Chapitre 12 Les Hackers
Les semaines suivantes me parurent des plus étranges. Je rentrais en contact avec un milieu totalement inconnu, avec des personnes totalement étrangères à mon univers, différentes de toutes celles que j’avais pu rencontrer jusque-là. Pourtant, Dieu sait que dans la recherche j’avais croisé pas mal d’individus aux personnalités peu banales. Mais ils appartenaient au même milieu que moi et je trouvais toujours avec eux des points communs auxquels je pouvais me raccrocher pour suffisamment les comprendre. Tandis que là, il s’agissait de véritables extraterrestres.
Dès le premier rendez-vous, je décidai de ne plus les rencontrer au laboratoire. Leur accoutrement et leurs manières parfois si étranges allaient forcément attirer l’attention. Le premier que je devais voir se faisait appeler Victorius. Il arriva au laboratoire habillé de noir, le visage couvert de piercings et une allure qui ne permettait pas clairement définir le sexe auquel il voulait appartenir. Il demanda à me voir à la secrétaire du département, d’une voix lente, oscillant entre les graves et les aigus. Elle se leva et vint me prévenir directement plutôt que me téléphoner devant lui. Elle m’indiqua qu’une personne très étrange se présentait et elle voulait savoir si elle devait appeler la sécurité « au cas où ». L’évènement se répandit de bouche à oreille dans tout le labo, et on me posa ensuite de nombreuses fois la question pour savoir de qui il s’agissait. À l’évidence, les rendez-vous au laboratoire rendaient vraiment trop compliquée la préservation d’un minimum de discrétion.
Parmi les candidats suivants, heureusement seule une minorité d’entre eux arborait aussi ouvertement un égo si décalé. Mais même s’ils s’habillaient de façon plus normale, dès que j’entamais la conversation, j’avais rapidement du mal à communiquer. Soit je ne comprenais pas leurs réponses, soit je n’arrivais pas à me faire comprendre, et la plupart du temps les deux à la fois. Ma première préoccupation s’attachait à connaitre leurs compétences en informatique, en particulier en programmation et développement de logiciels. La plupart ne voyaient pas les choses comme cela. Eux voulaient se montrer capables de tout faire, de tout apprendre. Ils étalaient leurs expériences et insistaient sur ce qu’ils avaient appris seuls grâce à leur intelligence ou à la passion qui les motivait. Ils ne répondaient pas souvent à mes questions, car mes questions ne les intéressaient pas, trop conventionnelles. Mais lorsque je leur présentais un des problèmes qu’ils devraient résoudre, beaucoup s’enthousiasmaient et me proposaient d’emblée des solutions. Certaines se montraient pour le moins innovantes sinon inattendues, ou carrément surprenantes d’ingéniosité. Quelques-uns maitrisaient une assez bonne connaissance des réseaux de neurones et de l’intelligence artificielle de type deep learning (1). Mais là où je trouvais les compétences les plus extrêmes, c’était autour des modules de sécurité qui devaient être mis en place dans Babette. Je décidai donc d’orienter mes entretiens vers le recrutement de personnes capables d’élaborer les modules qui nous permettraient de contrôler Babette sans qu’elle puisse nous échapper. Ces modules conditionnaient principalement le projet, le reste pouvait bien fonctionner à moitié et ne donner aucun résultat, il fallait que les modules de sécurité soient parfaitement inviolables, de l’intérieur par l’IA elle-même, comme de l’extérieur pour éviter sa prise de contrôle par un tiers non autorisé. L’équipe serait donc formée de Nicolas et de moi-même pour le développement des modules d’apprentissage, et nous utiliserions une équipe d’informaticiens issus de l’underground, « totalement » sous notre contrôle, pour ce qui serait des modules de sécurité.
(1)Méthodes d’apprentissage automatique tentant de modéliser avec un haut niveau d’abstraction des données ayant des applications dans de nombreux domaines comme la reconnaissance faciale ou vocale.
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