Les heures de la nuit s’égrainaient et le sommeil continuait à la fuir. Malgré son entrevue avec Anna, comme à chaque fois avant une nouvelle étape, son cerveau moulinait sans cesse à propos de son choix. Alicia se leva et se dirigea vers son bureau, elle tira une feuille blanche du tiroir du haut et, commença à gribouiller. Toute activité artistique l’aidait à faire le vide pendant qu’elle se rappelait leur entretien.

Comme à son habitude, Anna l’avait chaudement encouragé à franchir ce cap puis il lui avait parlé du regard de Solène lorsqu’elle l’avait vue en robe.

— J’ai eu l’impression, lorsque Solène m’a vue habillée en femme, que ses derniers espoirs pour notre couple s'envolaient. Elle s’est rendu compte que j’étais vraiment une fille et son regard sur moi a changé.

— Et, est-ce un problème pour toi ?

— Je pensais que non, mais il y a une partie de moi qui l’aime toujours. Et cela a laissé un vide en moi.

— Elle ne sera pas la seule à modifier la perception qu'elle a de toi. Les femmes et les hommes vont te voir différemment et leur attitude va changer, c’est normal.

— Certains me rejetteront sans doute, mais d’autres pourraient être attirés par moi. Je ne sais pas comment je réagirais alors…

Alicia avait laissé passer un long moment sans oser aborder sa préoccupation réelle. Le cabinet d’Anna était tout à coup devenu trop minimaliste. Elle aurait aimé occuper ses mains et son esprit avec des feutres comme en ce moment. Ces esquisses auraient probablement encore représenté, une espèce de poisson stylisé dans un environnement abstrait. Elle ne s’était jamais sentie attirée par les hommes auparavant, se l’étant peut-être tout simplement interdit. Lorsqu'elle avait tenté de le retrouver, elle avait crut voir Cédric venir vers elle et lui insuffler un peu de l’air de ses poumons lorsqu’elle avait commencé à perdre connaissance. Cédric n’y avait jamais fait allusion et il semblait même ne pas se souvenir de ce moment. La raison d’Alicia lui criait que le traumatisme de l’accident avait créé ces images de toute pièce. Cédric étant inanimé lorsqu’elle avait rouvert les yeux. Pourtant, ce souffle marin et le contact sur ses lèvres avaient libéré l’énergie féminine sommeillant en elle. Le bruit d’une voiture, proche de la fenêtre du cabinet d’Anna, lui fit réaliser que leur séance touchait bientôt à sa fin. Alicia préféra terminer sur un thème plus général.

— Vais-je être attiré par les hommes lorsque je ressemblerai à une vraie femme ?

— Qu’en penses-tu ? Est-ce possible ?

— Et si j’aimais les filles et que ma nouvelle apparence les éloignait toutes, comme Solène ?

— C’est possible aussi.

Alicia avait exprimé ses hésitations sur cette étape et Anna l’avait poussée à continuer. Pour la psychologue, c’était le meilleur moyen pour elle d'obtenir la réponse. Pour la première fois, Alicia se questionna sur la réelle neutralité de sa thérapeute.

Préférant terminer l'entretien par une note positive, Alicia raconta le temps de midi passé à la cafétéria de l’école avec Cédric et Solène, les efforts faits par chacun pour que leur relation se pacifie. Cédric n’était pas encore prêt à l’appeler Alicia, mais il progressait. Alicia avait eu l’impression que son ami voulait lui confier quelque chose, puis il s’était ravisé.

Selon Anna, Alicia devait d’abord comprendre qui elle était, le reste viendrait naturellement. À la fin de la séance, Anna l’avait convaincue de respecter son plan initial et de porter la robe pendant le spectacle du lendemain.

Était-ce réellement la seule possibilité pour Alicia de trouver les réponses à ses questions ?

Cette nuit, son subconscient la tenait éveillée.

Si Alicia avait su que le collègue d’Anna, avec lequel elle partageait son cabinet privé, l’avait mise en garde contre son attachement excessif pour sa patiente, peut-être aurait-elle agi différemment.