La tragédie du clan Desmoulins
de Dirty Crow 343
La nouvelle de son arrivée avait parcouru la rue principale du village telle un frisson dans une nuque. Les cliquetis de son armure et de ses membres de métal résonnaient avec fracas dans le silence de la foule des paysans silencieux. Ils étaient venus nombreux s’attrouper afin d’observer le guerrier en train de savourer un nanothé matcha dans le bar à geisha du coin. Des formes féminines d’or et d’airain se mirent à jouer une chanson sur demande du patron afin d’adoucir l’ambiance. Il fallait éviter la moindre raison de déclencher une bagarre. Les guerriers sans bannière n’étaient généralement pas les bienvenus dans les villages. Fauteurs de trouble en puissance, les rônins étaient connus pour payer leurs dettes d’un coup lame. Ils s’ostracisaient volontairement de la société et refusaient l’autorité du Shogun Marat, seul véritable dirigeant de Marat I.
- Vous avez-vu ce rônin, déclama un des badauds ? C’est un élu ! Je ne savais même pas qu’on pouvait être à la fois l’un et l’autre.
- Sans doute a-t-il volé cette armure à un honorable seigneur du clan Murat afin de se l’approprier, osa un autre.
Le guerrier avait entendu l’insulte qui lui avait été faites mais ne réagit pas. Il savait bien qu’aucun de ces va-nu-pieds ne saurait lui montrer de résistance, cela n’en valait pas la peine. Il se contenta de noter quelques mots sur un carnet qu’il gardait précieusement dans un des plis de son armure.
La lame s'émousse
Quand l'artiste frappe en vain
Les feuilles qui tombent
L’exercice de la poésie avait le don de le calmer. Elle repoussait cette rage sans maître qui l’habitait depuis que son daimyo l’avait quitté de vieillesse. Son fils, arrogant de nature, s’était par la suite montré indigne de son service .
Une dizaine de samouraï entrèrent dans l’établissement et dans la cohue générale. Ils étaient tous équipés de katana à plasma et d’armures, mais aucun n’était un élu. Quelle perte de temps, il allait sûrement falloir en tuer un … Les paysans effrayés tournèrent presque tous les talons sur le rythme du Shamisen battant la mesure à la perfection. Bientôt, il ne resta plus que les gardes et le patron du bar se rongeant les sangs. Il en avait à présent la certitude, cela n’allait pas bien se passer.
- Que viens-tu faire ici rônin, dit le capitaine de la garde ? Nous ne t’avons pas vu passer par l’entrée du village afin de t’identifier.
- Je suis bel et bien passé par votre porte mais aucun d’entre vous n’y étais, sans doute trop feignant pour tenir une porte tout le long de la journée, provoqua le rônin.
- Et bien tu aurais dû nous attendre devant la porte ! L’homme, enorgueilli par le peu de pouvoir qu’il possédait tapa du poing sur la table. Ce n’est pas parce que vous avez une enveloppe d’élu que vous pouvez vous baladez comme bon vous semble sur les terres du Shogun.
- Si je suis là c’est pour et par la volonté du Shogun. C’est lui qui m’a demandé de venir en sa demeure aujourd’hui.
- Ce que tu dis n’a aucun sens ! Le Shogun possède une armée forte de plus d’une centaine de milliers de guerriers et de plus d’un millier d’élus. Pourquoi ferait-il appel à toi !
- Sûrement parce qu’il n’avait personne de compétent sur qui compter sous sa main.
Le visage du capitaine de la garde vira au rouge alors qu’il se saisit de la tasse de thé du rônin pour lui jeter à la figure. Il n’en fallait pas plus au rônin comme prétexte pour s’abattre sur le guerrier arrogant. Il se leva en renversant la table devant lui et dégaina si rapidement son Katana que sa victime n’eut même pas le temps de porter la main à son sabre. Un long filet d’énergie liquide s’échappa de la lame en acier pour trancher la tête du guerrier qui s’envola de l’autre côté de l’établissement, au pied du tenancier horrifié. Pas une gerbe de sang ne gicla, la chaleur intense de l’épée capable de trancher jusqu’à l’acier le plus dur avait cautérisé la plaie.
Les autres gardes horrifiés dégainèrent à leur tour leur sabre, des éclats de lumière jaillirent de part et d’autre de la pièce, prêt à bondir sur l’élu qui esquissa un rictus de son visage de fer.
- Bien ! Maintenant que les présentations sont faites et que chacun sait où est sa place, vous avez le choix : soit vous tentez de m’arrêtez et je vous tue tous pour attirer l’attention d’autres gardes plus compétents soit vous me conduisez jusqu’au Shogun comme vous auriez dû le faire dès le départ.
