Chapitre 34 L'urgence

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Vers trois heures du matin, après des dizaines d’appels et de messages, je décidai de me rendre à la maison pour voir s’il y avait des indices pouvant m’expliquer ce qui se passait. J’empruntai la voiture de Michelle qui s’était endormie. Elle en aurait besoin deux heures plus tard pour se rendre à l’aéroport, ou alors elle devrait prendre le taxi.

Un message de Nicolas arriva par le S.X.Babette. Il permettait aussi de communiquer entre les différents utilisateurs directement, avec l’avantage de ne pas passer par un canal potentiellement surveillé comme le téléphone ou une messagerie de réseau social :

« Nicolas ― J’ai monté une équipe, on entrera dans le laboratoire à quatre heures. Rejoins-nous au plus vite. »

Il ne me restait que dix minutes avant d’arriver à la maison, je décidai de passer d’abord voir si j’y trouvais ma famille, avant de me rendre à l’université. J’avais encore le temps. Si je les retrouvais, l’affaire serait définitivement réglée, je partirai avec eux et n’irai jamais rejoindre Nicolas.

J’accélérai. À cette heure-là, il n’y avait personne dans les rues, je grillai même quelques feux rouges sans danger. En entrant dans le quartier résidentiel, je perdis légèrement le contrôle de la direction et butai à vive allure avec la roue avant droite contre un trottoir dans un virage. Quelques mètres plus loin, les vibrations de la voiture m’indiquaient une crevaison. Je m’arrêtai et attendis quelques secondes pour me calmer, me dire qu’il n’y avait pas de quoi en faire un drame, malgré l’urgence de la situation. J’eus du mal ecouter mes conseils ! De rage, ou pour tenter de me soulager de l’angoisse, je flanquai quelques coups de poing sur le tableau de bord avant de sortir de l’auto. Au moment d’ouvrir la portière, une lampe torche m’aveugla à travers la vitre et me stoppa net. Le policier dirigea sa lampe vers le siège arrière du véhicule, me laissant le temps d’identifier son uniforme. Il braqua de nouveau la lampe vers moi et m’ordonna de sortir du véhicule pour lui présenter les papiers : « Carte grise, assurance, permis de conduire. » énuméra-t-il d’un ton las. Évidemment, je n’avais pris que la clé en partant, je ne pouvais donc présenter que mon permis et la voiture n’était pas à mon nom. Dans ma tête, défilait par avance le problème qui allait à coup sûr en découler, je stressais un maximum.

― Vous avez bu ? me demanda-t-il en prenant le permis de conduire que je lui tendais.

― Non, pas du tout, bredouillai-je. Je suis très pressé, je cherche ma femme et mes enfants. C’est un simple petit accident sans gravité…

― Vous avez eu un accident ?

J’avais trop vite imaginé qu’il m’avait vu prendre le trottoir. Ce n’était apparemment pas le cas.

― Heuu, non.

― Vous venez de me dire que vous avez eu un accident, vous savez ce que vous dites ?

― Oui.

― Oui, vous avez eu un accident ?

― Non, heu… oui, je sais ce que je dis.

― Vous ne m’avez pas l’air d’être dans votre état normal, vous avez pris de la drogue ? Des médicaments ?

― Non, je n’ai rien pris.

― Pourquoi tapiez-vous sur le volant ?

― Je vous dis juste que c’est le stress ! C’est ma famille, je n’ai pas de nouvelles...

― Oui, on connait la chanson. Où sont les papiers du véhicule ?

― Je les ai laissés chez ma copine, la voiture est à elle.

― Votre copine ? Vous n’alliez pas voir votre famille ?

Je commençais à m’obnubiler pour le temps que je passais dans cet interrogatoire inutile, alors que je n’en avais pas à perdre. Le besoin urgent de faire avancer les choses me submergea. Je perdis le contrôle.

― Si, mais je suis divorcé. J’habite chez mon amie. Bref, cela ne vous regarde pas. Mettez-moi une amende et n’en parlons plus. Moi, je dois réparer ce pneu !

J’avais parlé fort, comme en donnant un ordre, et je me retournai pour me diriger vers le coffre. Le second policier me barra le passage de sa matraque.

― Où allez-vous, là ? Mon collègue n’a pas fini de vous interroger.

Je repoussai la matraque pour continuer d’avancer.

― OK, je répondrai à vos questions en changeant le pneu ! Merci !

Évidemment, l’absence de respect pour leur autorité déclencha leur colère à mon égard. Cela s’envenima. J’élevai le ton et eux aussi. Je me désespérai et perdis le contrôle. Je sentis mes jambes et mes mains se mettre à trembler de stress et de colère mêlés. Ma tête bouillait de l’urgence liée à ma famille et du reste, situation contrainte par un mauvais concours de circonstances que je ne pouvais pas expliquer aux deux policiers. La nuit, face à un individu transpirant et incohérent, les deux agents se mirent sur leur garde, prêts à me maitriser.

