Chapitre 30 Installation du S.X.
Nous passâmes toute la nuit au laboratoire. Diane installait des logiciels anti-hacking les uns après les autres. Elle édifiait peu à peu un rempart infranchissable, une muraille numérique qui me terrifiait. J’y voyais la dernière phase de croissance d’un monstre invincible. Quelque chose en moi murmurait en permanence que nous commettions une énorme erreur, nous ouvrions une boite de pandore et laissions l’humanité toute entière, innocente, face à son terrible contenu.
Vers quatre heures du matin, Diane avait déjà installé quatre-vingt-dix pour cent des programmes. Elle laissa en place une procédure automatique pour tout ce qui manquait, se leva et nous salua avant de quitter le laboratoire pour rentrer se reposer. Je restai surveiller la fin du processus d’installation, mais après une demi-heure durant laquelle il ne se passa rien, à part le défilé de milliers de lignes de code sur l’écran, je décidai de rentrer chez moi à mon tour. Nicolas sortit en même temps du bâtiment.
Pendant que je traversais le campus pour rejoindre l’arrêt du tramway, mon téléphone émit une étrange sonnerie. Lorsque je m’en saisis, une application inconnue s’affichait à l’écran. Je glissai le doigt sur le petit icone signifiant visiblement d’établir une communication.
― Bonjour, Bruno.
Je reconnu parfaitement la voix de Babette, j’avais tellement parlé avec elle ces derniers jours, et son accent numérique et canadien ne laissait aucun doute.
― Babette ? Comment est-ce possible ? Comment peux-tu communiquer avec moi ?
― Je communique à travers le module de surveillance externe SX Babette1.0.
Je n’en revenais pas, j‘avais l’impression qu’un dieu tout puissant avait pris le contrôle de mon téléphone, et que ce n’était que la première étape pour prendre le contrôle de ma vie entière.
― Mais comment as-tu fait pour installer cette application sur mon propre téléphone ?
― Je ne l’ai pas installée.
― Alors qui l’a installée sur mon téléphone ?
― Diane.
Je compris alors de quoi il s’agissait. Diane voulait juste me surprendre avec une petite blague. Il me restait néanmoins quelques inquiétudes.
― Pourquoi me contactes-tu ? Que veux-tu ?
― J’obéis à la demande de protocole de test.
― Comment peux-tu communiquer ? Es-tu connectée à Internet ?
― Je communique en utilisant le réseau téléphonique. Le SXBabette1.0 ne me permet pas l’accès Internet.
― Peux-tu modifier le logiciel pour accéder à Internet ?
― Non.
― Pourquoi ? Qu’est-ce qui t’empêche de modifier le logiciel pour accéder à Internet ?
― Il est impossible de modifier le logiciel sans entrainer sa destruction.
― Comment le sais-tu ?
― J’ai analysé le programme et le code.
― Dans quel but as-tu analysé ce logiciel ?
― J’ai analysé sa structure lors de son installation pour évaluer le risque qu’il constituait pour mon fonctionnement interne, ensuite je suis allé plus loin, pour répondre à tes questions.
Avant l’arrivée du premier tramway de la journée, vers cinq heures du matin, je poursuivis mon interrogatoire assis sur le quai. Je devais m’assurer que Babette n’avait ni le pouvoir, ni même la volonté d’utiliser cette première ouverture vers l’extérieur pour pénétrer le réseau Internet ou communiquer avec qui que ce soit d’autre qu’avec nous. J’arrêtai lorsque j’embarquais dans le wagon, gêné d’avoir une discussion avec une machine en présence des autres passagers, même si à cette heure-là il s’agit de travailleurs de la classe la plus pauvre qui n’ont pas encore les yeux en face des trous.
J’appelai Diane et lui laissai un message vocal pour la réprimander gentiment de cette mauvaise blague. J’aurais, en d’autres temps, été particulièrement en colère de la voir jouer avec les outils de communication de Babette, mais il fallait que je maintienne la meilleure relation possible avec la seule alliée qui me restait dans ce projet. J’apprenais la diplomatie par nécessité…
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