Chapitre 31 Changement de cap

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Dans le tramway, deux hommes au fond du wagon attirèrent mon attention. Ils se connaissaient, ils étaient ensembles, mais ne se parlaient pas. J‘acquis la certitude que leur regard fuyant à chaque fois que j’essayais de le croiser, et l’insistance qu’ils avaient chacun leur tour à m’observer, n’étaient pas naturels. Ils avaient beau être parfaitement communs dans leurs vêtements et leur comportement, et moi en rien un expert pour déjouer les filatures de professionnels, mais ce furent ces regards ou je ne sais quelle intuition, stimulée par ma paranoïa et certainement mon manque de sommeil, qui me poussèrent à me méfier. Ils devaient être là pour m’espionner me serinait une petite voix.

Je décidai de faire un test et me levai pour avoir l’air de descendre deux stations plus tôt que mon véritable arrêt. Ils se levèrent peu après moi, avant l’ouverture des portes. Je ne descendis pas, eux non plus. Cette fois, j’éliminai la possibilité de pensées paranoïaques de ma part, ils étaient là pour moi, c’était sûr ! Je ne les regardais plus directement et eux non plus ne dirigeaient pas leur regard dans ma direction.

Deux arrêts plus tard, je quittai le wagon, suivi de loin comme prévu.

Je ne pouvais pas me rendre chez moi, c’était trop risqué, j’avais peur de m’y retrouver seul. Je décidai de me rendre chez Michelle. Tout en marchant, je commandai une voiture UBER sur mon smartphone, je lui indiquai un point de prise en charge quatre rues plus loin. J’eus de la chance, lorsque j’arrivai au coin de la rue, la voiture s’arrêtait à l’autre bout. Les deux hommes se trouvaient à plus de cent mètres derrière moi, d’un petit geste qu’ils ne pouvaient pas voir, je fis signe au chauffeur de venir jusqu’à moi. Le véhicule s’approcha lentement alors que je continuais de marcher vers lui. Au moment où nous allions nous croiser, il s’arrêta et je montai précipitamment dans la voiture. Le chauffeur démarra et passa devant les deux hommes qui, totalement surpris, restaient figés sur le trottoir en regardant passer notre voiture devant eux. Fier de moi, je les avais bien bernés. Je me dis qu’il suffisait de peu de chose pour être meilleur que ces soi-disant agents secrets. L’intelligence d’un scientifique, appliquée à la situation, permettait d’avoir l’avantage sur ce genre de brutes épaisses sans cervelle. Bon certainement très présomptueux de ma part, cela me faisait du bien. Étaient-ce des Russes ? Des Américains ? Ils n’avaient pas le type asiatique en tous les cas. Je regardais régulièrement dans le rétroviseur et me rassurais en ne voyant aucun véhicule nous suivre. J‘affichai un tel sourire de satisfaction que le chauffeur, pour entamer la conversation, me demanda si j’avais eu une bonne nouvelle. « Vous ne pourriez pas comprendre… » répondis-je d’un air entendu et légèrement condescendant de l’espion qui en savait trop. Mais juste aprés, je me dis qu’avec les moyens de leur service, ils avaient surement bien d’autres outils pour me tracer. Cela je ne pouvais rien contre. Alors à quoi cela avait-il servi de les semer ? Je me trouvais de nouveau ridicule et impuissant. Mais finalement cela m’avait fait plaisir d’etre plus fort qu’eux alors je chassai le tout de mes penser et fit l’effort de passer à autre chose.

Après avoir salué le chauffeur, je descendis de la voiture. Je fus empoigné par derrière et par le col, par une force gigantesque qui me fit virevolter et me projeta à l’intérieur d’un gros quatre-quatre noir. Je n’avais absolument rien vu venir, ni l’homme qui m’avait attrapé ni même le gros quatre-quatre stationné à trois mètres de là.

À l’intérieur, m’attendaient l’un des Chinois du premier rendez-vous, celui avec le col roulé et la tête d’abruti, et un autre Asiatique que je n’avais jamais vu. Celui qui m’avait poussé à l’intérieur referma la portière vivement et demeura sur la chaussée à côté du véhicule.

