Chapitre 33 La C.I.A.
Avec Nicolas, nous revînmes à pied jusqu’au bâtiment du laboratoire. Un peu avant d’entrer sur le parking, nos deux téléphones se mirent à vibrer. Dans un même mouvement, nous consultâmes le même message : « Nikolaï ― C’est bon, nous vous laissons deux jours de plus pour que les machines soient débranchées correctement. »
Je souris en regardant Nicolas :
― Comme quoi, la pression de la responsabilité est souvent plus efficace que l’opposition pour convaincre.
― C’est une sacrée bonne nouvelle ! Tout va être fait dans les règles de l’art. Je suis sûr que nous pouvons encore non seulement sauver la machine, mais aussi le projet.
― Surement, dis-je nonchalamment, sachant déjà que, pour moi, tout s’arrêtait là.
Quoiqu’il arrive, je fuirai avec ma famille dans quelques heures, en les laissant tous se dépatouiller entre eux, ma décision était prise. Elle s’était imposée d’elle-même, par la peur et le sentiment d’impuissance. Il fallait fuir.
Au moment où nous rentrions dans le hall, l’ascenseur ouvrit ses portes et laissa apparaitre, comme dans un cauchemar qui n’en finit pas de recommencer, les deux agents de la C.I.A. qui m’avaient contacté chez Michelle. N’ayant aucun moyen de réagir, je continuais d’avancer avec Nicolas jusqu’à les croiser. Les deux arborèrent un grand sourire narquois en me reconnaissant.
― Mister Constantin, c’est la fin de l’aventure, on dirait, me dit l’un d’entre eux au passage.
― Oui, je me doute…
Je ne m’arrêtai pas et accélérai pour profiter de l’ascenseur encore ouvert, suivi de Nicolas surpris par cet échange. L’ascenseur ferma ses portes sous le regard des Américains surpris que je ne veuille pas en savoir plus. Nicolas n’eut pas le temps de me dire quoi que ce soit avant que son téléphone ne vibre en même temps que le mien. Lorsque la porte s’ouvrit à mon étage, Nicolas lisait le message. Darley, accompagné d’un chercheur du troisième et du président de l’université, attendait l’ascenseur. Nous nous retrouvions tous face à face.
― Je reviens de ton bureau, je te cherchais justement, commença-t-il d’un ton sec. Tu peux monter avec nous dans mon bureau, s’il te plait.
Ce n’était pas une invitation, mais un ordre donné de la façon dont on convoque un subordonné pour une affaire d’une très grande gravité. Il indiqua à Nicolas que lui aussi devait le suivre.
Arrivé dans son bureau, il nous fit nous assoir en face de lui, alors que le président de l’université restait debout arpentant la pièce de long en large.
― N’y allons pas par quatre chemins, je viens d’apprendre tout ce que vous faites dans votre laboratoire ainsi que vos relations avec l’espionnage de pays étrangers. Inutile de nier, l’affaire est très grave nous ne pouvons pas perdre de temps avec des enfantillages. J’ai donc pris la décision de vous suspendre de vos fonctions tous les deux, immédiatement ! hurla-t-il. Je n’ai jamais vu un bordel pareil ! Jamais ! Je ne veux même pas connaitre vos raisons. Pour l’instant, vous êtes interdits de laboratoire et sur l’ensemble du campus, j’ai demandé au président de l’université de bien vouloir affecter un vigile de l’entreprise privée chargée de la sécurité pour garder votre porte. Nous vous convoquerons rapidement pour une première réunion préparatoire au conseil de discipline. D’ici là, il est fort probable que nous déposions une plainte en justice. Nous vous tiendrons au courant.
― C’est une évidence ! renchérit le président qui montrait une profonde colère.
― Maintenant, sortez, je vous prie.
Nous nous regardâmes avec Nicolas, et constatant une absence totale de réponse à lui faire, nous nous levâmes et sortîmes après un salut timide et respectueux.
― Eh bien, dis donc ! Il ne nous a même pas laissé nous expliquer. C’est étrange tout de même, il n’est pas curieux d’entendre notre version, ni de savoir ce que nous comptons faire, bizarre…
― Je pense qu’il suit exactement les consignes ou conseils que lui a donnés la C.I.A., supposai-je.
