Chapitre 28-1 L’audit

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Cette fois, j’avais de nouveau l’impression d’avoir sorti la tête hors de l’eau. Le programme de bridage fut installé en quelques minutes et devint immédiatement invisible après les corrections faites dans l’historique de la mémoire centrale par Diane. Il fonctionnait parfaitement, on percevait à peine quelques perturbations de la vitesse sur des opérations particulières. Il se déclencherait automatiquement dès que l’I.A. entamerait des opérations désignées comme sensibles. Il faudrait alors un code administrateur particulier pour pouvoir le désactiver. Diane avait participé sans objection, elle paraissait comprendre parfaitement les enjeux et approuver mon action. Elle garderait donc le secret.

Dès le lendemain, je reçus un courriel de mon directeur. Darley me convoquait dans son bureau, me laissant immédiatement penser que l’accalmie dans la tempête des emmerdements serait peut-être de courte durée.

Bernard Darley me reçut tout sourire, me salua aimablement et me pria de m’assoir.

― Comment vas-tu Bruno ? Cela fait un bon moment que je n’ai pas eu de tes nouvelles ! Alors, raconte-moi, où en es-tu ?

― Ça va, je refais surface. Un divorce, c’est tout de même un sacré coup dur dans la vie.

― Oui, bien sûr, bien sûr, je comprends, marmonna-t-il gêné.

Ce n’était pas le sujet dont il voulait me parler, mais bien le sujet qu'il aurait dû évoquer s’il avait fait preuve d’un minimum d’humanité envers moi…

― Et les enfants, tu les vois tout de même, ça se passe bien avec eux ?

― Je les vois régulièrement, la plus grande me fait la gueule, mais ça va lui passer peu à peu. Pour l’instant, elle donne raison à sa mère, rien de plus normal.

― Finalement, cela tombe bien cet arrêt du projet, ça te laisse un peu de temps pour te remettre de tes problèmes familiaux, tenta-t-il de positiver.

J’hésitai à en remettre une couche pour me faire plaindre davantage et pour ainsi l’empêcher de m’annoncer de nouveaux problèmes. Mais je n’en fis rien, après tout cette attitude était trop lâche d’autant plus qu’en réalité j’étais une victime qui avait rapidement retroussé les manches pour se battre. Après ces dernières semaines et tous leurs rebondissements, je pouvais affronter n’importe quoi !

― Au fait, lança-t-il d’un ton faussement léger ; j’ai reçu les résultats de l’audit.

― L’audit ? Quel audit ?

― L’audit de décembre, tu sais bien. Bon, il faut juste qu’on voit quelques détails ensemble.

Je me rappelais vaguement avoir vu passer un ou deux courriels à propos d’un audit, je ne les avais certainement pas lus et complètement oubliés jusque-là.

― Nous voulions évaluer la capacité de notre réseau et de notre parc de machines, en fonction de l’utilisation qui en était faite pour savoir si nous devions ou pas le faire évoluer. Alors voilà, ils ont fait des tests il y a quatre ou cinq semaines ; et la bande passante était saturée à quatre-vingt-dix pour cent. Ils ne s’attendaient pas à un tel résultat et ils ont donc cherché d’où venait cet intense trafic de données. Et ils sont tombés sur le « tuyau » qui alimente ton labo.

― Ah, c’est bien, ça veut dire qu’il y a une intense activité dans mon laboratoire. Donc, tu t’es dit que tu allais augmenter mon salaire ? ironisai-je.

― Non, bien sûr, mais avoue que c’est curieux pour un laboratoire censé ne pas avoir de projet en cours !

― Oui, curieux. Il faut dire que Diane, tu sais la stagiaire, elle passe son temps sur des jeux vidéo en ligne. C’est surement lors d’une cession de War Craft douze qu’ils ont fait leur mesure.

― Eh bien, figure-toi qu’ils ont voulu savoir de quelles sortes de données il s’agissait. Et ils n’ont pas pu lire quoi que ce soit, les paquets étaient cryptés avec une clé de très haut niveau de sécurité et des routages complexes empêchaient d’en voir la provenance.

Il me libérait ainsi en m’offrant la faille que j’attendais. Je me mis à hurler dans son bureau, dans une rage folle. Comment avait-il osé demander de lire les données qui arrivaient dans mon laboratoire ? C’est une atteinte grave à la confidentialité. « Ils avaient finalement eu de la chance de ne pas pouvoir lire les données, sinon ils auraient tous terminé au tribunal, la société d’audit et lui-même ! Et ils avaient de la chance que je ne porte pas plainte malgré tout ! »

Cet esclandre me sauvait temporairement de toute justification à donner ; jamais il ne se serait permis de me redemander quoi que ce soit dans une situation pareille. J’eus l’intelligence de ne pas me focaliser seulement sur la faute de confidentialité qu’il avait commise, mais je lui montrais bien que je n’attendais que ce genre d’erreur de sa part pour me venger de l’arrêt du projet. C’était bien plus crédible à ses yeux, même si c’était une pure invention de ma part. Son audit, en soi, je n’en avais cure : seul le moment malencontreux de la mesure, qui avait dû tomber pile lors de l’aspiration des données du web sur le serveur, me préoccupait. Le reste n’était que du théâtre de ma part, et j’étais assez fier de mon one man show.

Je quittai Darley sur une petite victoire supplémentaire, mais malgré tout, dans le couloir, je me mis de nouveau à stresser. Assurément, le contrecoup de l’énergie qu’il avait fallu que je mette dans cette scène de rage feinte contre mon directeur. Maintenant que la tension retombait, je me sentais vidé de toutes mes forces. Il y avait aussi toutes les hypothèses négatives que je pouvais faire en imaginant le futur proche. Darley risquait de revenir à la charge, il pouvait le faire en relançant l’audit contre moi. Peu importe, pour le moment, j’en étais débarrassé ! C’est ce qui comptait maintenant, je devais arrêter de faire des suppositions et continuer de vivre dans le présent sans imaginer tout ce qui risquait de m’arriver ensuite, Chinois et Américains inclus !

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