Je n’eus pas le temps d’avoir peur, le sentiment d’une impression de ridicule m’envahit alors revenant sur le souvenir des pensées orgueilleuses qui m’avaient traversé l’esprit juste avant. Je regardais les deux Chinois alternativement, tentant de me préparer à donner des explications.

Celui que je ne connaissais pas me gifla d’un coup sec et que je n’eus pas même le temps de voir venir. Il eut quelque part raison, cela me remit à ma place et m’obligea à prendre immédiatement conscience du contexte dans lequel je me trouvais. Ce seul geste m’invitait à la prudence et à la soumission. Ils étaient les plus forts, c’était dès lors parfaitement clair. D’un autre côté, la violence dans laquelle ils m‘avaient plongé avec ce coup, commença à me submerger et provoqua en moi un énorme stress, en un instant je perdis tout contrôle, et en particulier mon self contrôle.

La voix tremblante, à la fois choquée, en colère et remplie de peur, je commençai par montrer ma rébellion défensive :

― Vous… Vous… Vous n’avez pas le droit ! Qu’est-ce qui vous prend ? Laissez-moi sortir de cette voiture, d’abord ! finis-je par hurler.

Un violent coup donné à l’aide d’un objet m’atteignit en plein sur le côté du crâne. Le Chinois au col roulé, qui était assis à l’avant, avait surgi depuis son siège pour me l’asséner. Je portai ma main gauche à ma tête pour y comprimer la douleur sans un gémissement, puis me frottai vivement le cuir chevelu pour l’effacer au plus vite. Lorsque je relevai la tête, je me rendis compte qu’il m’avait frappé avec un pistolet qu’il tenait dans la main, bien en évidence, comme pour me menacer de recommencer et m’intimer de me tenir à carreau.

― Monsieur Constantin, vous n’êtes plus en position d’exiger quoi que ce soit, me dit calmement l’homme assis à l’arrière avec moi. Vous devez maintenant simplement obéir et vous taire. Écoutez-moi bien, suivez les ordres à la lettre, et tout se passera pour le mieux. Dans le cas contraire, monsieur Constantin, nous serons obligés d’en venir à des méthodes extrêmement violentes et douloureuses pour vous et votre famille. Vous comprenez, monsieur Constantin ?

― D’accord, j’ai compris. Je ferai tout ce que vous voulez. Mais laissez ma famille en dehors de tout ça.

Il me remit une gifle du revers de la main. Ma lèvre se mit à saigner. Je sentis le désarroi s’emparer de moi, je commençais à paniquer malgré tous mes efforts pour me calmer intérieurement.

― Vous ne comprenez pas. Vous n’avez aucune suggestion à faire. Vous devez obéir à tout, sans réfléchir à quoi que ce soit. Vous n’avez plus rien à négocier, ce que vous nous proposons est obligatoire et sans condition. OK ? Et si nous en sommes arrivés là, c’est de votre faute : il ne fallait pas essayer de négocier avec d’autres Etats dans notre dos.

― Mais, heu… D’accord, oui, d’accord. Je ferai ce que vous voulez. D’accord…

Je sentis des larmes monter. La peur pour moi et ma famille grandissait et alimentait un état de stress, un nœud au ventre, un sentiment d’impuissance, qui poussaient les larmes à brouiller ma vision. Je résistai, par honneur et parce que je pensais qu’il ne fallait pas me montrer faible face à eux. Surtout pour ma famille, à laquelle je pensais plus que tout à ce moment-là, il fallait me montrer fort pour les sauver.

