1
Marseille.
L'Estaque.
Quand on vient de la route, on a les collines à gauche et la mer à droite.
Le ciel au-dessus, grand bleu.
Un ciel de janvier, sans nuages.
Sans le Mistral, qui souffle rude ce jour-là, pour un peu on croirait voir venir le printemps.
Le soleil, dans le sud, on l'a quasi tout le temps.
Le soleil, la lumière, c'est le grand bain de tous les jours.
Ça vous chauffe les joues, le corps et les os, pas de soleil blanc, on connait pas, que du vrai qui pénètre en dedans.
C'est pour ça que même en janvier, ici, souvent on croit déjà au printemps.
Entre les collines et la mer, les tours.
Hautes si hautes et vieillissantes, laides, plombantes.
Titanesques, vertigineuses et grises les tours.
Ou alors encore pire que ça ! Comme si c'était possible, mais oui. Repeintes au culot d'un rose ou d'un orange criard, à la va-vite, avec le béton qui fissure quand même au-dessous, comme ça oui, sans vergogne, peinturlurée, cache-misérées, vieilles putes fardées comme on en voit plus, d'une couleur d'on-ne-sait-pas-pourquoi à te faire étouffer de stupeur. Le culot quand-même dites-donc d'appeler ça rénovation, restructuration, réhabilitation et j'en passe.
Ce n'est pas la première fois que je viens à Marseille, pas la dernière non plus.
Une histoire se tisse à petit entre la ville et moi.
Mes yeux boivent les collines à gauche, et à droite le ciel qui plonge dans la mer, tout ce bleu, l'éclat des roches que tape le soleil, les myriades de petits bouts de soleil qui s'accrochent telles des loupiotes sur le dos des vagues, démarcation d'entre deux bleus.
C'est un crime ces tours, ce béton, une monstruosité née de la main de l'homme. Le pire c'est d'y trouver des excuses et des pourquoi du comment. Un crime c'est un crime, y a pas à tortiller.
À chaque fois, chaque aller, chaque retour, j'imagine ce que serait l'endroit sans ses tours, rien que ses collines, sa garigue, ses roches, la mer et le bleu du ciel qui tombe un peu partout. Trop de beauté, trop de quiétude, et le monde entier qui ne voudrait plus vivre que là.
On quitte la route, on zigzague au milieu des tours, des poubelles qui dégueulent, des crachats, de la pisse et d'on ne sait quoi d'autre qu'a bu le béton. Heureusement qu'Yves a insisté pour m'accompagner, pour la première. Toute seule, j'aurais fait demi-tour moi. Sûrement. Je ne sais pas. Je me suis engagée quand même. Je me dis que c'est pas les beaux quartiers c'est sûr, plutôt les tréfonds, le fond du fond ou pas ? Ce genre d'endroits dont on nous bassine d'images racoleuses dans des reportages tout aussi racoleurs. Yves dit que non. De toute façon on est là maintenant. Le GPS indique qu'il faut encore grimper, on s'éloigne des tours, on passe devant la carcasse d'une voiture brûlée accolée à un mur couverts de graffitis, même pas des beaux qui se regardent. Des gribouillis, une bite, du charabia, la feuille de cannabis passe à la rigueur, pas ouf non plus. Des sacs plastiques filochent dans les airs, même qu'on en fait plus y en a encore, c'est fou ça. On pourrait faire une autre tour tout en canettes avec ce qui git dans le fossé. On coche à tous les clichés qu'on s'imagine. Je me demande ce qui m'attend là-haut, putain. J'essaie de ne pas penser plus que ça, ne pas m'attarder sur les détails, je répète mon scénario comment j'ai prévu d'attaquer les choses, de mener ma barque.
La clinique se trouve au bout d'un chemin de virages, tout le long elle se fend de barbelés, de palissades, puis le chemin finit sur un haut portail fermé, avec une petite caméra et un bouton pour sonner et s'annoncer. Ambiance.
Des chats faméliques et hirsutes se tortillent un chemin entre les barbelés.
La grille s'ouvre.
Le parking surplombe la mer, ainsi qu'un précipice de végétation tout aussi hirsute que les chats. Au-dessus, y a des chaises colorées dépareillées semées ici et là autour de grosses boites de conserves qui semblent faire office de cendrier près d'un terrain de boules. Je fais ça, je fume une cigarette, je m'accroche au bleu, les tours dans le dos. Je m'ambiance toute seule. Peu importe ce qui suit, ça va le faire. Je m'adapte à tout, c'est ça mon talent.
Annotations
Versions