Prologue :
À l’instant où tout semblait déjà écrit, et/ou tout restait à venir… l’histoire se détissa…
En ce Sultanat cosmique du passé, ni haut ni bas : tout se confondait en un élégant équilibre. Enfin pour l’instant. À l’épicentre du domaine, le Palais Palladium trônait, suspendu sur son nuage nacré. D’onyx, sertis de Karistal et de Diamonite1, ses parois capturaient l’éclat de constellations situées à mille et un lieux de là. Et, l’encerclant, des galaxies formaient des couloirs pour leurs jumelles dispersées par l’expansion stellaire.
Tranchant le train-train quotidien, un grondement, profond et viscéral, profana la quiétude. Des abîmes laiteux du cumulonimbus, une lueur carmin jaillit et s’éleva en une trajectoire sinueuse jusqu’au sommet du Minaret principal. Sous sa garde, l’Arche temporelle, cette fois taillée dans un rubis colossal, absorba l’éclat ardent et s’attisa. Un à un, de droite à gauche des glyphes exaltés se révélèrent :
ل – ب – ق – ت – س – م – ل – ا22
Lorsque le dernier se stabilisa, l’artefact s’embrasa et en son centre s’aménagea un vortex relâchant des murmures sibyllins. Tout se suspendit. Une seconde suffoquée précéda l’explosion, puis l’Arche apparut prête à relâcher ses passagers. Mais provenant de l’autre côté, l’attaque déviée par Darrius profana l’endroit. Tourbillonnante, elle se transforma en une flamme ébène qui se fracassa sur le dallage. Les pavés pétèrent, catapultant des fragments incandescents, tandis qu’une liane céda sous l’impact. Sa sève, telle une perle de vie, s’étala sur le marbre.
Aussitôt, l’essence de la Mortifère Créature trouva refuge, devenant un serpent de mazout qui s’éleva, et attaqua afin de biser ce lien vers le futur. Sous l’assaut de l’essence funeste les glyphes se mirent à clignoter. Éreinte par ses turbulences, le maelstrom vacillait entre implosion et accalmie. Incendiant la manifestation de Néant, qui s’estompa, l’arche vainquit.
Tandis que les ténèbres faiblissaient, Warren fut catapultée contre une colonne. Dans la foulée, Kieran rebondit sur les pierres, jusqu’à ce qu’il se paralyse contre un amas de gravats. Une plaie séparait son charmant minois en deux, d’où s’échappait un flot écarlate.
Lourdement contusionné, Enlil finit par rouler bouler. Au choc, son épaule flancha, et le tourment se propagea en une vague brûlante. À bout de forces, il rampa dans la poussière, laissant derrière lui une traînée d’hémoglobine. Se déplacer le torturait, mais la vision de ses frères agonisants le terrorisait. L’un gisait, inerte, dans une mare sombre ; l’autre, à peine conscient, respirait avec peine.
— Non… non, non, non…
S’appuyant sur une vitalité qui vacillait, il planta son pied au sol et, se brisant sous l’emprise du chagrin, il les invectiva :
— Kieran ! Warren… Non ! Vous ne pouvez pas… J’ai déjà trop perdu !
Il fit un pas, puis un second, arrachant un grognement. Sa rage montait. Brûlait. Pressait son cœur dans un étau.
— Pas comme ça. On s’était juré de tenir bon. Jusqu’au bout, ensemble !
Déformée par une souffrance indicible, sa plainte s’éleva à travers l’immensité comme un appel désespéré. Une larme roula sur sa joue. Sa paume glissa contre la colonne fissurée.
Abattu, il vacillait entre l’envie d’abdiquer et l’instinct de protéger ce qui restait. Des cendres lui râpaient la gorge, déchirant ses poumons. « Ce n’est pas censé finir ainsi. » L’Arche menaçait de capituler. Une magie colossale s’échappait en particules exotiques. Sur le qui-vive, pas prêt à faire face à l’ennemi, il ajusta sa posture. Mais, soudain, l’artefact s’éteignit, laissant planer l’incertitude. Ce n’est qu’alors qu’il comprit : le Néant ne se manifesterait pas. Rasséréné, c’est chancelant qu’il se dirigea vers Kieran et Warren afin de les soigner.
Ses pieds nus craquèrent ; ses muscles protestèrent ; pourtant titubant, il persévérait. Son costume meurtri laissait entrevoir une peau marquée par d’anciens combats. Il refusait de céder. Pas maintenant. Pas ici.
