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On ne m'a pas jetée comme ça sur le premier atelier.

On, qui s'appelle Jeanne, a pris soin des détails, elle m'a mailée, téléphonée, visioconférencée. Elle était là, présente, d'une bienveillance constante, douce, et dessinait le chemin tout en me tendant les clefs de la porte qu'on apercevait au loin. Dès le début, j'étais très emballée par le projet. Je n'avais même pas peur ni rien. Enfin si, je ressentait un grand quelque chose comme un emballement, un galop. Une envie de se frotter à l'innatendu et de se laisser porter.

Quand je suis très très emballée je ne flippe pas du tout ma race et ça c'est vraiment formidable et précieux. Je ne sais pas si la sérénité un peu surréaliste que j'ai eue alors m'est venue des nouvelles expériences engrangées juste avant, des rencontres et des discussions avec Fatoumata, Christina et les autres, mais elles ont fait naitre un nouveau moi, délivré cette autre d'avant de sa vieille pudeur embarrassante, et je flippe de moins en moins ma race pour rien et je me sens de plus en plus capable de tout.

Quoiqu'il en soit, j'avais alors ce sentiment d'évidence basé sur rien d'autre que ce que me racontait mon ventre. Et c'était un truc tout à fait bateau et à la fois très fort, très vif, très net, du genre tu ne réfléchis pas, tu fonces, c'est pour toi, y a un truc à tenter, à vivre, et une richesse au bout, c'est sûr. Du coup je l'ai écouté, mon ventre, aussi parce que je savais. Sans même googler, localiser, planifier, calculer, faire rentrer des ronds dans les carrés de mon emploi du temps déjà serré, et même si j'avais soufflé la possibilité du lundi après-midi vite fait, j'ai signé. Je savais. Fort et évident. Sans pouvoir en dire rien de plus intelligible ou de rationnel un an après. Qui aura su rien du tout et tout à la fois un jour me comprendra.

Au final, en dehors de cette évidence de "le" faire dont on parlait mon ventre et moi, on avait pas vraiment l'idée précise de ce qu'était ce "le". Peut-être d'ailleurs ne le fallait-il pas, avoir l'idée précise, que la petite part de flou qui demeurait gardait le tout ouvert et tout possible. Comme l'on devrait toujours être au seuil de l'inconnu. J'étais prête à m'y jeter, les yeux presque fermés.

Mais Jeanne était là, de loin, très souvent, à me tenir la main, rassurante, et je commençais à apercevoir le début de la trame d'un truc bien huilé quand même. Le premier atelier approchait, j'avais hâte à reculons.

Avant chaque lancement de nouvel atelier, il y a une visio, un rendez-vous formel et informel à la fois avec le, la, ou les responsables de l'établissement qui va les accueillir, le, la, ou les soignants qui seront présents, Jeanne et moi.

Étrangement, je ne me rappelle que très vaguement de cette première alors que j'ai très bien les autres en tête et que ça aurait dû me rester bien logé dans les détails vu que c'était la première. Mais non, que du vague. On ne choisit pas ce qui nous restera. Je me rappelle juste que c'était environ quinze jours avant Noël, que mon mur était paré de Merry Christmas, plutôt dans le style hérissons choupis batifolant dans la neige et de tout un tas d'illu' du genre qui sont restées dans leur tiroir cette année. Et puis je me rappelle de Camille, la responsable, la directrice de la clinique précisément, dont j'essayais d'attraper un quelque chose depuis l'écran, comme une température, une première tendance, tout en essayant de paraitre crédible avec le mur de hérissons et tout le reste de l'arche paré de petits bérets et de manteaux façon Paddington, jingle bellant derrière moi avec les cloches les petits sapins enneigés les nœuds rouges et tout ça.

Je ne crois pas avoir attrapé grand-chose à ce moment-là de la Camille que je connais bien maintenant. Enfin bien...Y a des gens avec qui ça circule de suite, très vite, sans trop de mots. Un indéfinissable truc qui, oui, circule. On ne sait pas quoi, on n'a d'ailleurs pas vraiment envie de creuser plus, de définir, pourtant c'est évident on connecte. Dans le regard, les sourires qui s'échangent, il transpire des intentions siamoises et des dessins du même chemin, sans besoin de sous-titres ou de légendes.

On en était pas là, à ce moment-là, de derrière nos écrans, et puis quand ça circule très vite difficile de remonter l'étincelle précise de la connexion première, peut-être que c'est bien moins important que le fait que ce sentiment de connexion et d'évidence perdure dans le temps, et qu'en plus il grandisse.

On avait le thème, les grandes lignes, les étapes, des dates, des heures. Ces choses de second plan qui posent les fondations.

Et je ne sais plus qui et à quel moment m'a brossé un tableau d'à peu près. Que j'allais dans une clinique qui traitait des addictions, que majoritairement ce seraient des hommes entre quarante et soixante ans, alcooliques/ayant un problème d'addiction à l'alcool principalement, que tous les patients venaient ici volontairement, que ce n'était donc pas des personnes soumises à une obligation de soin mais qui entreprenaient ce parcours de leur propre volonté. Qu'il était possible et même fort probable qu'ils aient eu des parcours chaotiques, quitté le milieu scolaire tôt ou l'ayant peu fréquenté et donc des difficultés à lire et à écrire, ou peut-être approximativement, phonétiquement, avec douleur, fragilité, que j'allais devoir stimuler, guider, encourager, accompagner avec bienveillance l’écriture de leur texte sur le thème que nous avions défini au préalable. Que les soignants pouvaient aussi participer, qu'au moins un ou une serait présente à chaque atelier pour les au-cas où que je ne pourrais pas gérer.

C'est à ça qu'on s'est engagé mon ventre et moi.

Et la première chose qui m'est venue avec autant d'évidence que mon élan premier, dès les premières minutes du premier atelier, c'est qu'il fallait vite retourner ce tableau au rebus contre le mur, paf ça dégage on recommence tout du début, prendre une belle toile blanche et tendre vers tout ce qui était et n'était pas à la fois, tout oublier, et puis ressentir, vivre, et esquisser ça de mon seul œil et en écoutant mon ventre et les leurs.

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