Chapitre 32 De pire en pire

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J’étais dans un état pitoyable. Je titubai jusqu’au banc devant l’entrée de la cage d’escalier de l’appartement de Michelle et m’y effondrai. En larmes. Je me sentais responsable de la mise en danger de ma famille, de mes enfants, et totalement impuissant. Le contrecoup de la violence que je venais de subir s’y rajoutait. Je n’en pouvais plus, j’avais envie de tout lâcher et de me mettre une balle dans la tête.

Michelle passa la fin de nuit à me consoler en m’accompagnant dans l’angoisse qui m’empêchait de dormir. Au début, je ne voulus rien lui avouer, mais très vite, la fatigue nerveuse aidant, je lui révélai tout. Malgré notre différence d’âge, elle fut comme une maman avec son fils qui a une crise d’anxiété, compréhensive, patiente, aimante. Au petit matin, mon désir pour elle envahit mon corps et mon envie de m’échapper de cette réalité sordide fit le reste. Nous eûmes une relation débridée dans une recherche de jouissance effrénée.

Quelques heures plus tard, vers dix heures du matin, j’arrivai au laboratoire, m’étant à peine assoupi durant une heure après nos ébats. Je n’avais pas les idées claires, le manque de sommeil, le stress, la fatigue, la peur. Mes mains tremblaient, même ma vue se troublait. Nicolas m’attendait avec impatience, mais je pris un moment aux toilettes pour me passer de l’eau froide sur le visage avant d’avoir à affronter quoi que ce fut.

― Les Russes sont très inquiets, il faut qu’on les rencontre aujourd’hui, m’annonça-t-il directement, visiblement très préoccupé.

― Je ne sais pas si cela va être possible, aujourd’hui j’ai pas mal de choses à régler.

― J’ai parlé avec Darley, il va lancer l’audit sur notre laboratoire, mais cela va prendre au moins trois semaines avant qu’il ait toutes les autorisations. C’est déjà moins urgent. Par contre, il faut aller voir les Russes tout de suite, insista-t-il en élevant la voix sur les derniers mots.

Je m’étais installé à mon bureau et, tout en l’écoutant, j’avais allumé l’ordinateur.

― Oui, nous verrons ça cet après-midi, je passe te chercher pour déjeuner et on en reparle, d’accord ? tentai-je de temporiser.

― Non, tu ne comprends pas. Il n’y a pas d’option, là. Il faut absolument que nous retrouvions Nikolaï, il veut nous voir immédiatement.

Je remarquai son front perlé de gouttes de sueur et les gestes nerveux de ses mains qui se tordaient dans tous les sens. Je me rendis compte que je ne l’avais jamais vu dans un tel état auparavant.

― Qu’est-ce qu’il se passe ? demandai-je doucement. Tu sais ce qu’il a ?

― Il a qu’il sait tout pour l’audit, il va prendre des décisions radicales. Il faut que tu le voies. Il m’a même dit de te… de te… menacer ! Oui, te menacer si tu refusais de venir.

― Mais pour quelle raison ?

― Parce que c’est urgent, voilà ! Il ne veut pas perdre une seconde afin de sauver le projet à sa façon, s’énerva-t-il.

― Et de quelle façon veut-il sauver le projet ? lui demandai-je le plus gentiment possible pour essayer de le calmer.

― Mais peu importe ! Je n’en sais rien, moi ! Il veut te voir justement pour te l’expliquer. Cette fois-ci, tu ferais mieux d’obéir, il est capable de tout, maintenant. Cette histoire d’audit lui a mis la pression, il est devenu fou. Si tu ne viens pas aujourd’hui, tu vas avoir de gros ennuis, il n’y a pas à discuter.

Le cauchemar recommençait, je me sentis pâlir à ces mots qui me renvoyaient autant aux Russes qu’aux Chinois et à ma culpabilité de mettre mes enfants et leur mère en danger.

Voyant ma réaction, Nicolas surenchérit :

― Il veut mettre Babette à l’abri. Il y a beaucoup d’argent en jeu, il ne laissera pas le projet être récupéré par d’autres. Nikolaï est très mauvais perdant.

― Dis-lui qu’on se retrouve vers deux heures au petit bar à côté du campus, là où on s’est rencontrés pour la première fois. Il vaut mieux qu’il ne vienne pas ici, on a déjà assez attiré l’attention comme ça.