Ils terminèrent par me passer les menottes et me placèrent dans leur fourgon.

Par je ne sais quel miracle ou sursaut de bon sens, je sus reprendre mon calme. Je leur fis comprendre que je regrettais sincèrement. Ils furent plutôt gentils, vu les circonstances. Ils prirent simplement le temps de remplir le PV avec les différentes infractions : défaut de présentation d’assurance, de carte grise, perte de maitrise du véhicule. Ils renoncèrent à un dépôt de plainte pour rébellion quand ils constatèrent mon air désespéré et plus du tout rebelle !

Après avoir changé le pneu, plus d’une heure s’était écoulée au total. Je ne pris même pas le temps de replacer la roue et les outils dans le coffre. Je démarrai de nouveau vers la maison, toujours sans réponse de Jocelyne au téléphone. Je n’en pouvais plus, cet évènement avait fini, pour je ne sais quelle raison, de me convaincre qu’il leur était arrivé quelque chose.

Je pénétrai dans la maison, allumai les lumières, visitai toutes les pièces, tout était en ordre et je n’y trouvai personne. Je ne remarquai aucun indice qui aurait permis de comprendre ce qui se passait ni où ils étaient partis. Je terminai par le garage et là, je remarquai enfin la preuve de leur départ. Il manquait plusieurs valises à l’emplacement habituel. Je retournai dans les chambres et constatai l’absence de certaines chaussures et de certains vêtements. Où étaient-elles parties ? Vu l’état des lieux, le départ n’avait surement pas été forcé ou précipité. C’était rassurant. À moins qu’il y ait eu un nettoyage pour brouiller les pistes. Je tournais encore en rond quelque temps, attentif au moindre détail qui aurait pu m’éclairer puis je décidai de rejoindre Nicolas au laboratoire. Je ne pouvais pas fuir avec ma famille, il fallait donc que je continue à donner le change.

En sortant de la maison, je constatai la présence d’une voiture de police, gyrophare allumé, garée derrière la mienne autour de laquelle rôdaient deux gardiens de la paix. Je levai les yeux au ciel : cela n’en finirait donc jamais…

― Mr Constantin, apparemment vous le faites exprès, nous allons encore devoir vous coller une amende… Peut-être même qu’un petit séjour au poste vous donnerait une leçon, juste pour que vous arrêtiez de causer des problèmes…

― Mais, qu’est-ce que j’ai fait cette fois ?

― On dirait que vous ne savez même plus, tellement vous en faites, ironisa le fonctionnaire.

Je restai muet, bouche bée, les bras ballants et les mains ouvertes l’invitant à m’expliquer.

― Vous avez changé une roue tout à l’heure…

Je commençai à comprendre, il s’agissait de tout ce que j’avais laissé sur le trottoir.

― Vous pensez que le quartier où vous habitez est une déchèterie, c’est ça ?

― Non, monsieur l’agent, je suis désolé, j’étais trop dans l’urgence et j’avais perdu trop de temps. Mais je comptais retourner tout récupérer de suite après avoir retrouvé ma femme et mes filles.

― Et alors, vous les avez retrouvées ?

― Non, il n’y a personne. Je suis très inquiet.

― Eh bien, vous allez nous suivre au commissariat déposer une plainte, alors.

― Heu, non, peut-être pas tout de suite. Il se peut que je les retrouve rapidement.

― Alors, maintenant que vous ne les avez pas trouvées, vous n’êtes plus du tout inquiet ?

― Si, bien sûr, je dois continuer à les chercher.

― Et vous ne voulez pas qu’on vous aide ?

― Je croyais qu’il fallait attendre plusieurs jours pour déclarer une disparition. Je ne voulais pas perdre de temps pour rien.

― Monsieur Constantin, est-ce que vous ne nous prendriez pas pour des idiots ?

― Mais non, pourquoi dites-vous cela ?

― Vous vous rendez bien compte que vos histoires ne tiennent pas debout. Nous allons vous amener au poste, mais avant nous passerons par l’hôpital.

― Oh non, s’il vous plait, je n’ai pas le temps ! suppliai-je. Laissez-moi tranquille, je vais ramasser la roue. Promis, je ne causerai plus de problèmes.

― On ne peut pas vous laisser remonter dans votre voiture. Suivez-nous à l’hôpital et il n’y aura pas de problème.

― Mais pourquoi ? Pourquoi vous ne me laissez plus prendre ma voiture, cela n’a aucun sens ? Pourquoi l’hôpital ?

