Rencontre
Il y a des rencontres qui changent une vie. Il y a des éclaircies qui se dessinent dans le ciel un jour de pénombre et qui laissent espérer qu'un jour meilleur se profile. Il y a des moments où lorsque l'on croit, que l'on est persuadé que notre existence suivra un chemin calme et sans embûches, on finisse par tout remettre en cause l'espace d'une seconde, quitte à découvrir un nouveau soi. Et il n'y aucun retour en arrière possible.
Je me rappelle très bien la première fois que je l'ai vue. Elle se tenait debout dans le coin de la classe, derrière la directrice et observait avec inquiétude les enfants qui lui faisaient face. Je n'avais que 7 ans mais je ne pourrai jamais oublier sa petite frimousse. On aurait dit un ange.
Ses longs cheveux roux flamboyants couraient le long de son dos. Ses grands yeux verts en amande semblaient scruter le monde en permanence, à la recherche d'un réconfort qu'elle ne connaissait pas. Son visage était parsemée de petites tâches de rousseur. Elle était habillée du même uniforme que tous les autres élèves mais un coin de sa chemise blanche dépassait légèrement et montrait qu'elle avait enfilé ses vêtements à la hâte.
Ce jour-là avait changé ma vie. Je savais au premier regard que je devais aller la voir et qu'à partir du moment où j'entamerais le premier pas, un lien indéfectible se créerait. Vous pouvez me prendre pour un fou, mais je ne l'étais pas. Certaines choses dans la vie sont imprévisibles et certaines ne le sont pas. Ce jour-là, j'étais persuadé que cette fille était hors-du-commun et qu'il ne fallait pas que je laisse filer ma chance de faire sa connaissance.
La directrice l'avait présentée à toute la classe en la poussant légèrement pour qu'elle se mette au centre de la scène. Elle avait rougi comme une tomate à l'annonce de son nom. S'il y avait eu une possibilité de se cacher du reste du monde et de ne plus jamais faire parler d'elle, elle aurait couru sans demander son reste.
Les enfants continuaient de l'observer avec une grande curiosité, filles comme garçons. Et ils continuaient de le faire au moment de la récréation, certains n'hésitant pas à la pointer du doigt quand d'autres se moquaient dans son dos. Je me souviens très bien l'avoir vue au milieu de la cour, seule, des larmes coulant au coin de son visage. Je me rapelle que j'étais bien trop timide pour aller la voir et entamer la discussion. Et il y avait sûrement une forme de lâcheté et d'effet de groupe en restant avec mes autres amis.
Néanmoins, une fille s'était approchée d'elle et lui avait tendu la main. Je me rappelle très bien de son regard à ce moment-là qui s'était illuminé et du large sourire qui était apparu sur son visage alors qu'elle passait son bras sur son visage pour enlever la trace de ses pleurs. La fille s'était alors rapprochée un peu plus et lui avait pris la main. Elle y déposa une limace.
D'effroi, la petite fille recula en secouant les mains et en laissant échapper un cri aigu de terreur. Tout le monde se mit à rire, haut et fort, comme dans une basse-cour alors que l'autre fille tirait une réverence, fière de son spectacle.
Et à cet instant, je me rappelle l'expression qui avait parcouru le regard de la fille en pleurs. Je ne pourrai jamais l'oublier. Elle avait rassemblé ses forces en l'espace d'une seconde et avait foncé tête baissée sur la fille qui était tombée à la renverse comme une quille après un strike. L'autre gamine s'était mise à pleurer et essayait de se débattre de toutes forces, en vrai. La rouquine avait déjà son plan en tête : elle avait préalablement, calmement, méticuleusement ramassé la limace, l'avait pris dans sa main sans trop la serrer pour ne pas tuer le pauvre animal et l'étalait maintenant sur le visage de l'autre.
À ce moment-là, plus rien n'avait de sens. Les enfants hurlaient de dégoût et se moquaient de celle qui avait voulu humilier la nouvelle, en la pointant allégrement du doigt et rigolant jusqu'à en perdre le souffle. Face aux tumultes de la foule, les professeurs avaient accouru et avaient séparé les deux fauves qui s'offraient en spectacle. Enfin à vrai dire, ils avaient surtout éloigné la nouvelle de l'autre qui ne faisait que crier. Je me rappelle que les deux hurlaient encore alors qu'elles avaient été éloignées, mais que plus aucun son ne s'était fait entendre une fois que la foule avait été dispersée. Elles ont dû toutes les deux passer un sale quart d'heure, donnant chacune laversion de l'histoire qui les arrangeait.
Je me rappelle que j'avais vu la nouvelle sortir du bureau de la directrice avec un grand sourire aux lèvres, fière de son coup quand l'autre avait l'air très vexée, sentant que sa réputation en avait pris un sacré coup. Personnellement, ça ne me dérangeait pas, je ne pouvais pas la voir en peinture. Toujours est-il qu'à l'heure du déjeuner, la nouvelle occupait une table désespérément vide même si tout le monde la regardait d'un coin de l'œil, notamment les garçons qui semblaient vouloir faire plus ample connaissance après ce qui s'était passé. Tous avaient changé d'attitude après l'événement dans la cour de récré.
Je savais que c'était le moment ou jamais pour aller lui parler. Je pris donc mon courage à deux mains et m'installai à la même table qu'elle, en diagonale. Ce choix était murement réfléchi. Je ne voulais pas être en face d'elle ou à côté d'elle pour ne pas établir un contact trop direct et passer pour un gros lourd.
- Salut, avais-je bégayé. Je m'appelle Mike. Tu viens d'arriver sur l'île ?
Elle m'avait regardé du coin de l'œil en levant un sourcil au ciel. Je me rappelle que j'avais été surpris par sa réaction car je ne voulais vraiment pas la déranger et en même temps, ça me dérangeait de la savoir seule. Elle finit finalement par me sourire et me tendit la main. Face à mon expression de dégoût, me remémorant la scène de la limace, elle ajouta d'un ton franc qui me surprit :
- Mike, c'est ça ? Si tu n'as pas peur de parler à une inconnue, alors tu ne devrais pas avoir peur d'une inconnue qui s'est salie les mains en touchant une limace, non ?
Je ne sus que répondre et je mis quelques temps avant de réagir. Je ne cessais de regarder ses yeux verts pétillants qui se plongeaient avec une intensité folle en moi. J'avais l'impression qu'elle ppuvait lire en moi. Je savais dès cet instant que j'étais tombé amoureux. Mais bien sûr, je ne l'aurais jamais avoué à l'époque.
Je redescendis sur Terre deux minutes et lui serrai la main qu'elle me tendait en ravalant un dégoût au fond de moi, imaginant que je prenais la limace dans ma main. Face à mon geste, elle eut l'air satisfaite et ajouta :
- Enchanté Mike, moi c'est Johanna. Mais tout le monde m'appelle JO.
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