J’avais ouvert mes mails et je lisais celui qui m’indiquait l’adresse du serveur sur lequel je devais transférer Babette pour les Chinois. Après quelques atermoiements, je me débarrassai de Nicolas. Il me fallait attendre Diane. J’avais décidé de tout lui raconter en espérant qu’elle m’aide à trouver une solution.

Diane n’apparut pas de la matinée, elle devait dormir pour récupérer. Avant midi, j’essayais tout de même de l’appeler, mais je tombais systématiquement sur le répondeur. Je m’assurai cependant que la procédure d’installation qu’elle avait laissée en cours s’était bien passée, puis je descendis chercher Nicolas à son étage. Nous partîmes directement pour le rendez-vous.

Comme toujours Nikolaï était accompagné de ses gardes du corps, mais cette fois, deux d’entre eux s’assirent à notre table et six de plus restaient debout et attentifs dans le bar. Sans compter les chauffeurs qui restaient à l’extérieur. L’ambiance avait perdu sa chaleur habituelle, Nikolaï se montra très nerveux.

― Il faut que nous prenions une décision tout de suite, il y a urgence, entama Nikolaï après de brèves salutations. Nous savons que l’université va vous retirer le projet et vous empêcher d’agir. Il est hors de question que nous puissions perdre l’I.A.. Je ne suis pas le seul investisseur, mais je serai considéré comme responsable par tous les autres. Je dois donc récupérer l’ordinateur.

― Récupérer l’ordinateur ? Je crains que vous imaginiez mal la difficulté, il ne s’agit pas d’un portable ou d’une simple tour. C’est un matériel qu’il est impossible de déplacer.

― Tout est possible si on y met les moyens ; et j’ai les moyens ! Je ne vous demande pas votre avis sur cette décision. Je vous demande juste que vous me disiez ce dont vous avez besoin pour le faire, quels que soient ces besoins. Cet ordinateur je vous l’ai fourni, vous devez simplement me le rendre.

― Il faut simplement que nous le débranchions et que vous nous organisiez un moyen de le faire sortir et l’emporter, rassura Nicolas. Le tout pèse environ deux tonnes si on veut tout prendre.

― La déconnexion n’est pas si simple, certaines parties du programme sont intimement liées au hardware et doivent être maintenues en fonctionnement. Il nous faudrait intégrer des batteries qui permettent à ces composants de rester actifs ; en particulier les composants en supraconducteurs, commençai-je à expliquer.

― Bien, de quoi avez-vous besoin pour cela ?

― Il nous faut des générateurs et des batteries. Mais il nous faut aussi du temps. Le branchement sur ces nouvelles sources ne peut pas se faire sans un protocole pré…

― J’ai tout ce qu’il vous faut, coupa Nikolaï. Je peux vous fournir tout ce que vous demandez, mais s’il y a une seule chose que je ne peux pas acheter, c’est le temps. Je passerai demain avec un camion, des hommes et tout le matériel dont vous aurez besoin. Demain j’emporterai la machine.

― Mais cela ne nous laisse pas assez de…

― Écoutez, je m’attendais à une réaction de ce genre, coupa de nouveau Nikolaï. Alors je vais être bien clair, les mesures sont prises. Votre famille sera enlevée demain si je n’ai pas les machines. Chaque heure de retard, je vous enverrai un doigt de l’un d’entre eux. Je ne rigole plus Bruno, ce n’est plus de mon ressort, j’agis selon les ordres de personnes bien plus puissantes que moi et qui n’ont aucune forme de pitié.

Je préférai ne pas répondre, ne plus tergiverser. Je le rassurai sur tout, bien décidé à sauver ma famille avant tout. Peu m’importait ce projet, maintenant, tout était limpide. Je le rassurai et dans une demi-heure je mettrai ma famille à l’abri et je disparaitrai jusqu’à ce que tout cela se résolve. Me voyant changer d’attitude, Nikolaï soupçonna immédiatement quelque chose. Il me menaça de nouveau, et plus fortement. Je continuai à le rassurer, tentant de lui faire penser que j’étais passé totalement de son côté. Quand il fut calmé, je finis tout de même par lui glisser :

― De toute façon, ou ça passe ou ça casse, mais dès demain tu auras ton calculateur. Par contre, si vous voyez la possibilité de nous laisser un ou deux jours de plus seulement, le risque de casse sera vraiment réduit. Mais nous suivrons exactement ce que vous nous dites de faire.

― Très bien. Pour l’instant, restons-en là. Demain, les machines seront chargées dans mon camion, conclut Nikolaï.

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