Les gardes restèrent interloqués pendant quelques minutes. Aucun d’entre eux n’était assez courageux pour se risquer à porter un nouvel assaut en premier. Ils finirent par se raviser et rengainèrent leurs armes avant d’indiquer au Rônin élu la direction de la maison du shogun.
La demeure de Joachim Marat, le plus grands et le plus augustes des Shogun ayant jamais représenté le clan Marat, était à l’effigie de son propriétaire. C’était une maison traditionnelle, la technologie y était présente mais avait su laisser sa place au bois, au papier de riz et aux drapés rouge flamboyant, couleur du clan Marat. Quelques écrans étaient clairsemés dans la pièce afin de répondre aux exigences de la vie du seigneur. L’architecture de la maison ne manqua pas de rappeler au rônin sa propre conception d’élu. Il avait tout dans l’apparence d’un samouraï en armure lourde mais son corps avait été substitué par une enveloppé en métal, ses organes avaient été branché à toute sorte de câbles et ses sensations substitué à des ordinateurs de calcul. De même que cette maison, il était l’incarnation d’un passé lointain et glorieux auxquelles le savoir avait fini par enlever son âme.
Deux servantes pénétrèrent dans la pièce où attendait le rônin avant de laisser sa place à un grands samouraïs argentés, constellés de traits d’or. Sur ses avant-bras étaient gravés les deux symboles de son rang : le katana du guerrier et l’éventail du général.
- La rumeur commence déjà à colporter que tu aurais froidement décapité mon capitaine de la garde sans même lui avoir laisser l’occasion de dégainer pour se défendre.
La voix du guerrier étincelant n’avait plus rien d’humain. Le rônin savait que Joachim Marat avait renoncé à sa bouche mais il ne l’avait jamais rencontré pour le vérifier jusqu’à présent. Le Shogun, dans l’idée de se concentrer sur son rôle, s’était lui-même confisqué le dernier plaisir que pouvaient s’offrir les élus : celui de manger. Seul les plus zélotes parmi les élus s’infligeaient un tel châtiment, ils se condamnaient à passer l’éternité dépourvu de la moindre envie et du moindre désir physique.
- Monseigneur, dit le rônin tout en s’agenouillant la tête sur sol. Ce capitaine de la garde ne vous servait pas convenablement, il était irrespectueux envers vos hôtes et éludait sa tâche de surveillance. J’ai pu pénétrer dans votre fief sans avoir été contrôlé, j’aurai pu parvenir jusqu’à vous sans me faire remarquer si je l’avais voulu.
- Comme si quelqu’un pouvait avoir la stupidité de vouloir intenter à ma vie … Tu sais très bien que le rôle de capitaine de la garde du palais impérial n’est qu’un sacerdoce pour les membres de la famille de l’Empereur. L’homme que tu as tué était mon neveu. Il n’était certes ni pondéré ni intelligent mais il était de mon sang et en tant que tel je pourrais demander ta tête pour un tel crime.
- Mais vous n’en ferez rien n’est-ce pas ?
- Et pourquoi n’en ferai-je rien ?
- Parce que si vous aimiez votre neveu, vous lui auriez donné des terres et pas une tâche ingrate, et aussi parce que si vous m’avez convoqué c’est que vous avez besoin d’un élu qui soit également un rônin. Or, de ce que j’en sais, je suis le seul sur cette planète.
- Tu es plus malin que tes actes ne le laissent penser rônin, répondit le Shogun non sans un éclat de rire dans sa voix d’automate. Effectivement ce sont deux bonnes raisons. Relève-toi et suis-moi, je dois t’entretenir en privé de la raison de ta présence ici.
Les deux élus se dirigèrent d’un pas lourd vers un lieu quelque peu à l’écart de la somptueuse résidence Shogunale. La pièce était plus moderne que le reste de la maison. Elle était recouverte d’épais murs en acier et disposait de plusieurs ordinateurs. Les tissus avaient laissé la place a du matériel militaire et médical ainsi qu’à une armure de rechange au fond de la pièce. Seul un Ikebana, posé sur un piédestal et protégé par un couvercle de verre, évoquait l’ambiance du reste de la résidence d’été du shogun. Joachim alluma ce que le rônin reconnu comme un brouilleur de communication avant de l’inviter à s’assoir sur un coussin richement décoré.
- Vous voulez vous entretenir avec moi dans votre Bunker ? Cela doit être quelque chose de très important.
- Pas tant que cela, mais disons que je suis du genre à ne prendre aucun risque. Sais-tu combien de clan règne sur le système Marat à l’heure actuelle ?
- Un seul, monseigneur, le vôtre. Même s’il existe 3 autres clans présents sur le système vous êtes le seul Shogun reconnu par Montesquieu, le rônin tentait de flatter l’égo de son seigneur afin de le mettre dans de bonnes dispositions.
