Le mardi, la journée se terminait avec le cours d’histoire donné par Hortense. Adrien était absent et, pour une fois, Solène avait un peu trainé pour ranger son sac avant de quitter la classe. L’enseignante s’approcha d’elle pour la questionner.

• Comment va Adrien, Solène ? Il n'avait pas l'air bien ces derniers temps.
• Ça va, elle devrait rentrer demain.
• Elle ?
• Oui. Elle souhaite qu’on l'appelle Alicia maintenant.

Cédric restait souvent pour échanger avec sa tante à la fin de son cours. Cette fois, il avait simplement espéré prolonger la discussion de vendredi dernier avec sa tante. Il avait tendu l’oreille pour entendre leur conversation et il en restait bouche bée.

• Ah, une étape de plus alors. Et il vit bien sa transition ? poursuivit ma tante après une hésitation.
• Certains de ses amis l'ont délaissé, répondit Solène en lançant un regard assassin en direction de Cédric.

Le jeune homme préféra ignorer la pique, continuant à ranger son matériel en maintenant un calme apparent, comme s’il ne l’avait pas entendue. Malheureusement pour lui, il avait terminé et cherchait un prétexte pour rester encore un peu dans les lieux. Alors il se rassit simplement, sortant son smartphone pour répondre à une notification imaginaire.

• - Cela doit être difficile pour lui... elle, bafouilla Hortense. C’est un beau prénom, Alicia.

Solène sembla tout à coup pressée et elle s’empressa de quitter la classe, mettant fin à ce début d’échange. Cédric ne comprenait pas pourquoi cette peste venait de reconnaître le changement de genre d’Adrien, et sa tante l’avait suivie en l’appelant « elle ».

Sous le choc, Cédric s’apprêta à sortir à son tour lorsque Hortense le retint par le bras et lui chuchota.

• Savais-tu qu’il s’était choisi un nouveau prénom ?
• Non, j’évite certains sujets avec lui. Et nous sommes souvent en groupe...
• Ce changement d’apparence ne doit pas être facile pour lui. Je suis contente qu’il puisse compter sur l’aide de Solène.
• Comment cette sorcière peut-elle rester proche de son ancien crush ? rugit Cédric. Comme si elle ne se sentait pas trahie d’avoir été en couple avec quelqu’un qui prétend maintenant être une femme !

Il ressentait comme une infidélité. Adrien s’était choisi un nouveau prénom et il n’était pas au courant, passant encore une fois après Solène. Sa colère montait, il se reprochait d’avoir laissé cette fille les éloigner.

• Peut-être voit-elle la personne derrière les apparences... Tu devrais essayer, Cédric.

Face au mutisme soudain de son neveu, elle changea de sujet.

• Tu vas bientôt rencontrer le roi Triton. Il a entendu ton appel. Cela va peut-être t’aider à modifier ton regard sur la situation.
• Le roi Triton, de quoi parles-tu ?
• Du gardien des mers. Je pensais que tu avais deviné lorsque tu l’as interpelé face à l’océan.

Ses yeux d’un brun très clair virèrent à l’ambre, couleur atypique se manifestant dans son regard à chaque fois qu’elle se sentait en faute. Et même si Cédric n’était habituellement pas très observateur, l’éclat soudain à l’évocation du monde mystérieux était flagrant.

• Tu connais les secrets du dôme ? s’étonna le jeune homme maintenant complètement distrait du changement de prénom d’Adrien.
• Eh, tous les membres de la famille sont au courant. La tradition voudrait que tu le rencontres seulement si tu décides de revenir sur l’île après tes études, mais mon frère a réussi à le convaincre de t’accorder une entrevue. Philippe s’inquiète pour toi et Adrien depuis votre naufrage.

Cédric essaya de mettre de l’ordre dans ses idées, comment était-il possible que sa tante connaisse ce secret alors qu’elle ne faisait pas partie de la mission scientifique du professeur d’Arpige. Il se souvint du baron lui parlant des conditions du rachat de l’île par le grand-père de Cédric. Le frère et la sœur avaient dû en être informé en même temps. Cette hypothèse lui convenant et, n’aimant pas perdre son temps en tergiversation, Cédric s’enquit de la date de cette entrevue.

• Demain, peut-être, cela dépendra de la météo.
• Quoi, la météo ? Il fait toujours beau ici.
• J’espère que mon frère ne m’en voudra pas de t’en avoir parlé, tiqua-t-elle. Il attendait la confirmation du rendez-vous pour t’en informer.

La bombe lancée par Ségolène les avait perturbés tous les deux. Pourtant, Cédric avait eu l’impression que sa tante était contente qu’il puisse découvrir ce secret avant son départ pour ses études l’année suivante. Cédric insista donc, persuadé qu’Hortense n’attendait que cela mais le visage de sa tante se ferma, marquant les petites ridules signifiant qu’elle était contrariée d’en avoir peut-être déjà trop dit. Cette vieille fille d’habitude si joviale avait perdu de son éclat. Elle souleva son volumineux sac en toile fuchsia avant de sortir de la classe, attendant Cédric pour pouvoir la fermer à clé avant de partir. Et au moment où il passa à côté d’elle il entendit un léger murmure, comme si elle se parlait à elle-même.

• Pourquoi ne savent-ils plus qu’il y a toujours une part de vérité dans les fables racontées aux enfants...