― La C.I.A. ? Pourquoi penses-tu que la C.I.A. a quelque chose à voir là-dedans ?
Je pris conscience d’avoir peut-être commis une grosse gaffe. Mais au point où nous en étions, cela ne me fit même pas tressaillir.
― Parce que les deux Américains qui sont sortis de l’ascenseur font à l’évidence partie de la C.I.A...
― Justement, ils te connaissaient apparemment, et toi aussi. C’est quoi cette embrouille ? questionna Nicolas en s’arrêtant de marcher avant d’arriver à l’ascenseur, pour me regarder en face.
― Je n’en sais rien, moi. Ils sont venus fouiner une fois et se sont présentés. Cela n’avait pas l’air d’avoir de rapport avec Babette, je n’y ai pas prêté plus d’attention que cela.
Nicolas prit un temps pour me sonder du regard avant de répondre. Il n’avait pas l’air très convaincu.
― Qu’est-ce qu’ils t’ont demandé exactement ?
― Je ne sais plus trop, c’était il y a un bon moment. Ils m’ont dit qu’ils enquêtaient sur une personne disparue, je crois. Cela devait être pour ne pas me mettre la puce à l’oreille…
― Et pourquoi les as-tu évités comme cela tout à l’heure ?
― Franchement, tu le demandes ? Tu as envie de taper le bout de gras avec la C.I.A., toi ? Vu le tas d’emmerdes qu’on a à gérer, je n’avais pas envie d’en avoir une de plus ! Et puis, tu soupçonnes quoi là ? On n’a pas un problème plus important à régler ? On fait quoi maintenant que l’accès du labo nous est interdit ? tentai-je pour changer de sujet.
― Je vais voir ça. Déjà, je ne suis pas sûr qu’il faille mettre Nikolaï au courant. Il risque de tout faire péter, celui-là. Je vais voir comment je peux gérer ça moi-même. Ne t’inquiète pas, rentre chez toi et ne quitte pas ton téléphone, je t’appelle dès que j’ai un plan.
― OK, j’attends ton appel alors, obéis-je, trop heureux de ne plus parler de la C.I.A. et de me retrouver libre comme l’air.
Il me fallait maintenant sauver ma famille, j’avais les mains libres pour quelques heures, pas plus. J’avais finalement de la chance, Darley n’avait ni évoqué la C.I.A. ni la Chine. Ainsi, Nicolas pouvait peut-être penser qu’il était seulement au courant pour la Russie. Même si côté C.I.A., il avait l’air soupçonneux. Il aurait, de toute façon, d’autres choses plus urgentes à faire que d’y réfléchir.
Quelque temps plus tard, je descendis du tramway et je me dirigeai vers l’appartement de Michelle. J’avais essayé de joindre Jocelyne, mais impossible de la localiser. Mes filles non plus. J’avais donc décidé de commencer par mettre Michelle à l’abri pour ne pas perdre de temps.
― Écoute-moi bien, la situation est grave, tu vas prendre un sac de voyage et nous allons fuir ensemble du pays. Tu es en danger, tu comprends, il faut partir avec moi.
Vu ma fébrilité, Michelle saisit parfaitement l’urgence et me demanda, sans sourciller, ce qu’elle devait faire. Le problème, c’était que je ne savais pas trop quoi lui répondre. Finalement, en repensant aux différentes nationalités en jeu, me vint l’idée de l’envoyer aux États-Unis. C’est le seul pays où il me paraissait que les autres services étrangers et français aient du mal à intervenir et entre les trois pays le plus respectueux des lois. J’espérais qu’ils auraient moins tendance à s’en prendre à elle. En quelques clics, je réservai un avion pour Chicago où vivaient des membres de sa famille qui pouvaient la recevoir. Elle partirait dès le lendemain, très tôt.
Je rappelai de nouveau Jocelyne et ma fille, envoyai des SMS, mais pas de réponse. Je commençais sérieusement à m’inquiéter.
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