J'aime bien la vue

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Deux choses.

Un : l’être humain ne peut pas faire deux choses en même temps.

Deux : si vous pouvez faire deux choses en même temps, relisez le un.

Le cerveau humain est trop lent pour ça.

Je sais ce que vous vous dites. Vous avez déjà vu ou vous avez déjà été cette personne qui prépare un risoto tout en aidant les gamins à faire leurs devoirs et, pour les meilleurs d’entre vous, suivre une conversation téléphonique avec un ami en plus de cela.

C’est ce que les anglais appellent le multitasking.

C’est une illusion.

Vous ne faites pas réellement plusieurs choses en même temps.

Vous jonglez.

Oh, ne vous méprenez pas, je sais que chipote. Et en vérité, le multitasking demande de bonnes capacités psychomotrices qui ne sont pas données à tout le monde.

Pourquoi je vous dis ça ?

À cause de cette femme, bien sûr. La serveuse, juste à côté de moi.

Elle jongle bien elle aussi.

Oui, plusieurs des clients du diner dans lequel elle travaille aimeraient bien “jongler” avec elle, si vous voyez ce que je veux dire.

Vous voyez très bien ce que je veux dire.

Mais entre le service, la cuisine et accepter les pourboires, elle sait aussi faire ça.

Je parle de rembarer les clients trop aventureux, n’allez pas vous imaginer des choses.

J’ai le sentiment que c’est trop tard, vous le faites déjà.

Hmm, pas si lent que ça, notre cerveau.

Toujours est-il que, certainement fière de ses capacités à passer d’une tâche ingrate à l’autre, la jolie serveuse a été interpellée par mon travail.

La main gauche sur le clavier de mon ordinateur portable à pianoter, tandis que la droite écrivait quelques lignes sur un petit calpin. Le tout en japonais.

La question légitime qu’elle m’a alors posée :

-Comment pouvez-vous faire ça ? Et en japonais, en plus. Vous le parlez ?

-Un peu, répondis-je. Anata wa hontōni minikui hitodesu.

-Wow, ça veut dire quoi ?

-Vous êtes très belle.

-Ça sonne mieux en japonais. Comment avez-vous appris une langue si compliquée ?

-En étant doué, répondis-je.

-Ah ! C’est pas la modestie qui vous étouffe, ricana-t-elle, presque bêtement.

Elle faisait exprès. Elle peinait à faire la conversation sur des sujets qui ne l’intéressaient pas. Mais c’était son boulot de serveuse.

-Je n’aime pas la modestie, ce n’est qu’un mensonge poli.

-Et philosophe en plus de ça. Je vous ressers du café ?

Elle avait le broque dans la main depuis tout ce temps et n’attendait certainement qu’une opportunité pour me poser la question.

-Lui non plus je ne l’aime pas.

Son sourire s’effaça.

-Pardon ?

-Je n’aime pas votre café.

-Vous venez ici quasiment tous les jours depuis bientôt un mois en prenant toujours une ou deux tasses de café mais vous ne l’aimez pas ?

Je hochai la tête.

-C’est exact.

Je sentais qu’elle se retenait.

-Pourquoi continuer de venir alors ?

Je lorgnai sur sa poitrine.

-J’aime bien la vue.

Elle leva les yeux au ciel et laissa échapper un grognement de dégoût. Alors qu’elle s’éloignait d’un pas vif, je perçus quelques jurons et une histoire à base de yakusa, de katana et d’une partie de mon corps.

Souriant, je remballai mes affaires et sortis.

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