Révélations

5 minutes de lecture

Un jour, JO était arrivée dans ma vie. Par un matin d'hiver, pluvieux, gris et triste. À cet instant, un rayon de soleil avait éclairé mon quotidien de gamin rêveur. Ce jour-là avait tout changé.

Nous avions grandi ensemble comme je vous l'ai raconté. Nous nous sommes aimés une grande partie de notre vie même si je ne savais rien d'elle alors qu'elle connaissait tout de ma vie. Orpheline, abandonnée, éduquée par les nonnes. Sa vie n'avait rien de normal dès le départ.

Le temps était passé et la terrible catastrophe était arrivée, balayant nos côtes, avec une cruauté féroce. Ainsi est le monde, il ne laisse aucune chance au bonheur éternel et il faut apprendre à savourer ces moments si précieux, uniques. Je m'en rends compte maintenant.

- Je... Je suis mort ? balbutiais-je, ne parvenant pas à admettre cette réalité. C'est... C'est impossible !

La jeune femme brune qui se prétendait être ma mère continuait de me fixer, imperturbable, comme si elle avait toujours été préparée face à cette situation. Elle répliqua d'un ton calme :

- Tu n'as aucune idée de ce qui est possible. Tu as toi-même cherché à repousser les frontières de l'impossible en créant une réalité qui n'en est pas une.

Je ne comprenais rien. Mes pensées se perdaient dans ce flot d'informations qui n'avait aucun sens pour moi. Je regardais ma mère avec déconcertation et la jeune Johanna dont les sanglots commençaient à s'estomper.

- Déjà, pourquoi elle, elle ne peut pas parler ? demandais-je.

J'étais en colère et perdu. Mais à cet instant, rien au monde ne m'aurait fait plus plaisir que d'entendre la voix de JO, ma JO.

- C'est là toute la cruauté et la poésie en ces lieux. Une fois que nous mourrons, une part de nous nous est enlevée. Johanna a perdu sa voix car elle ne voulait plus crier.

- Crier ? Comment ça ?

- La nuit de la tempête, elle a fui. Elle voulait fuir du moins comme j'avais voulu faire à l'époque. Mais elle en était incapable. Elle t'aimait trop et ne pouvait renoncer à toi. Alors, elle a voulu courir te retrouver et arrêter son expédition. Mais il était trop tard, lorsqu'elle a compris ce qui allait arriver, le mal s'était déjà produit et il ne restait plus rien. Tu avais disparu, tout comme les autres habitants de l'île. Et elle n'a pas cessé de t'appeler, de hurler ton nom pendant des lunes et des lunes, des nuits et des nuits sans jamais pouvoir te trouver. Alors, elle a fini par arrêter.

- Mais je ne comprends pas... marmonai-je. Si j'étais mort aussi, pourquoi je ne la voyais pas ?

- Parce qu'elle ne l'était pas. Elle a seulement fini par te rejoindre plus tard. Elle est morte de chagrin.

À cet instant, Johanna s'approcha de moi et voulut me serrer dans ses bras mais comme je m'y étais attendu la première fois, je ne pouvais la toucher. Je ne pouvais que la regarder et un vide s'emplit en moi.

Il me fallut quelques minutes pour reprendre mes esprits et poser des questions qui me démangeaient :

- Mais alors ma vie ici... Jess ? Le petit ? Papa ? Jack ? Et tous les autres ? Ils sont morts aussi ?

- Non, ils ont survécu, me dit ma mère.

- Tous ?

- Oui, tous.

- Mais alors cette vie que j'aie vécue... Je l'ai vraiment vécue ? Ou alors c'est une farce de plus ?

- Comme je te disais, tu t'es créé ta propre réalité, mon chéri. Et tu as vécu une situation qui arrive à bien des morts qui côtoient trop le monde des vivants. Tu t'es mis à vivre la vie d'un d'entre eux en oubliant que ta propre existence s'était arrêtée. Ton doux rêve est devenu ta réalité. Tu as continué à croire en ton existence de mortel et à imaginer ce qu'aurait été ta vie sans Johanna. Et Johanna, en t'attirant dans ce que tu pensais être des rêves douloureux ou des cauchemars, voulait te ramener à la réalité pour tout t'expliquer.

Je continuais de regarder JO qui s'était mis à fuir mon regard et qui se tournait maintenant vers l'horizon, vers cet océan infini.

- Mais pourquoi ne pas m'avoir fait comprendre plus tôt tout ça ?

- Parce que tu étais heureux, mon fils. Tu avais refait ta vie malgré tout, malgré la tempête au village, malgré la disparition de Johanna. Enfin, c'est ce dont tu t'étais persuadé. Seulement, un jour, tu as fini par sortir de ce doux rêve et c'est là que Johanna et moi avons réfléchi à ce plan pour tout t'expliquer. Le choix était terriblement compliqué mais nous avons pensé qu'il valait mieux tout te raconter.

- Et... Et ces moments où je rêvais avec Johanna, à quoi servaient-ils ?

- C'était le seul moyen pour elle de pouvoir continuer à te voir même si elle ne pouvait te parler. Elle tentait de recréer un lien en évoquant des souvenirs du passé, notamment tous ces moments où vous vous posiez plus jeunes face à la mer et rêviez d'une vie à deux.

Une amertume profonde me saisit. Comme si mon âme quittait mon corps... Pensée assez drôle, du moins ironique quand on y pense.

- Et toi, maman, comment es-tu morte ? Excuse-moi, mais tu vois ce que je veux dire ?

- Ne t'en fais pas, c'est normal. Je suis morte dans un naufrage il y a des années quand je tentais de quitter l'île pour pouvoir rejoindre le continent, peu après ta naissance.

- Mais... Mais pourquoi as-tu voulu partir ?

- Mike... Ne me dis pas que tu n'as jamais eu envie de partir de cette île, que ce soit durant ton vécu ou après ta mort. C'était le rêve de Johanna, rappelle-toi, celui de voir l'horizon, au-delà de ce que nous pouvions percevoir de nos propres yeux. Malheureusement, je n'ai pas eu cette chance. J'ai mis des années à comprendre que j'étais morte et que je ne pouvais plus communiquer avec vous. Ça a été épouvantable. Et au final, j'ai fini par l'admettre. J'étais heureuse de vous voir grandir et de voir ma famille s'épanouir, même si vous me manquiez terriblement.

J'étais perdu. J'avais véritablement tout oublié comme si un malade atteint d'un Alzheimer profond se réveillait d'un coup et découvrait la réalité de sa vie qu'il avait ommis durant tout ce temps. Sauf que dans mon cas, c'était ma mort que je découvrais. À cette pensée, j'eus un petit rictus sarcastique.

- Quel est le bonheur dans tout ça ? demandai-je d'un ton grave.

Ma mère me regarda avec ce que je décelais comme étant une véritable forme d'empathie. Elle croisa le regard de Johanna et toutes deux s'approchèrent de moi. Elles pointèrent le doigt dans la même direction :

- Regarde par toi-même, me souffla ma mère.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Alan Villemin ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0