― Nous allons vous faire examiner ainsi qu’une petite prise de sang pour voir si vous n’avez rien consommé.

De nouveau, le désespoir me submergeait. Je devais rapidement me rendre au laboratoire, d’une part pour ne pas éveiller les soupçons, et d’autre part pour qu’ils prennent des décisions me concernant, et je devais trouver une piste pour retrouver Jocelyne ! Je ne pouvais gaspiller du temps avec ces policiers, chaque minute passée me paraissait une catastrophe, et m’imaginer tout le temps perdu si j’allais à l’hôpital devenait insupportable. À tout cela, se rajoutait le sentiment de culpabilité, tout cela n’était que les conséquences de mes mauvaises décisions. Je me sentais très mal.

― S’il vous plait, implorai-je en joignant les mains, je ne le ferai plus, promis, je ne vous dérangerai plus. Ce n’est rien de grave, je vais tout nettoyer, je vais tout ramasser.

Les deux policiers se regardaient en hésitant. Je crois qu’ils ne voulaient pas m’emmener parce qu’ils croyaient que j’étais drogué, mais seulement pour me donner une bonne leçon.

― Bon, on va tout de même vous verbaliser. Suivez-nous, m’annonça-t-il à mon plus grand soulagement.

Ils prirent leur temps pour rédiger le procès-verbal, histoire de me punir. Puis, ils m’accompagnèrent pour vérifier que je remette bien la roue crevée et les outils dans le coffre. Effrayé à l’idée de les voir changer d’avis, je n’arrêtais plus de les remercier et de les féliciter pour leur gentillesse et leur compréhension.

― Écoutez, me proposa le policier après que j’ai rangé les affaires dans le coffre, si votre famille a disparu, vu les circonstances, nous pouvons lancer un premier avis de recherche. Même si cela ne fait pas 48 heures, les circonstances que vous nous racontez sont tout de même troublantes. Avec la géolocalisation de leurs portables, on devrait pouvoir les retrouver. Parfois, il vaut mieux agir vite dans ce genre d’affaires. Et puis, si on vous laisse tout seul pour les chercher, vous allez encore faire des conneries.

Les arguments étaient imparables, refuser aurait vraiment été suspect. Et j‘avais de toute façon besoin d’aide. Il était cinq heures du matin, qui sait ce que Nicolas était en train de faire ? Je demandais un instant pour passer un coup de fil avant de les suivre. Pas envie de me mettre encore en tort en téléphonant au volant !

Nicolas ne répondit pas à mon appel, mais envoya un message par le S.X.Babette : « Tout se déroule bien, dépêche-toi ! »

En arrivant au commissariat, j’étais fatigué, mais j’avais repris mon sang-froid. J’avais l’impression de contrôler un peu la situation, j’allais lancer les flics sur la piste de Jocelyne et cela me laisserait du temps pour aller au labo voir ce qu’avait fait Nicolas. De là, je briderais l’I.A. avec le programme de Valentin Mano pour que celui qui s’en empare se retrouve avec une machine peu performante et sans intérêt. D’ici là, les flics auraient surement retrouvé ma famille et j’aurais fui avec elle à l’étranger. Ni les Russes ni les Chinois ne pouvaient plus récupérer Babette, elle serait gardée et bientôt au centre d’une affaire judiciaire. Peut-être les Français la récupèreraient-ils, et peut-être que cela me donnerait la possibilité de négocier mon retour en France pour la débloquer. Même si tout cela ne reposait pas sur grand-chose, au moins, j’avais un plan. Je me raccrochais à l’espoir d’en sortir qu’il représentait pour retrouver mon énergie et ma volonté.

Je ne racontais pas grand-chose aux policiers, mais je sous-entendais que j’avais reçu des menaces de la part de la mafia russe, que je m’étais compromis dans mon travail avec eux et que cela m’avait amené à me faire renvoyer de l’université. Ils prirent cela plutôt au sérieux et mirent en place un processus prioritaire pour retrouver ma famille. Ainsi, ils sauraient à qui ils auraient à faire s’ils la retrouvaient et prendraient un maximum de précautions.

À la fin de la déposition, le commissaire revint avec un grand sourire aux lèvres et se voulut extrêmement rassurant, disant qu’il avait déjà trouvé assez d’éléments pour les retrouver et qu’il ne fallait pas que je m’inquiète : « Vu la situation, tout allait bien se passer. Sans problème ! » Je fus très surpris, mais il ne voulut pas m’en dire plus pour l’instant. Selon lui, il fallait qu’il garde ses informations s’il voulait agir en conséquence sans risquer la vie de qui que ce soit.

Je ressortis troublé du commissariat, mais mes pensées se dirigeaient déjà vers le laboratoire. Que s’était-il passé avec Nicolas et pour Babette ?

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