Renaissance 

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Que j'aurais aimé que ça se passe comme ça... Mais je n'en avais jamais eu le courage et c'était sûrement un des plus grands regrets de ma vie.

À la place, le temps avait continué de s'écouler inlassablement et la vie sur l'île avait perduré malgré tout. Ce qui avait été démoli avait été reconstruit en bien mieux, en plus solide, en plus grand, en plus reluisant. La nuit de l'horreur avait fait officiellement 80 victimes. Mais on ne comptait plus les disparus présumés morts. On avait arrêté de compter, il valait mieux. Et c'est comme ça que 10 ans s'étaient écoulés sur une île redevenue le petit bout de paradis qu'il était autrefois. Même si personne n'oublierait jamais ce qui s'était passé.

Mon père avait continué son activité de pêcheur avec mon frère. Il vendait maintenant à des clients qui venaient de tout le continent pour s'approvisionner sur l'île. En réalité, son affaire flôrissait et il n'avait jamais été aussi heureux depuis la disparition de ma mère. D'une certaine manière, je me réjouissais pour lui, même si je ne le montrais pas ouvertement.

L'île avait bien changé. Après la catastrophe, tout le monde pensait qu'elle ne s'en remettrait jamais et que les habitants étaient en quelque sorte condamnés. Oui mais voilà, c'était sans compter l'arrivée de riches investisseurs étrangers qui y avaient vu une parfaite opportunité pour repartir de zéro et faire fortune. Car l'île, malgré son histoire funeste, était d'une beauté à couper le souffle. Et la catastrophe en avait finalement fait une légende.

Dans les années qui avaient suivi la reconstruction de l'île, les premiers bâtiments avaient vu le jour et commençaient à accueillir ce que nous n'avions jamais vu auparavant : des touristes. Au début, il n'y avait que quelques curieux puis ce furent des centaines et ensuite des milliers qui se pressèrent chaque été pour découvrir la richesse de ces terres autrefois sauvages.

Le nouveau monde n'était pas de l'autre côté de l'océan, il était là. C'était le sol que je foulais tous les jours, sur lequel j'avais grandi. C'est en tout cas ce que je pensais, enfin que je m'étais forcé à croire après la disparition de JO. Elle me hantait encore parfois dans mes rêves et venait troubler mes nuits. Je faisais souvent ce rêve, ou cauchemar je ne saurais dire, où je me réveillais en sursaut alors que je l'entendais m'appeler. Au son de ma voix, je me levais à la hâte et je voyais son fantôme se déplacer dans la pièce. Elle était vêtue d'une longue tunique blanche et ses longs cheveux flamboyants couraient le long de son dos, comme dans mes souvenirs. Je ne voyais pas son visage mais je devinais à sa voix qu'elle était infiniment triste et qu'elle se sentait terriblement seule. Et alors elle bougeait et sortait de la pièce pour aller dehors, tout en m'invitant à la suivre. Et moi, comme un idiot toujours amoureux, je la suivais. J'aurais pu la suivre au bout du monde si elle le voulait. Je marchais juste derrière elle, prudent et curieux de savoir où elle m'emmenait. Puis elle finissait toujours par s'arrêter près de la falaise. Et alors je lui criais d'arrêter pour ne pas tomber, qu'elle pourrait se tuer et puis, je me rappelais qu'elle était déjà morte.

Ce rêve récurrent n'avait cessé de me hanter les nuits qui avaient suivi la disparition de Johanna. Puis peu à peu, il s'était estompé et j'avais même cru que je ne n'y penserais plus jamais. Mais ces derniers temps, sans que je sache pourquoi, il était revenu. Et je ne comprenais pas pourquoi.

Toujours est-il que j'avais fait ma vie sans Johanna. Je m'étais marié et ma femme attendait un enfant. Je n'aurais jamais cru que ma femme aurait été la petite peste que JO avait humilié quand nous étions enfants en lui mettant une limace sur le visage. Cette petite peste avait bien changé. Elle était en fait beaucoup plus sympathique que ce que j'aurais cru et bien plus intéressante que je n'aurais pu l'espérer. Nous nous étions rapprochés et comme nous étions tous les deux restés sur l'île, l'histoire s'était fait naturellement. Je n'évoque ça avec aucune lassitude. J'en avais besoin à ce moment. Du moins, j'avais besoin de quelqu'un pour m'aider à me reconstruire d'abord car j'étais littéralement à 2 doigts de vaciller mais aussi pour me supporter au quotidien. Jess avait été là. Et elle l'avait fait sans jamais broncher, avec une patience incroyable et un amour infini. Pour tout ça, je lui serais à jamais redevable. Et Jess portait maintenant mon enfant, un petit garçon que nous voulions nommer Kylian et qui devait arriver d'ici 2-3 mois normalement.

