Premier entrainement
— Dix minutes, c’est pas mal pour un premier entrainement. D’ici peu, tu pourras probablement atteindre vingt minutes d’autonomie comme moi, se réjouit Hortense.
Cédric pensait arriver le premier au bord de la piscine, mais sa tante l’attendait déjà sur place. Il en fut à peine surpris, devinant qu’elle avait reçu la même sommation cette nuit. Elle lui confirma qu'il s'agissait bien d'une communication télépathique avec Triton. Le roi l’avait désignée entraîner son neveu. Contrairement aux membres du peuple de la mer, leurs poumons étaient adaptés à l’air et Hortense était la mieux placée pour lui apprendre comment absorber l’oxygène dissous dans l’eau.
Le premier essai fut difficile, Cédric avait suffoqué, comme lors de sa noyade, mais cela devenait de moins en moins douloureux à chaque immersion.
— On peut s’arrêter maintenant ? questionna Cédric en haletant.
— Une pause. Avant d’être capable de descendre et remonter du royaume sous les mers, il te faudra augmenter ta capacité de filtrer l'eau par tes poumons. Mais on peut s’arrêter pour aujourd’hui.
— Et tu viendras avec moi ?
— Je t’accompagnerai, mais je t’attendrais dans le bateau. Le charme qui me protège n’agit pas dans l’eau et la transformation est douloureuse.
Hortense portait une salopette de natation. Elle exposait rarement ses jambes blanches au soleil, mais les rayons du matin étaient encore timides. Elle s’éloigna lorsque Cédric s’approcha du bord, comme si la moindre goutte d’eau pouvait la blesser.
— Dans mon rêve cette nuit, je me suis senti me noyer puis perdre connaissance jusqu’à ce que de l’oxygène abreuve à nouveau mon cerveau. C’était terrifiant, mais au moins. Ce matin, je me doutais que je pouvais respirer sous l’eau. Maintenant, je ne crains plus que l’eau remplisse mes poumons, mais c’est extrêmement désagréable.
— Ce n’était pas un rêve, tes souvenirs reviennent.
— J’ai en effet hésité entre rêve et souvenirs. Puis je t’ai retrouvée ici. C’est étrange…
Cédric s’enroula dans une serviette de bain avant de la rejoindre sur les transats. Sa tante semblait distraite, crispée.
— Raconte-moi ce qu’il y a de l’autre côté du dôme.
— La vie est toujours possible, mais difficile. Je n’y suis jamais allée de peur de me transformer encore un peu plus.
— Et que disent ceux qui ont voyagé ?
— La plupart ne reviennent pas, car ils ne peuvent pas retrouver la localisation exacte de l’île. Pour les étudiants partant pour leurs études, les retours peuvent se faire uniquement aux équinoxes. Cela correspond aux quelques jours pendant lesquels nous subissons de violentes tempêtes. Le dôme est affaibli et nos bateaux peuvent se diriger et les ramener chez eux.
— Je suis impatient de partir découvrir le monde.
— Ton père t’encouragera sans doute à passer au moins deux ou trois ans à l’étranger. Il espère que tu reviendras le seconder sur l’île ensuite.
— Peut-être. Mais pour le moment, ce qui m’intéresse c’est d’en connaitre un peu plus sur le peuple de la mer. Peuvent-ils sortir aussi du dôme ?
— Oui, en descendant suffisamment profondément dans l’océan, là où les fonds marins sont toujours calmes.
Hortense se détourna, fuyant cette conversation concernant ce peuple qu’elle craignait. Pourtant, Cédric avait d’autres questions et sa tante semblait être la personne la plus à même à lui répondre.
— Il y avait un jeune homme qui me ressemblait cette nuit. Lorsque j’ai repris connaissance, il a eu l’air surpris et il s’est transformé. Si ce n’était pas un rêve, qui est-ce ?
— Tu as probablement vu une sentinelle. À 16 ans, les jeunes doivent choisir s’ils veulent apparaître sous la forme d'une sentinelle et protéger les frontières du royaume ou être des explorateurs selon ce que les récits d’aventures appellent des sirènes.
— Oui, ces créatures magnifiques qui attirent les marins vers une mort certaine.
— Les sirènes chantent, mais ce ne sont pas forcément des femmes. Tu as peut-être remarqué le côté androgyne de Triton. Il accentue ses caractéristiques masculines et apparaît sous la forme d’un roi lorsqu'il vient nous voir. Probablement pour assoir son pouvoir dans nos sociétés patriarcales.
— Et pourtant, tous les marins parlent de femmes…
— Certaines sirènes se sont effectivement amusées avec les marins en découvrant leur attrait pour les longues chevelures. L’esprit humain achève la transformation en fonction de ce qu’il reconnait. Elles sont à l’origine des légendes. Mais la plupart restent discrètes et il y a autant de mâles que de femelles, pour autant qu’ils se différentient aussi ainsi.
Hortense venait de montrer les limites de ses connaissances concernant ce peuple mystérieux. Leur relation semblait être devenue purement protocolaire. Il avait cependant d’autres questions et il ne put s’empêcher d’ajouter.
— Et pourquoi cette sentinelle avait-elle mes traits ?
— C'était peut-être un de tes cousins. Il a dû accentuer la ressemblance pour guider Adrien vers toi.
— Et quand je l’ai vu, il s’est transformé…
— Il a sans doute été aussi surpris que toi.
— Et toi, Hortense, tu n’as pas eu l’envie de rencontrer cette partie de la famille ?
— Ce corps me faisait horreur. Et eux ne sont pas venus non plus.
Une ombre d’amertume barra soudain son visage. Un instant, Cédric eut l’impression qu’elle s’apprêtait à lui faire une autre révélation. Puis Hortense s’éloigna à la recherche d’une serviette de bain, la déposa au bord puis plongea. Lorsqu’il s’approcha de la piscine, Cédric remarqua ses mollets couverts d’écailles et ses pieds palmés. Elle nageait à grande vitesse tout en prenant garde de rester bien au fond. Après trois tours, sa tante revint et se hissa hors de l’eau.
— Ce corps me révulsait et je ne pouvais plus me regarder dans un miroir. J’ai eu la chance de pouvoir profiter des pouvoirs de mon grand-père pour me fondre dans la masse des villageois. J’imagine très bien ce que peut ressentir Alicia. Elle, elle ne peut pas cacher sa différence sous une longue jupe comme je le faisais jadis. Cela doit être très difficile pour elle.
Pendant que sa tante s’épongeait, Cédric commença à s’inquiéter de subir un jour les mêmes transformations qu’elle. Devrait-il porter en permanence des pantalons ? Aurait-il autant de dégoût pour son corps qu'Hortense ?
Il n’était plus sûr de rien si ce n’était qu’elle se trompait au sujet d’Adrien. Lui ne semblait pas vouloir cacher qui il pensait être, au contraire. Le destin venait de créer un nouveau lien entre eux. Même s’il n’était pas autorisé à révéler l’existence du peuple de la mer, il pouvait inviter Adrien au manoir et essayer de faire renaitre leur amitié.
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