Cédric se sent prêt
Cédric et son père commençaient à se créer une nouvelle habitude : prendre leurs petits déjeuners ensemble dans le bureau de Philippe pour discuter de la gouvernance de l’île et de la réserve. Le week-end, Charlotte aimait cuisiner et l’odeur prometteuse de ses petits pains encore chauds se mélangeait à merveille à celle du café.
— Je suis heureux de te voir t’investir dans ta future mission diplomatique, mon fils. Ta tante a malheureusement toujours refusé de rendre visite à nos étranges parents. Les liens entre nous se sont distendus au cours du temps, surtout après la disparition de ta grand-mère. Cette rencontre est l’occasion d’essayer d'améliorer l’entente entre nos deux peuples.
— Je serais votre émissaire, père. Les entraînements avec Hortense m’aident à maitriser mon don. Je me sens prêt pour cette entrevue.
Fort de ses nouvelles aptitudes, Cédric s’investissait avec enthousiasme dans cette tâche diplomatique. Le baron commençait à le traiter en adulte et il était enfin prêt à agir comme tel. Il profita de ce moment de partage à deux pour aborder l’épineux problème du secret qui lui pesait de plus en plus.
— Vous m’avez dit que seuls les membres de la famille et quelques rares scientifiques étaient au courant de l’existence du peuple de la mer, père.
— Oui, sauf Ludivine qui sera informée uniquement à la fin de ces études supérieures comme cela aurait été le cas pour toi si tu n’avais pas eu cet accident.
— Je comprends vos hésitations à me divulguer ce secret. J’espère que cela n’affectera pas mon prochain départ pour mes études.
— Non, ce serait un bon apprentissage pour toi. Nous vivons sous un dôme, nous ne sommes pas isolés du reste du monde. Tous les jeunes sont encouragés à partir au moins un an. Nous les laissons dans l’ignorance pour ne pas attirer des curieux sur nous. Je connais vos soirées un peu trop arrosées, le risque que vous divulguiez notre secret sous l’effet de l’alcool nous semble trop important.
Le professeur d’Arpige se servit une seconde tasse de café et en proposa une à son fils qui la refusa. Cédric avait pris l’habitude d’en boire une pour l’aider au réveil et accompagner son père, mais ensuite, il préférait souvent se remplir un bol de céréales.
— Et comment sélectionnez-vous les personnes qui seront mis au secret, père ?
— Ce sont mes plus proches collaborateurs, des pêcheurs, garde-côtes et scientifiques de la mission, triés en fonction de la confiance que je leur accorde. Tous susceptibles de croiser inopinément nos voisins.
— Je sais que vous aimeriez que je prenne votre relève. Pour cela, je devrais aussi m’entourer de personnes de confiance, comme vous. Pourrais-je en parler à Adrien ? Il est presque un qu’un frère, pour moi… ou une sœur maintenant.
À ces mots, Cédric revit Ludivine l’espionner, le suivre partout comme un petit chien rapporteur. Il chassa rapidement cette image avec les souvenirs de leurs jeux d’enfants, la connivence liant les deux amis lorsqu’il inventait de nouvelles bêtises et qu’Adrien l’aidait à les exécuter.
— Votre amitié a été mise à mal ces derniers mois, vous vous êtes beaucoup éloignés, s’inquiéta Philippe.
— Il est devenu très maigre et je crains pour sa santé. Je voudrais me racheter et lui montrer la confiance que j’ai en lui. Et cela lui changera un peu les idées.
— Je te comprends, répondit le professeur en enlevant ses lunettes pour les nettoyer. Je vais y réfléchir. Mais sache que je ne suis pas le seul à pouvoir décider des personnes pouvant être dans le secret. Il faudra aussi l’accord de Triton.
— Je suis prêt à le rencontrer et à lui faire directement ma demande, père.
— La patience est une vertu. Et tu ne connais pas tous les rouages délicats du jeu de la diplomatie. Montre-toi révérencieux, observe et, si le courant passe entre vous, tu pourras envisager cette requête pour un prochain entretien. Et moi, je réserve encore ma réponse.
Le baron clôtura la discussion avec quelques recommandations sur les us et coutumes du peuple de la mer. Même si Philippe n’avait jamais pu visiter le royaume sous-marin, il avait été initié par sa mère pendant la maladie de son père, avant de prendre sa suite. Il rappela encore une fois à son fils le grand âge de son arrière-grand-père et le respect qu’il lui devait. Cédric devait se mettre en contact avec lui et proposer une date pour l’entretien. Hortense l’accompagnerait en bateau jusqu’au lieu situé à la verticale de leur citée.
Au moment où Cédric s’apprêtait à sortir, Philippe l’interpella.
— N’oublie pas qu’une bonne entente avec nos voisins est primordiale. Les conditions de vie à l’extérieur sont de plus en plus défavorables, autant pour nous que pour eux.
Le baron retourna s’assoir devant son ordinateur, laissant son fils réfléchir seul à cette entrevue.
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