Distraction
Le lendemain, soucieux de tourner son attention vers un autre sujet, Cédric chercha à en apprendre un peu plus sur l’existence du mystérieux dôme. Ce soir-là, Philippe s’était attardé sur ses dossiers au point d’en oublier le repas familial. Son fils entrouvrit doucement la porte de son bureau, l’observant avant d’entrer. La ride du lion s’imprimait de plus en plus entre les sourcils du baron et ses yeux étaient fixés sur l’écran de son ordinateur. Son fils s’apprêtait à refermer délicatement la porte lorsque son père lui fit signe d’entrer.
Cédric dérangeait rarement son père pendant son travail mais, depuis l’accident, il semblait plus à l’écoute. Ne voulant cependant pas le déranger trop longtemps, il aborda directement son sujet de préoccupation.
— Père, vous m’avez récemment parlé d’un dôme protégeant notre cité. Pourrait-il y avoir un lien entre ce qui nous est arrivé et quelque chose sous la mer ?
Le baron hésita. Il aurait aimé partager certaines difficultés actuelles avec lui et Cédric ne semblait pas avoir ébruité les premières informations divulguées. Mais, d’un autre côté, la suite de l’histoire était un secret gardé par un très petit nombre d’habitants. Son fils avait vu la mort en face, sa question était légitime.
Partagé entre des arguments contraires, le professeur finit par lever une nouvelle partie du voile de mystère qui protégeait les lieux.
— Tu sais que notre ile est une réserve naturelle. De nombreuses espèces marines en voie de disparition vivent près de nos côtes. Il y a une raison à cela...
Ludivine fit irruption dans le bureau à cet instant. N’ayant pas vu son père de la soirée, elle avait suivi son frère et, ne le voyant pas sortir suffisamment vite à son goût, elle était rentrée. Philippe la prit un moment sur ses genoux, le temps de lui donner un câlin avant son couché et d’essayer de terminer plus tôt la prochaine fois. Sa présence agaçait Cédric et les quelques minutes d’interruption lui parurent une éternité. A peine sortie, le bruit de la course de sa sœur dans le couloir leur indiqua qu’ils pouvaient poursuivre leur conversation sans risque.
- Le dôme produit un champ magnétique qui attire toutes les espèces de siréniens. Je ne pense pas qu’il y en ait encore d'autres ailleurs sur cette terre.
La préservation de la nature n’était pas une priorité pour le jeune homme. Au contraire, les mammifères marins limitant la navigation et ses possibilités de sorties étaient perçu comme une contrainte. Sachant que son attitude chagrinait ses parents, il préféra recentrer immédiatement la conversation sur sa situation.
— Et ce champ magnétique pourrait-il être à l’origine de la vague carrée ?
— J’ai questionné Tr.., la personne qui surveille cette faune m’a affirmé qu’il n’y avait pas de lien. Il s’agissait bien d’un phénomène imprévisible, du moins d’après ses sources.
— Qui est-ce ? J’aimerais pouvoir lui parler moi-même.
Le ton revendicateur de son fils ne plût pas au baron. Pourtant, il devait poursuivre les explications entamées. Alors il se tût pendant un instant, retirant ses lunettes le temps de les nettoyer, geste qu’il utilisait quand son fils se montrait trop impatient. Cédric s’approcha un peu plus près de lui pendant qu’il cherchait ses mots.
— Il est le plus souvent en mer et, lorsqu’il vient sur terre, il essaie de passer inaperçu.
— Je ne comprends pas.
— Disons que c’est un personnage particulier qui n’aime pas se mêler à la population.
— Il vit en ermite ! Pourquoi ?
—Normalement, tu ne devrais être au courant de ce secret que si tu décides de revenir sur l’ile après tes études pour me succéder. Mais ton accident a changé la donne. Tu ne t’es jamais demandé pourquoi nous n’avions jamais de visiteurs sur notre île ?
Cédric avait toujours vécu sur le domaine racheté par son grand-père lorsqu’il était tombé amoureux d’une autochtone. Son environnement était sa seule référence, celle correspondant à la normalité. Quant aux familles des scientifiques arrivant sur l'île, c’étaient des couples sans enfants à leur arrivée. Puis, certains d’entre eux décidaient de s’installer définitivement à Pescarine et d’y fonder une famille. Face au regard perplexe de son fils, le professeur répondit lui-même à sa question.
- Si nous n’avons pas de touristes, c’est tout simplement parce que le dôme nous rend aussi invisible des radars des satellites. Personne ne peut nous localiser.
- Incroyable, s’exclama Cédric. Et pourquoi ?
- Les lamantins vivent près des côtes où ils peuvent trouver la végétation dont ils ont besoin pour se nourrir. Ils pourraient être perturbés par l’activité touristique. C’était une des conditions au rachat de l’ile par ton grand-père.
Philippe n’en dit pas plus, mais leur échange mystérieux détourna temporairement l’attention de Cédric sans, pour autant, apaiser le tumulte en lui. Conscient du traumatisme subit par son fils, le baron envisageait cependant de discuter avec le gardien des mers afin d’organiser une rencontre au manoir.
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