― Monsieur Constantin, vous devez comprendre que nous ne travaillons jamais de cette façon. Mais c’est ici un cas de force majeure, nous ne pouvons pas faire autrement. Êtes-ous plus ou moins conscient d’être la cible de plusieurs états pour vos travaux ? Or votre façon d’avancer dans vos recherches pose un problème à tout le monde, la concurrence est trop grande nous sommes tous trop proche les uns des autres et les réactions sont imprévisibles. Aussi, nous nous devions être les premiers à agir et d’etre les plus efficaces. Et savez ce qui nous a permis d’échapper à la surveillance des autres, ce qui nous a offert la petite faille de sécurité que nous attendions pour agir, une fenêtre durant laquelle nous sommes invisibles à la fois aux yeux de ceux qui vous protège comme de ceux qui veulent s’en prendre à vous ?

― Non…

― Mais c’est vous monsieur Constantin ! Personne n’imaginait que vous alliez semer vos protecteurs les plus proches, ceux de la DGSI ! Et ça, le jour où nous vous avions justement débarrassé des mouchards électroniques américains. Vous voyez Monsieur Constantin, une chance pareille ne se reproduira pas deux fois. C’est pour cela que nous ne pouvons nous permettre un échec à cause de votre mauvaise volonté. Notre temps est compté sur votre territoire. Si je vous raconte tout ça, ce n’est pas pour nous excuser pour notre violence envers vous, mais simplement pour que vous compreniez bien les enjeux et que nous ne plaisantons pas. Nous ne pouvons-nous permettre ni d’échouer, ni même de perdre du temps. Nous utiliserons tous les moyens pour cela, même ceux que vous ne pouvez imaginer et dont les conséquences seraient terribles pour vous et votre entourage. Est-ce que votre situation est claire maintenant ?

Je fis un oui de la tête.

― Vous allez avant tout nous fournir le programme d’intelligence artificielle sur lequel vous travaillez. Nous allons vous donner l’adresse d’un serveur distant sur lequel vous allez intégralement le transférer. Nous vous donnons deux jours, quarante-huit heures et pas une minute de plus.

Je saisis instinctivement, sans même réfléchir la branche au-dessus du torrent qu’il me tendait tout à coup pour sortir la tête de l’eau.

― D’accord, pas de problème, je transfèrerai l’ensemble du programme dès demain. Par contre, je pense que cela prendra beaucoup plus de temps.

Il me gifla de nouveau et l’autre me donna un brutal coup de crosse de pistolet sur la cuisse, dont cette fois la douleur m’arracha un cri. Par réflexe, je mis les mains en avant pour me protéger, il me donna alors plusieurs coups de pistolet sur les mains et les avant-bras. Jusqu’à ce que l’autre lui ordonne d’arrêter. Ils me laissèrent quelques secondes pour me remettre. Je gardais les bras en protection devant mon visage.

― Monsieur Constantin, vous devez obéir, vous avez quarante-huit heures pour transférer le programme. C’est clair ?

― Oui.

― Si vous n’y arrivez pas, nous nous en prendrons à votre famille, c’est clair ?

― Oui.

― Encore un conseil, n’essayez pas de jouer avec les données que vous allez transférer. Nous avons des informaticiens compétents qui vont les analyser. Un, en particulier, que vous connaissez bien.

Je baissai les bras et levai les yeux vers lui, osant à peine l’interroger du regard.

― Mateo Jongleur a accepté de son plein gré de travailler pour nous…

Comment avait-il pu ? Pire qu’une dernière gifle…

― Ne faites pas cette tête, il ne comprend pas vraiment pour qui il travaille ni pour quoi. Juste pour énormément d’argent sans poser de question. Vous devrez tout faire dans la plus grande discrétion, même votre équipe ne doit pas etre au courant. Si jamais vous faites un faux pas, un des autres services de renseignement pourrait se rendre compte de ce qui se passe et ce serait une catastrophe pour vous. Avez-vous conscience que ce sont quatre services, dont trois étrangers des pays les plus puisant de la planète qui vous espionnent à la fois ? Microphones, mouchard, satellites, équipes d’agents, et j’en passe… Et pourtant vous devez réussir sans qu’aucun ne sache que vous transférez le programme. Alors faites bien attention à aussi protéger votre connexion, tout doit etre crypté et envoyé par un moyen indétectable. Mais je crois que vous avez la collaboratrice qu’il faut pour cela…

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