Résolu à tout tenter, il pointa un doigt vacillant vers ses frères. Dès lors, le lien trinitaire, bien que frêle, se manifesta. Le froid glacé de l’un s’unifia avec la nature curative de l’autre. Ses veines s’échauffèrent sous cette fusion, entraînant un cri guttural qui fragilisa ses cordes vocales. Et malgré sa prouesse allant au-delà de l’entêtement, il fléchit sous l’effort. Retombant sur ses genoux, sa magie le désertant.
Alors, il revit les visages de sa famille, les épreuves traversées ensemble, et les moments de bonheur partagé :
— Nous périrons unis !
Ce sourire, si fragile, fut un acte porteur d’un espoir fugace, avant que la pénombre ne l’engloutisse totalement. Comme si son déclin était un signal, une brise tiède souffla. À la suite de quoi, une faille se profila.
En jaillit une radiance bleutée, crue, austère ; puis une brume rasant les décombres. Surgit alors une figure vêtue d’un col roulé en cachemire sable, harmonieusement accordé à un pantalon anthracite. Un homme d’une beauté troublante, dont les traits semblaient sculptés par des mains divines, qui en constatant les dégâts, esquissèrent un rictus ensorceleur.
Ibliss. Une légende, un nom murmuré dans l’obscurité des âges. Pourtant, ce n’était pas sa blonde chevelure, ses iris azur, sa perfection physique ou son atour chic qui frappait. C’était ce poids sacral, prêt à éclater si on venait à l’irriter.
À ceux qui osaient le convoquer, il offrait des vœux, mais toujours à un prix cruel : des années de vie volées. Nul ne pouvait prétendre connaître ses intentions, car chacune de ses apparitions déchirait le voile du tangible pour révéler un dessein incompréhensible pour les mortels.
Car, le Seigneur des Djinns n’était pas une force que l’on pouvait contenir, ni un roi qui réclamait un trône : il était le souffle entre les étoiles, le murmure dans les tempêtes. Un dieu, dont la seule trace concrète était cette terreur viscérale laissée dans son sillage. Et pourtant ce nom qui faisait trembler, n’était qu’un vulgaire sobriquet. Parvenu au centre du carnage, il se figea… se baissa ; et, après une hésitation, caressa sa joue :
— Pourquoi est-ce toi, encore et toujours ? Toujours à te relever, à t’accrocher, même après la chute. Mon cher Enlil… Est-ce de la résilience ou une sorte d’arrogance masochiste ?
La phrase trahissait une fébrilité sourde, teintée d’une culpabilité qu’il peinait à masquer. Mais il détourna son attention vers ses futurs beaux-frères. L’un, transpercé par une tige métallique, l’autre, recouvert par des gravats. Ibliss leva une main et replia les doigts. S’incarna une spirale cobalt qui s’enroula autour des moribonds, les enveloppant d’un cocon translucide :
— Dans quelques heures, vous ouvrirez les yeux, prêts à modeler le monde selon vos désirs. Cette fois, rien ni personne ne viendra briser votre ascension… pas même moi.
Il recula de quelques pas. Ses traits restèrent fermés, durs, mais quelque chose dans ses prunelles s’adoucit fugacement. À quoi pensait-il ? Un souvenir ? Un regret ? À contrecœur, il fit demi-tour et se dirigea vers la faille conduisant à son domaine. Avant d’en franchir le seuil, il souffla la longue mèche blonde recouvrant son œil et ajouta :
— J’ai hâte que tu vives notre premier tête-à-tête.
Puis, il s’engouffra.
Alors que le passage s’estompait et qu’un calme bienvenu s’installait, l’enchantement propre au lieu s’anima. Lentement, l’arche récupéra sa beauté, ses cicatrices se résorbant comme si le temps s’inclinait. Les murs se recomposèrent, les gravats s’assemblant en un ballet précis. Vigne et Fontaine retrouvèrent leur pureté reniant ainsi la colère qui avait souillé le sacré.
1Le Karistal et la Diamonite sont des minéraux rares que l'on trouve exclusivement dans les veines telluriques des planètes imprégnées de magie. Les spécimens provenant de la Terre sont réputés pour être les plus puissants et les plus purs, en raison de la richesse unique de ses flux énergétiques. Utilisés à la fois pour leur éclat ornemental et leurs propriétés magiques, ces minéraux servent de réceptacles à une multitude de sorts, allant des réserves de chakra aux enchantements complexes. Les marchandeurs de sort les utilisent souvent comme contenants, facilitant ainsi la vente ou l'échange d'énergie et de magie encapsulée.
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2Les lettres ل - ب - ق - ت - س - م - ل - ا1, lorsqu'elles sont assemblées, forment un mot qui peut être interprété comme « avenir » ou « futur », selon le contexte linguistique et symbolique.
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