- Tu fais preuve de beaucoup de qualité propre à la courtisanerie, rônin, mais si je voulais faire appel à un courtisan, tu ne serais pas là, lâcha le seigneur avec une pointe à peine masquée de colère.
- Veuillez m’excuser, je ne voulais pas risquer ma tête une fois de plus.
- Bien … Reprenons. Donc, comme tu l’as dit il y a 3 autres clans dans le système Marat. Le clan Bailly, le clan Saint-Just et le clan Desmoulins. Bien que leur pouvoir ne soit pas bien important et plus de l’ordre du représentatif, je compte les balayer d’ici la fin de l’année afin de n’avoir plus aucun ennemi potentiel dans le système et me tourner vers une politique d’ensemble du système Marat.
- Vous voulez leur déclarer la guerre ?
Il eut un long silence puis un échange de regard. Le rônin craignait la réponse du Shogun et surtout la manière dont il aurait un rôle à jouer dans tout cela.
- Non. Si je déclare la guerre à une seul de ces clans, les autres suivront. Cela créera beaucoup de désagréments et nuira pour plusieurs années à mes projets. Non ce n’est pas ce que je veux faire. Je me suis déjà arrangé avec le clan Bailly quand aux rachats de leurs terres et le daimyo du clan Saint-Just envisage de me nommer comme son successeur afin d’éviter que ses deux fils ne s’entretuent pour sa place.
- Reste le clan Desmoulins et mon apport à cette histoire…
- Tout à fait, vois-tu j’ai beaucoup de respect pour clan Desmoulins, ils nous ont beaucoup aidé à fonder les premières colonies de Marat I il y a des siècles et ce sont des voisins cordiaux …
- Mais ils ont refusé de vous céder le commandement de leur terre contre de l’argent et le Daïmyo étant un jeune élu, il y a peu de chance qu’il se retire avant plusieurs siècles et rien ne dit qu’il le fera à votre profit.
- Tu as tout compris. Je ne peux pas envoyer de troupes, cela compromettrait mon accord avec les autres clans. Mais si un rônin mal intentionné profitait d’un défaut dans la défense du clan pour en massacrer les hauts dirigeant…
- Pour qu’elle raison un rônin ferait-il cela ?
- Qui viendrait chercher à comprendre les raisons d’un rônin ? Nous parlons ici d’un scénario où vous n’allez pas vous faire prendre vivant.
- Pourquoi ne pas envoyer une troupe de rônin ?
- Parce que tu es le seul rônin capable de rivaliser avec le clan Desmoulins et leur nanotechnologie de combat : Isan.
- Qu’elle est cette technologie ?
- Les Desmoulins s’injectent en eux à la naissance des implants de combats qui enregistrent les savoirs accumulés de tous leurs plus grands guerriers. Chaque membre du clan Desmoulins est donc fort de l’expérience de combat de tous ses prédécesseurs, les implants analysent les mouvements de l’adversaire et en détectent les réactions potentielles.
- Mais comme je suis un élu avec un corps mécanique, ma méthode de combat diffère grandement de celles d’un être humain. Et comme il y a peu d’élu, il y a peu de chance pour que Isan ait accumulé suffisamment d’information pour pouvoir prédire mes mouvements.
- Oui, si on rajoute à cela que cette technologie est capable de manipuler le plasma de nos Katana alors nous avons un ennemi que seul des êtres comme nous aurait la capacité à neutraliser.
- Je vois …
Il était en effet le seul guerrier sur tout le système à avoir tous les prérequis nécessaires à cette mission. Il n’aimait pas l’idée de frapper un homme pendant son sommeil mais vu l’instigateur de l’attaque et la rareté du service demandé, il serait à coup sûr extrêmement bien payé.
- Alors le feras- tu, demanda Joachim ? Aideras-tu ton seigneur à se débarrasser des derniers ennemis qui le séparent de la paix absolue dans tout le système.
- Je ferai ce que vous demandez maître, j’irai jusqu’aux terres du clan Desmoulins, je m’introduirai dans leur domaine une fois la nuit venue et je massacrerai tout ces dirigeants pour vous. Ainsi vous pourrez fédérer le système sous votre bannière.
- Pas un seul ne doit en réchapper …
- J’en suis bien conscient c’est pour cela que le paiement en échange de cette mission devra être à la hauteur de l’immense service que je suis en train de vous rendre.
- Parle sans crainte et donne ton prix ! Je suis le Shogun, je peux satisfaire au moindre de tes désirs par ma seule volonté.
- Et bien je ne désire qu’une seule chose, mon maître …
Des milliers d'œuvres vous attendent.
Sur l'Atelier des auteurs, dénichez des pépites littéraires et aidez leurs auteurs à les améliorer grâce à vos commentaires.
En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.
Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion