Chapitre 15-3 Un retournement
Nous prîmes le taxi et je décidai de passer d’abord par la résidence universitaire pour la ramener avant de poursuivre vers chez moi. Dans le taxi, la fatigue m’assaillit et fit jaillir un élan de tendresse qui me poussa à poser ma tête contre son épaule. Elle se laissa faire et me caressa la joue. Elle paraissait compatissante. Voyant l’état de mes mains, ou n’était-ce qu’un prétexte, elle m’invita à monter dans son studio, pour me soigner. Elle me désinfecta les plaies, m’appliqua des compresses imbibées d’un peu d’antiseptique qu’elle fixa avec un bandage. Les soins terminés, je pris l’initiative de lui caresser les cheveux en regardant ses yeux doux, puis sa tête entre mes mains et l’embrassai doucement. Puis plus fort.
Nous fîmes l’amour deux fois, tendrement, sans dire un mot, par peur de gâcher un instant magique avec des phrases inutiles, ou simplement par pudeur et timidité.
Le lendemain matin, elle se leva avant moi et me réveilla en m’apportant une tasse de café. Comme un présent pour me remercier de ma présence. D’un côté, j’étais gêné par l’attention, mais je me sentais tout de même à l’aise, comme si ce n’était pas une première fois, comme si j’avais déjà vu tous ses gestes. Peut-être, tout simplement, avais-je besoin de cela depuis longtemps.
J’avais une sacrée gueule de bois. Après les ibuprofènes et la douche, je passais un long moment assis sur son balcon, la tête dans du coton, à bavarder avec elle. Il faisait beau et l’air frais du matin me revigora le corps et l’esprit encore légèrement enfiévrés par l’alcool.
Nous échangeâmes sur toutes sortes de sujets ; cette jeune fille m’épatait par sa culture, son intelligence, sa pertinence. Elle répondait souvent avec humour ou ironie, parfois même avec sarcasme sans aller jusqu’à la méchanceté. Elle était sure d’elle et savait s’imposer. Finalement, la différence d’âge et de statut n’avait que peu d’effet entre nous, elle savait les gommer par sa maturité. Elle m’éblouissait, voilà la vérité. Mais même s’il eut été juste qu’elle me dominât totalement par sa jeunesse et sa beauté, je ne le lui accordais pourtant pas. Etant le plus adulte des deux, je m’imposais par mon expérience et un statut social largement au-dessus du sien. Il m’était impossible de la laisser aller jusqu’à me donner des leçons ou avoir le dernier mot. Quel que soit le sujet, je n’y arrivais pas, comme un regain d’orgueil mal placé. Alors parfois, l’échange se tendait un peu, elle ne comprenait pas ou pensait qu’il s’agissait de la part têtue de mon caractère. Pour un début de relation, cela augurait quelques moments difficiles par la suite. Mais si j’observais objectivement mes sentiments à ce moment-là, en face d’elle sur ce balcon, face à ce jeune corps magnifique dont je me rappelais les formes à travers la nuisette transparente, je pouvais affirmer sans hésitation que je l’aimais. Oui, je l’aimais déjà profondément. Un sentiment déjà trop grand s’était formé en trop peu de temps et cela me dérangeait. Mais c’était comme ça et quelque part, qu’est-ce que c’était bon !
Je partis vers quatorze heures pour passer chez moi me changer. Mais la fatigue reprit le dessus et je restais endormi jusque vers dix-huit heures. Ma femme et ma fille me réveillèrent lorsqu’elles rentrèrent. Jocelyne me jeta un regard noir. Je m’en foutais complètement. Ma fille ne me salua pas en me voyant et je m’en moquais aussi. La douceur des caresses, des regards et des mots de Michelle continuait de m’envelopper. Protégé par ce rempart de bonheur, rien de mauvais ne pouvait plus m’atteindre.
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