J'appréhendais beaucoup le moment où mon fils viendrait au monde. Je ne sais pas si j'étais totalement prêt à être père à cet instant-là ou si c'était quelque chose de plus large et de plus complexe surtout. La vérité, c'est que je me sentais à l'étroit sur cette île. Il y a 15 ans, j'aurais pu décider de partir mais j'étais resté. Et j'avais fait ma vie ici. Je ne regrettais pas car j'y ai rencontré ma femme et c'est là que nos enfants seraient amenés à grandir. Mais cette route toute tracée ne me convenait pas, et au final elle ne m'avait jamais convenu. Et d'une certaine manière, je sens que JO y était pour quelque chose. Elle avait fini par me donner le goût de l'aventure, l'envie de partir, de voir plus loin que ce bout de terre certes paradisiaque mais dont je connaissais chaque recoin. Je crois qu'elle m'avait contaminé alors que j'avais moi-même rêvé de m'épanouir à ses côtés et avec la famille que nous aurions fondée. Mais l'océan semblait m'appeler et c'est pourquoi j'avais cherché un travail pour m'éloigner des terres.

J'avais pris un travail de directeur financier dans une grande boîte près des côtes. Bien que ce travail n'avait rien d'intéressant, il me permettait de quitter l'île et de revenir de temps à autre pour voir Jess. Ou bien c'est elle qui faisait la liaison par une navette sous-marine qui faisait la liaison en l'espace d'une heure. Il y avait également des taxis qui flottaient à la surface de l'eau et semblaient caresser les vagues alors qu'ils circulaient à plus de 100km/h. Oui mais voilà, nous attendions un enfant et il était de plus en plus compliqué voire littéralement impossible pour Jess de se déplacer. C'est pourquoi je revenais de plus en plus souvent sur l'île. J'étais fatigué de ces trajets et tous deux, nous savions bien qu'il nous fallait prendre une décision : rester sur l'île ou gagner le continent. Nous nous disputions souvent à ce sujet dernièrement... Et sur pas mal d'autres à vrai dire.

Je fus extirpé de mes pensées lorsqu'elle me rappela à l'ordre alors que nous étions en train d'aider mon père à aménager ses stands pour le grand marché d'Anastasis. C'est le nom que nous avions donné au village après sa reconstruction. Un village totalement métamorphosé, devenu une véritable petite ville où il faisait bon vivre. À croire que la tragédie même d'il y a 10 aurait pu ne jamais exister si on ne l'avait pas vécue.

- À quoi penses-tu encore ? me demanda Jess qui affichait clairement son impatience.

- À rien du tout... Papa, je peux te laisser 2 minutes ? J'ai besoin de prendre l'air.

Jess voulut rouspéter mais comprit que ça ne servirait à rien. Elle connaissait mes limites et savait que j'avais besoin de respirer, d'être seul parfois. Ce n'était pas contre elle, c'était seulement vital et j'avais toujours été un solitaire dans l'âme.

Alors que je m'éloignais en direction du port, je m'arrêtai pour regarder les hordes de touristes qui accostaient dans de grands voiliers d'antan qui rappelaient une époque révolue où nous prenions le temps pour observer et savourer les choses. Toujours est-il que je voyais arriver des hommes, des femmes, des enfants de tout horizon. Ils semblaient venir de mondes lointains que je ne connaissais pas et dont on avait appris l'existence que dans nos livres d'école. Je savais que le monde était vaste mais je n'en avais jamais mesuré la portée. Et ce défilée d'habits, d'accoutrements en tous genres, ces êtres si différents les uns des autres et formant pourtant une large masse d'invidus m'en montraient à peine les contours.

Et c'est là que je l'aperçus. Nos regards se croisèrent. Mais comme la première fois où je lui avais parlé à la cantine, elle ne me prêta pas attention. Son regard glissa dans une autre direction. Mais moi, paralysé, je ne pouvais que la suivre des yeux. Elle avait bien changé, aussi bien physiquement que vestimentairement. Mais j'en étais sûr, c'était elle... Johanna était revenue.

Je tentai de m'approcher d'elle mais je la perdis dans la foule et malgré toutes mes tentatives pour la retrouver, je l'avais à nouveau perdue de vue. Ce n'était pas possible. Ce n'était pas concevable. Pas encore, bordel !

Il fallait que je la retrouve. Ma vie en dépendait.

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