Un récit confus
Toujours haletante, Alicia suivit Cédric jusqu’à la cuisine où attendaient ses parents. En la voyant dégoulinante, Charlotte se précipita vers elle.
- Que t’est-il arrivé, Alicia ? Tu vas bien ?
Elle lui désigna une chaise et fit signe à Cédric de s’apporter une serviette pour la sécher. Hortense lui apporta une de ses tisanes et le sucrier. Alicia ne se fit pas prier et piocha deux morceaux qu’elle plongea dans sa tasse. Le contact avec le liquide chaud l’apaisa un peu. Lorsqu’elle entendit le pas de Cédric approché, elle tenta une explication qui commençait à lui sembler de plus en plus improbable.
- Je sais où est Ludivine. Ou du moins, je pense savoir avec qui elle est en ce moment, rectifia-t-elle.
- Elle est tombée dans l’eau avec toi ? Elle va bien ? Où est-elle ? s’inquiéta Charlotte.
À ce moment, Cédric tendit une serviette à Alicia puis il se dirigea aux côtés de sa mère. Philippe les rejoignit tous les deux, attendant anxieusement des nouvelles de sa fille. Alicia hésitait. Son esprit, n’était-il pas embrouillé à la suite de cette seconde noyade ? La grand-mère de Cédric était décédée depuis plusieurs années, avait-elle mal compris les propos de Dalgliel ?
- J’ai rencontré le cousin de Cédric, c’est incroyable comme vous vous ressemblez, commença-t-elle en regardant Cédric.
Bien qu’étonné, Cédric semblait la croire. Elle n’avait donc pas rêvé.
- Normalement, il ne pouvait pas entrer en contact avec les habitants de Pescarine, déclara Philippe aussi surpris que son fils.
- Et moi, je n’avais pas le droit de te parler de lui, tonna Cédric. Pourquoi est-il rentré en contact avec toi ? Que s’est-il passé ?
Lors de leur rencontre, Alicia s’était douté que Dalgliel avait brisé un secret connu de la famille Arpige. Rassurée quant à la véracité du message à transmettre, elle préféra ne pas parler de l’accident. Elle avait besoin d’un peu de temps pour y voir plus claire. L’essentiel était de leur dire où était Ludivine, le baron devait sans doute aussi savoir où se cachait sa mère.
- Ludivine est avec sa grand-mère, en sécurité, précisa-t-elle pour rassurer madame Arpige.
À son étonnement, cette fois, le baron s'énerva.
- Mais que dis-tu, Alicia ? Ma mère est morte depuis longtemps…
Qu’elle rencontre un être mystérieux seulement à moitié humain ne semblait étonner personne. Mais leur grand-mère ne vivrait plus. Alicia avait senti une présence, mais elle ne l’avait pas vue.
- Dalgliel a dit : « Demande à Hortense, elle sait. »
Les regards se tournèrent vers Hortense qui blêmit.
- Maman est vivante ? lui demanda Philippe.
- Non. Non. Pas à ma connaissance du moins, balbutia-t-elle avant de se laisser tomber sur une chaise.
- Que sais-tu alors ?
- Rien, gémit-elle en se tournant vers Alicia. Et toi, comme as-tu fait pour communiquer avec Dalgliel ? Il parle maintenant ?
Les regards étaient à nouveau tournés vers Alicia et Hortense avait réactivé ses doutes concernant cette étrange rencontre.
- Il m’a dit que ses cordes vocales n’étaient pas encore suffisamment solides pour parler. Il a communiqué par télépathie.
- Mais ce n’est pas possible, s’exclama Philippe. Même moi, je ne les entends pas.
- Il avait une queue, comme une salamandre. Je n’ai pas rêvé ! Expliquez-moi.
Cédric, frustré du secret qu’il devait garder depuis trop longtemps, profita de l’état de sidération de ses parents pour lui résumer l’histoire de sa grand-mère.
- Tu es donc le fils d’une sirène et tu ne m’as jamais rien dit ! s’offusqua Alicia.
- Je ne le sais que depuis cet été. Et je n’étais pas autorisé à t’en parler. Cela fait partie de l’accord de cohabitation entre nos deux peuples. Je voulais d’ailleurs insister auprès de Triton pour qu’il m’autorise à te mettre dans la confidence. Il a dû se passer quelque chose.
- Et Dalgliel a dit « Hortense sait ».
- Je sais que la puissance du dôme est affaiblie à la suite de la disparition d’une exploratrice, murmura Hortense. Triton voulait que je les rejoigne pour renforcer le champ magnétique. Mais j’ai refusé.
Une vague d’étonnement parcourut la pièce. Alicia peinait à comprendre les subtilités de la situation et Hortense en profita pour détourner l’attention d’elle.
- Les pouvoirs du peuple de la mer sont décuplés dans l’eau. Ils communiquent entre eux par télépathie. Et lorsque l’île est menacée par des perturbations climatiques plus intenses, leurs chants rentrent en résonnance pour amplifier la puissance du dôme. Normalement, Dalgliel ne pouvait pas communiquer avec toi de cette façon.
- Pourtant, la communication était parfaitement claire entre nous. Le message était… surprenant. Dalgliel s’exprimait par télépathie et moi, je lui répondais en parlant.
- Cédric et moi, nous les comprenons, car certains gènes d’Eléonore se sont exprimés chez nous. Mais Philippe ne les entend pas. À moins que …
Dalgliel avait désigné Hortense comme la personne qui savait et tous attendaient sagement. Elle connaissait les us et coutume de ce peuple, et elle avait retenu les nombreuses légendes racontées par sa mère.
- Lorsque notre mère est venue sur terre après avoir sauvé notre père, elle ne comprenait pas notre langue. Mais elle chantait, et la mélodie s’adressait directement à l’âme d’Edward. En le sauvant de la noyade, elle a créé un lien entre eux. Celui qui sauve une vie se trouve lié à cette personne pour toujours. Mais tu ne t’es pas noyée, toi. Tu l’as même remonté et maintenu à la surface notre Cédric.
Alicia se souvint du souffle marin sur ses lèvres. Elle n’avait jamais parlé de sa perte de connaissance lorsque la goélette s’était retournée. Tout le monde la traitait en héros. Ou plutôt Adrien était considéré comme un héros. Et, à ce moment, Adrien se sentait prisonnier de son corps. Ils étaient liés et Dalgliel lui avait transmis son souffle plus d’une fois. Il avait aussi été le premier à la reconnaître comme femme. Elle devait le revoir et elle savait où aller.
- Nous devons rejoindre Dalgliel au sous-sol de la base scientifique. Il pourra sans doute nous en dire plus.
- Oui, on part tout de suite, décréta Philippe. Tu nous accompagnes Hortense ?
C’était une question qui ne laissait pas de place ou non. Cependant, en ce tournant vers la pauvre Alicia toujours trempée, Hortense trouva un moyen de gagner encore un peu de temps avant de devoir avouer sa trahison.
- Partez devant, Charlotte et toi. Je devrais pouvoir trouver des vêtements secs pour Alicia et je vous rejoins avec les jeunes.
Sur ces mots, elle se dirigea vers la pièce où elle avait dormi cette nuit pendant que son frère et sa belle-sœur sortaient rejoindre leur voiture.
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