chapitre 16 Diane
Je continuais à travailler sur le projet. L’I.A. pouvait maintenant se connecter à tous les éléments matériels du serveur. J’avais vérifié un par un tous les drivers que j’avais modifiés à partir de leur version originale pour Windows ou Linux : ils permettraient à Babette de contrôler chaque pièce de la machine. Je devais maintenant programmer les différents apprentissages. Une grande partie des modules d’acquisition de données existait déjà, il ne restait plus qu’à les coordonner entre eux et avec l’IA pour les rendre les plus efficaces possibles. Au fur et à mesure que mon labeur avançait, je voyais la date d’implémentation de l’IA sur le dataserveur se rapprocher. Cela rajoutait à mon excitation et je redoublais de travail. J’y passais trop de temps, jour et nuit. Le jour dans mon bureau, la nuit je descendais au sous-sol dans la réserve de matériel de Nicolas maintenant transformée en bunker totalement sécurisé. Une telle intensité de travail que j’en oubliais parfois de manger.
Michelle m’appelait souvent, elle m’offrait ainsi le confort de ne pas avoir à y penser moi-même. Elle ne comprenait pas mon travail ni mes horaires. Elle commençait à douter de moi, de ce que je faisais, de tout. Et une femme qui doute devient méfiante, au point d’en perdre la confiance dans la relation elle-même. Elle se demandait surtout si je n’inventais pas tout cela pour masquer la reprise de ma relation avec mon épouse. Il aurait fallu que je fasse quelque chose pour la rassurer, mais je n’avais pas le temps de le faire, ni même le temps de m’en préoccuper.
Lorsque nous fûmes enfin prêts à implémenter l’IA sur le dataserveur, je sentis qu’il fallait que je prenne le weekend pour le réserver à Michelle. Il risquait de ne plus y avoir de moment de libre pour longtemps lorsque l’IA commencerait son développement. J’étais décidé à tout lui dévoiler, je l’aimais et il fallait me donner les moyens pour que cette relation fonctionne. Il fallait qu’elle soit dans le secret, voire qu’elle m’appuie ou qu’elle participe, dans une certaine mesure, à la réussite de mon projet. De toute façon, elle se posait déjà bien des questions et elle connaissait une partie de ce secret en la personne de Nikolaï. Ce weekend-là se présentait comme la meilleure opportunité, je sentais qu’ensuite il serait trop tard ; la machine serait lancée et le projet s’accélérant, elle ne pourrait plus prendre le train en route.
Je louai un gite rural dans la vallée d’Ossau, au fin fond des Pyrénées béarnaises. Ce lieu magnifique et apaisant pouvait être un l’endroit parfait pour pouvoir discuter autour de mes préoccupations, et convaincre Michelle d’adhérer totalement à mon projet. Nous nous étions organisés pour partir le vendredi soir vers vingt-deux heures, quand s’estomperaient les embouteillages de départ en weekend à la sortie de Bordeaux. Nous allions arriver tard, mais en évitant les difficultés de circulation. J’avais horreur de perdre mon temps dans le trafic routier. De toute façon, nous pourrions faire la grasse matinée aussi longtemps que possible le lendemain.
Le vendredi vers dix-sept heures, je reçus un appel. Nicolas me demandait de rencontrer sa candidate informaticienne le soir même. Je lui avais fait faux bond la fois précédente, quand j’avais continué la fête avec Nikolaï. Je ne pouvais décemment pas lui poser un lapin une deuxième fois, et il semblait que la personne n’avait pas d’autres disponibilités dans son emploi du temps. Je téléphonai à Michelle pour l’informer d’un retard possible de notre départ, puis j’attendis l’heure du rendez-vous dans mon bureau. Ayant épuisé les tâches à accomplir, je rêvassais en patientant devant mon ordinateur sur lequel je faisais défiler les unes des versions numériques des grands quotidiens d’information.
Vers vingt heures, je descendis pour me rendre jusqu’au bureau de Nicolas, histoire de voir si la fameuse candidate, tant recommandée, était déjà arrivée.
