose clochait. Un détail qu’il aurait dû réaliser plus tôt.

Diego n’avait jamais regardé l'entrepot, ni avant, ni maintenant que la transaction devenait imminente. Il n'avait pas l'intention d'assister à l'échange. A la place, il était resté là dans cette voiture, à lui faire la conversation.

Non.

Non.

Non.

Alex compris trop tard ; il n'y avait jamais eu de transaction.

L'air implosa. L'onde de choc le projeta violemment contre la portière. L'odeur de brûlé vrilla ses poumons. Lorsqu'il rouvrit les yeux, le feu dévorait l’entrée de l’entrepôt. Il écarquilla ses pupilles, figé sur le carnage, les cris, les corps, le sang, l’unité de Morel… Morel.

Sa main tremblante chercha la poignée de la portière. Il l’ouvrit brutalement. L’air extérieur s’engouffra, chargé de cendres et de poussière. Il balaya la scène du regard, cherchant une silhouette familière parmi les décombres. Il le vit enfin. Morel était en vie.

Le soulagement le transperça, violent, brûlant. Il voulut avancer, le rejoindre pour quitter ce monde atroce le plus vite possible quand une main se referma sur son poignet et le stoppa. Une poigne de fer. Alex tourna lentement la tête. Diego souriait toujours. Mais cette fois, il n’y avait plus rien de léger. Plus rien d’amusé. Une seule certitude glaciale :

— On a des choses à se dire, Alex. Beaucoup de choses

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