Dérive

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Au moment de sombrer, Alicia eut le réflexe de bloquer sa respiration. Entourée de cette eau, elle se sentit soudain oppressée, presque claustrophobe, et un sentiment de panique la tira de son engourdissement. Il ne lui restait que quelques secondes à vivre et le souvenir de son récent naufrage la submergea. Elle s’était battue pour être acceptée comme femme et elle n’était qu’au début de sa transition. Mais son histoire se terminait bien trop tôt. Désespérée par ce coup du sort, elle poussa un cri muet laissant s’échapper le peu d’air qui lui restait vers la surface. L’eau commençait à remplir ses poumons lorsqu’une voix inconnue sembla s’adresser directement à son âme.


« Il ne faudrait pas que cela devienne une habitude. »


Juste avant de perdre à nouveau connaissance, elle sentit une paire de bras l’agripper.



Un souffle marin lui caressa les lèvres et un spasme lui fit recracher l’eau entrée dans ses poumons. Elle sentit le contact froid de la pierre bien que son corps soit toujours à moitié plongé dans l’océan. Elle reconnut le brise-lames, et plus loin au niveau de la rive, les dunes du cap sud. Retrouvant peu à peu ses esprits, Alicia se rendit compte qu’elle se trouvait à deux kilomètres de son point de départ. Avait-elle tant dérivé ?

« Moins que tu ne le penses. »

Elle sursauta. Toujours cette voix qui communiquait directement avec ses pensées. Elle porta son regard tout autour d’elle, mais ne vit personne.

- Où êtes-vous ?

« Je vais faire surface, n’aie pas peur. »


Des cheveux nacrés commencèrent à apparaître à la surface, puis un front diaphane. Deux pupilles ambre la fixèrent ensuite. Alicia crut reconnaître le regard de celui qui l’avait sauvée la dernière fois. Mais ce n’était pas Cédric.


« Non, je ne suis pas Cédric, mais un de ses lointains cousins. Je m’appelle Dalgliel.».


Il continua sa remontée jusqu’à ce que son visage et ses épaules émergent. Bien qu’il eût les traits émaciés, sa ressemblance avec Cédric était frappante.


  • C’est donc toi qui m’as sauvée aussi la dernière fois !

Dalgliel continua à la fixer sans rien répondre. Il ouvrit légèrement une bouche prête à émettre un son qui ne vint pas.


  • Mais tu n’as pas dû me reconnaître, poursuivit Alicia avec une pointe de tristesse. J’ai bien changé depuis ce jour.

Dalgliel descendit à nouveau jusqu’à ce que ses deux oreilles soient à nouveau sous l’eau de manière à faciliter la transmission de ses ondes cérébrales.

« Si, je t’ai reconnue. La même douceur triste. Je peux te ressentir à des dizaines de mètres. Malheureusement, mes cordes vocales ne semblent pas encore suffisamment fortes pour me permettre de m’exprimer dans l’air ».

Alicia ne comprenait plus rien. Qui était cet étrange cousin qui ne semblait pas pouvoir s’exprimer que par télépathie ?

« Je ne devrais pas pouvoir communiquer avec toi, mais il y a un lien qui nous unit. Peut-être est-ce l’étrange onde féminine qui s’est propulsée hors de toi lorsque je me suis approché ? Tu es bien une femme dans ton monde ? ».

Bien que la conversation lui semblât de plus en plus étrange, un sentiment de bien-être l’envahi. Cet être étrange, serait-il le premier à pouvoir la voir, ou plutôt la ressentir, comme elle avait toujours été au fond d’elle ?

Sachant que, cette fois, il devrait lui effacer ses souvenirs, Dalgliel ne résista pas à l’envie de lui en dire un peu plus sur lui.

« Je suis un être aquatique, une espèce apparentée aux lamantins. Nous vivons autour de l’île et nous avons interdiction d’entrer en contact avec vous. Je surveillais la frontière entre nos deux peuples lorsque votre embarcation a sombré. J’aurai dû me focaliser sur l’héritier, mais ma curiosité m’a poussé vers toi. Je ne t’ai pas oubliée, mais toi, tu n’auras bientôt plus aucun souvenir de moi ».


Dalgliel remonta lentement vers elle, leurs visages s’approchèrent et Alicia sentit à nouveau la brise marine souffler sur ses lèvres. Immobile, Dalgliel retardait le moment où il disparaîtrait de la mémoire de cette troublante créature lorsqu’ils ressentirent tous les deux une onde. Immédiatement, Dalgliel s’immergea pour entendre le message d’un individu resté loin de la surface.


« On ne peut pas continuer ainsi. Ma petite fille ne peut pas rester prisonnière chez nous. Dis-lui de prévenir Philippe. Explique-lui puis rejoins moi ».


Alicia ne devrait donc pas l’oublier, mais peut-être n’acceptera-t-elle pas la créature qu’il est. Préférant ne pas croiser son regard lorsqu’elle ferait le lien entre lui et l’enlèvement de Ludivine, il préféra reste sous l’eau avant de lui transmettre un dernier message.


« Ludivine est avec sa grand-mère. Va au manoir et demande à Hortense. Elle sait. L’île est menacée. Il est temps que nos peuples se rencontrent. Nous vous attendrons au sous-sol de la base scientifique.».


Il s’éloigna en prenant soit de laisser apparaître une trace de son déplacement à la surface puis, lorsqu’il fut certain qu’elle avait identifié la direction dans laquelle il se dirigeait, il bondit à la manière des dauphins, exposant de la sorte sa queue de triton. Et il s’enfonça dans les profondeurs à la suite d’Eléonore.

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