Elle attendait dans le couloir, plantée devant la porte du bureau. Ce ne pouvait être qu’elle, à cette heure-là, il n’y avait plus personne dans le bâtiment. Grande et longiligne, entièrement habillée de vêtements de cuir noir, elle se maquillait outrageusement, en particulier son rouge à lèvres trop rouge et tartiné au point de largement dépasser les contours des lèvres. Elle me regarda d’un air agressif à travers les longues mèches désordonnées de cheveux corbeau qui masquaient en partie son visage. J’avais maintenant pris l’habitude des personnages de l’Underground, je ne faisais plus cas de leur apparence et j’avais vu bien pire qu’elle.
― Bonjour, saluai-je en lui tendant la main.
― Vous êtes Nicolas ? demanda-t-elle sèchement, accompagnant sa question d’un mouvement nerveux et répétitif de sa jambe droite.
― Non, je suis Bruno Constantin, Nicolas n’est pas dans son bureau ?
― Je ne sais pas.
« Pourquoi demeurait-elle alors plantée devant la porte ? » me demandai-je. Je frappai trois petits coups pour voir.
― Apparemment, il n’est pas là. Mais ce n’est pas grave : en fait, je suis celui qui doit vous faire passer l’entretien, et Nicolas vous connait déjà, il me semble. Allons dans mon bureau, nous l’appellerons plus tard pour voir s’il a fini par arriver.
― Je n’aime pas les gens en retard, reprocha-t-elle à la porte fermée en face d’elle.
Puis, elle se retourna vers moi.
― Que voulez-vous de moi ? demanda-t-elle.
― Écoutez, je vois que vous êtes pressée et moi aussi. Allons dans mon bureau, nous n’allons tout de même pas faire l’entretien dans le couloir ! Bienvenue dans notre laboratoire, je m’appelle Bruno Constantin… tentai-je finalement, pour reprendre à zéro cette conversation qui partait mal.
― Pourquoi ? Ça change quoi, d’aller dans votre bureau ?
― Heu ? C’est plus confortable, il me semble…
― Vous n’êtes pas sûr ?
― De quoi ?
― Du confort de votre bureau.
― Mais si, bien sûr, pourquoi cette question ?
― Vous avez dit « il me semble ».
― Oui, bon, c’est une façon de parler. Allez, venez ! Je suis absolument sûr et certain que mon bureau est plus confortable que ce couloir, la rassurai-je en souriant.
Sa façon de me prendre au mot ne me déconcerta pas plus que ses vêtements, à cela aussi je m’étais habitué et j’en avais développé une patience singulière envers les formes de communication parfois très décalées de ce peuple venu des profondeurs numériques du Net.
Lorsque nous entrâmes dans le bureau, elle n’accepta pas de s’assoir. Elle tourna un peu en rond, se déplaçant lentement tout en répondant bon gré mal gré à mes questions. Elle finit par me dire qu’elle s’appelait Diane et était âgée de trente-cinq ans. Puis, elle se planta face à la tour du serveur et resta là, sans bouger, pour finir l’entretien.
― Savez-vous de quels types de compétences nous avons besoin pour nos recherches ? lui demandai-je en l’observant de loin depuis mon fauteuil.
― Plus ou moins.
― Vous connaissez le projet de recherche ?
― Plus ou moins.
― Qu’en pensez-vous ?
― Cela m’intéresse, je pense que je peux vous aider.
― Ah ! Très bien, et dans quel domaine de compétences ?
― Le hacking.
― Pourquoi pensez-vous que nous aurions besoin de pirater quoi que ce soit ?
― Nicolas m’a expliqué que votre I.A. devrait savoir pénétrer des systèmes pour y récupérer des données, je suppose que ce sont des sites autorisés, mais cela ressemble à du hacking. Il m’a dit que le serveur allait aussi se connecter à une énorme quantité de structures dont certaines peuvent être invasives en défense, donc qu’il lui faudrait aussi des modules de protection contre le hacking.
― Ah, OK. Et qu’en pensez-vous ?
― C’est ma spécialité. Si on est un bon hacker, on sait efficacement se protéger contre le hacking.
― Très bien. Quels sites avez-vous « hackés » jusqu’à présent ?
J’avais posé cette question de nombreuses fois durant les entretiens. La plupart du temps les exploits concernaient des sites Internet de particuliers ou de petites entreprises. Pour les plus forts, il s’agissait d’établissements bancaires, le plus impressionnant fut celui qui avait pénétré la banque de données d’une filiale connue de carte bleue dont il ne me donna jamais le nom. On peut supposer que c’est le genre d’établissement qui protège extrêmement bien ses data centers, il s’agissait donc d’un véritable exploit. Elle tourna la tête vers moi et sortit quelque chose de sa poche.
― Attrape, me dit-elle en me lançant à travers la pièce une clé USB.
― Merci, lui répondis-je en introduisant la clé dans le lecteur de mon ordinateur.
L’écran devint noir puis une vidéo commença à se lire automatiquement. On y voyait Diane devant un ordinateur dans une salle dont l’obscurité ne permettait pas d’en distinguer la décoration. Elle passa d’abord un coup de téléphone pour obtenir, par une ruse classique, un code de maintenance de la part de celui qu’on pouvait imaginer être un gardien ou un responsable de la salle de vidéosurveillance d’une sorte d’entreprise ou d’institution. Grâce à ce code, elle pénétra dans le système où elle implanta un logiciel. Elle quitta le système de sa cible et lança le logiciel capable de correspondre avec celui qu’elle avait implanté. Ce dernier lui fournit alors une liste de logins et leur code secret. Puis elle se reconnecta au système avec un des logins obtenus grâce au logiciel espion. Après quelques clics dans une série de dossiers et finalement sur un fichier exécutable, apparut à l’écran une carte du monde. Elle fit un zoom puis commença à la parcourir. Au milieu des océans, de petites icônes apparaissaient. Chaque fois qu’elle passait le pointeur dessus, des noms s’affichaient : Perles, Vigilant, Terrible, Tourville, De Grace, Casabianca. Un effort de mémoire me permit de deviner qu’il s’agissait des différents sous-marins nucléaires d’attaque et lanceurs d’engins français. La vidéo se coupa et l’écran resta noir.
― Ah oui ! Tout de même ! Vous avez piraté le site de la marine française ?
― Non, le Centre de Planification et de Conduite des Opérations. Un abri nucléaire à la con, construit au sous-sol de l’état-major des armées, mais dans lequel j’ai pu m’infiltrer sans problème, termina-t-elle dans un petit rire orgueilleux.
Je tapotais sur le clavier machinalement, mais l’écran demeurait noir.
― Tiens, on dirait que votre vidéo a fait bugger mon ordi.
Elle sourit. J’appuyais sur le bouton « On », l’ordinateur se relança et apparut un écran bleu avec une case incluant cinq tirets pour y entrer un code.
Je la regardai mécontent :
― Ne me dites pas que vous avez introduit un virus ? Non, mais ce n’est pas vrai, ce n’est pas un jeu tout de même ! Qu’est-ce que vous avez fait ?
― Rien, je vous ai juste donné une clé USB. Le reste, c’est vous.
― Oui, bon, c’est super rigolo. Je vous ai fait confiance, c’est tout. Ce n’est pas très malin !
― C’est comme vous le dites, « vous » n’êtes pas très malin.
― Allez, dites-moi comment on arrête ce truc, rétorquai-je très énervé. Ce n’est vraiment pas drôle, j’ai pas mal de données très importantes sur cet ordinateur.
― Ah ? C’est pour cela que vous prenez de telles mesures de sécurité, alors !
― Oh, ça suffit maintenant ! D’accord, j’ai fait une erreur, je retiendrai la leçon, voilà, vous êtes contente ? Allez, donnez-moi le code, soyez gentille.
― Ce n’est pas très important.
― Quoi ? Qu’est-ce qui n’est pas important ?
― Tout cela, le code, votre imprudence, ma gentillesse…
― Nom de Dieu, mais qu’est-ce que vous racontez ? Allez, je vous le redemande gentiment, donnez-moi le code, s’il vous plait.
J’étais confus. Je ne savais que faire, je ne savais pas menacer les gens. J’étais très stressé rien qu’à la pensée de perdre tout le travail que j’avais mis dans cet ordinateur. C’était horrible.
― Cinq, huit « A », « Z », trois. Mais ce n’est pas important.
― Merci.
Avec soulagement je voyais les icônes habituelles s’afficher les unes après les autres sur la fenêtre du bureau de Windows. Pourtant, je repensai à ce qu’elle n’arrêtait pas de me répéter.
― Mais qu’est-ce qui est important ? lui demandai-je, soudain inquiet.
― Ce que nous avons fait à votre ordinateur, dit-elle au même moment qu’elle se déplaça tel un félin à travers la pièce, sauta et se retrouva assise sur mon bureau. À moitié allongée, reposant sur son coude gauche et penchée vers moi, sa figure se trouvait à quelques centimètres de la mienne.
― Tu ne crois tout de même pas que je vais dévoiler un hacking qui pourrait me valoir la prison sans prendre quelques précautions, tout de même !
Je restai figé de surprise devant son étrange visage me faisant face d’aussi près. Ses yeux de glace bleu foncé plongèrent dans les miens et je sentis mon cœur se serrer d’un coup. Elle avait comme un pouvoir générant à la fois l’inquiétude et la timidité. Je ne sais pourquoi, mais je me souviens de ma remarque dans ce moment aux allures tragiques : « Cette femme a quelque chose d’extraordinaire. » Sous la pression de son regard, je baissai les yeux et comme elle était penchée en avant, mon regard plongea dans l’échancrure béante de son teeshirt lâche car trop usagé. J’aperçus ses deux petits seins nus, fermes et bien faits, pendant vers le bas. Cela ne dura qu’une demi-seconde, mon regard se détournant de suite, mais l’image de ses seins perdura fermement. Oui, cette femme, ses yeux, ses seins, son visage à quelques centimètres du mien, m’avaient complètement chamboulé. Cela n’avait pas de sens, car elle n’était pas du tout mon genre, elle ne me plaisait pas. Mais cette émotion qui m’avait envahi en un instant, à ce moment-là, me poursuivit durant plusieurs heures.
― Mais de quelles précautions parlons-nous ?
― Écoute-moi bien, le chercheur en intelligence artificielle : le programme que j’ai introduit avec ma clé est polyvalent. Il est, entre autres, capable de détruire toutes les données de ton ordinateur en les rendant à jamais irrécupérables. Ce n’est pas la seule chose qu’il sait faire, mais le reste, ce sera la surprise. Si jamais tu essaies de l’enlever, de le détruire, le désinstaller, de l’effacer, ou ne serait-ce que d’y accéder, le programme saura se défendre et déclenchera la destruction de tout le travail que tu as mis dans cette machine. C’est compris ?
― Bon, écoutez, je ne suis pas de la police, je me fous de votre hacking et de tout ce que vous avez pu faire de pire. Mais si nous devons travailler ensemble, il va nous falloir un minimum de confiance. Alors, s’il vous plait, enlevez ce truc de ma machine.
― Non, répondit-elle en levant ses jambes pour faire un quart de tour telle une toupie, les fesses assises sur le bureau. Elle sauta de l’autre côté et marcha nonchalamment vers le serveur. Elle s’y arrêta de nouveau.
― Alors, c’est ça la bestiole, constata-t-elle d’un ton détendu.
― Oui, répondis-je désemparé, ne sachant plus quoi dire pour qu’elle enlève son virus de mon poste de travail.
― Putain, je n’avais jamais rien vu de pareil ! Qu’est-ce que c’est que ces cartes mères ? Une fabrication russe on dirait. Ne me dites pas que ce système de refroidissement, c’est pour des supraconducteurs ?
― Si, lui répondis-je, impressionné par cette remarque révélant ses connaissances approfondies des dernières technologies en matière de matériel informatique.
― Des supraconducteurs, ça c’est de la bombe ! C’est plus qu’un serveur de données, dites-moi. Il est associé à un supercalculateur. Pourquoi n’avez-vous pas implanté votre I.A. sur des serveurs distants, dans le cloud ? Ça vous aurait permis de gagner de la place pour une puissance tout aussi grande, voire supérieure.
― On ne pouvait pas. Ce serveur permet justement de tester Babette sans qu’elle soit connectée au réseau. C’est précisément ce dernier point que nous voulons éviter.
― Ah bon… Et pourquoi ne voulez-vous pas la connecter au réseau ? Il suffit de bien la protéger, les serveurs du cloud sont totalement cryptés et pratiquement inviolables. Le risque de vous la faire hacker est minime.
― Nous n’avons pas peur pour elle, mais c’est d’elle dont nous avons peur, souriais-je, fier de ma formule.
― Peur d’elle ? Vous avez peur de votre propre création ?
― Oui, notre recherche consiste justement à tester ses possibilités et ses réactions. Tant que nous ne sommes pas surs de sa façon d’évoluer, nous ne pouvons pas prendre le risque de lui donner l’accès au réseau mondial, vous comprenez ?
― Mouais, mais bon, ce n’est qu’une machine ! Si elle fout la merde, le bouton « Off » suffit à la calmer une bonne fois pour toutes !
― Justement, si le bouton « Off » est celui d’un serveur du cloud, il n’est pas très pratique d’accès.
― Alors, vous devez avoir d’autres machines, car ce que je vois là me parait bien léger.
― Oui, dans mon bureau la machine ne contient que la première couche neuronale. Nous avons une machine bien plus puissante pour les sous-couches neuronales profondes.
― Plus puissante… Vous utilisez aussi des puces quantiques ?
― Effectivement, les sous-couches neuronales sont supportées par un ordinateur semi-quantique. Il nous était impossible d’avoir les conditions matérielles et les moyens financiers pour un ordinateur quantique, ne serait-ce qu’une machine de cent qubits (1)coute un prix exorbitant.
― Alors ?
― Nous avons installé une des sous-couches neuronales les plus profondes supportées par des puces en silicium comportant une part de quantique. Elles gèrent certains calculs spécifiques pour lesquels le quantique a une efficacité très supérieure. Elles sont là seulement pour soulager le calculateur, cela nous fait gagner pas mal de puissance.
― Putain, j’ai trop envie de bosser avec vous ! Je n’aurai jamais une autre occasion. Demandez-moi ce que vous voulez, je suis sûre que je vous serai utile.
Elle parlait maintenant d’une voix douce et calme, le contraire du début de l’entretien.
― Comme je vous l’ai dit, nous avons l’habitude de travailler avec des chercheurs que nous connaissons. Le principal problème pour intégrer une personne extérieure, c’est la confiance.
― Je comprends, je suis dans cette situation depuis quinze ans. Personne ne peut faire confiance à personne, je l’ai compris très vite. J’ai toujours travaillé seule ou la plupart du temps, dans des collaborations à distance et anonymes. Pour moi non plus ce n’est pas simple. Mais là, je vous le dis, je veux bien faire un effort. Ça m’intéresse trop votre projet. J’accepterais même de travailler sans être payée. L’argent je m’en tape, je peux en avoir autant que je veux, mais ça ne m’intéresse pas.
Elle semblait sincère et motivée. J’eus finalement envie d’accepter.
― Si vous êtes prête à faire des efforts, alors faites un premier geste, lui proposai-je en hochant la tête vers mon ordinateur.
Elle me regarda longuement depuis la profondeur de l’océan Arctique de ses yeux. Puis elle avança vers moi, se planta à côté de mon fauteuil jusqu’à ce que je lui cède ma place devant le clavier. Après quelques manipulations, elle fit apparaitre à l’écran: ‘Are you sure you want to completely remove deadly pathogen 3.2?’. Elle me lança un air interrogateur. Je lui fis signe de poursuivre. Elle effaça son programme espion et destructeur.
― Même comme cela, je dois vous faire confiance, car vous seriez bien capable de me laisser encore quelques virus cachés. Mais bon, je pense que nous allons essayer de bosser ensemble. Nous allons implémenter Babette sur le serveur la semaine prochaine. Quand pouvez-vous commencer ?
― Je suis libre, je peux commencer dès maintenant si tu veux. Parce qu’on ne va pas continuer à se vouvoyer éternellement, hein ?
― D’accord. Alors, soyez-là, pardon, sois-là à dix heures lundi matin.
Elle me regarda en acquiesçant d’un signe de la tête. Elle se retourna quelques secondes vers le serveur puis se dirigea sans un mot de plus vers la porte et sortit en la laissant entrouverte.
Elle semblait avoir certaines compétences qui pouvaient être utiles, mais de là à dire que j’étais sûr de mon choix ! Son attitude étrange, comme celle de tous ceux de son milieu, et le peu de moyens que j’avais de vérifier ses compétences techniques et surtout la façon dont elle travaillait, me faisaient autant douter que l’impossibilité de savoir si on pouvait lui faire confiance au niveau de la sécurité.
La réalité, c’est qu’une première échéance très importante pour le projet approchait et que je n’avais pas envie de continuer à recevoir des candidats. C’est surtout cette urgence-là qui m’a finalement décidé.
122
(1) Unité de mesure de la puissance de calcul des puces quantiques.
Annotations