Deus

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Mais quel incomensurable fils de pute !

Vous avez dû penser un truc dans le genre.

Le fait est que c’est plus une insulte pour ma génitrice que pour moi même et bien que ce soit effectivement sa profession, il existe des termes plus corrects. Je crois, je ne lui ai pas vraiment posé la question et je ne suis pas sûr que je puisse encore.

Alors que je repassais en revue mes notes, je marchai à pas décidés dans la rue ascendante vers l’Heaven. Jetant à peine un coup d’oeil au vigil à l’entrée, je lui présentai une carte de tarot qu’il reconnut instantanément. Je pénétrai alors dans le hall du bâtiment. Tamisé et aux couleurs sobres, un long tapis rouges le séparer en son milieu, menant vers un large escalier aux marches noires et aux rambardes rouges bordeaux. Au sommet, je fus accuillis par l’habituel regard désaprobateur du propriétaire des lieux, flanqué derrière l’immense bar carré situé au milieu de l’immense pièce.

Je sortis un dossier de ma sacoche, arrachai la page de mon calepin et l’y glissai dedans. Je jetai nonchalament le tout devant mon patron avant de passer derrière le bar en sautant par dessus.

-La serveuse, dis-je.

Je pris une bouteille de bourbon et me servis un verre que je bus cul sec.

-Musique. Du violon. Faut un intellectuel, du genre patient. L’Amoureux ou la Tempérance devrait faire l’affaire.

Je me servis à nouveau un autre verre avant de repasser de l’autre côté du comptoir, non sans avoir gardé la bouteille. Je m’assis tout en le sirotant.

Mon interlocuteur me scrutait avec son habituel regard réprobateur mais résigné. D’une carrure forte, il ne jouait cependant jamais de ses muscles. Préférant le dialogue au conflit, il savait cependant se faire intimidant. Sa peau marron foncé, presque noire, contrastait avec ses yeux d’un bleu océan.

Malgré mon comportement que je savais irrespectueux, il me laissait faire. Le bar était désert encore en cette fin d’après midi. Sa clientèle habituelle préférant la fraicheur et l’obscurité de la nuit.

-Deus. Arrête d’essayer de me séduire avec ton regard de braise. Je ne suis pas gay, tu le sais.

Il grogna et s’intéressa au dossier que je lui avais lancé. Plusieurs minutes s’écoulèrent durant lesquelles je sirotais mon bourbon en silence.

-Penses-tu qu’il y ait un délai ? Tu ne l’as pas précisé.

Sa voix grave et rauque me tira des mes songes.

-Non. Et je doute qu’elle ait un quelconque impact significatif, elle est juste…

-Toute âme a sa part…

Je levai les yeux ciel.

-à apporter au monde de l’art et de la créativité, oui merci monsieur le précheur.

Deus grogna à nouveau avant de disparaitre vers l’arrière de la pièce. Je retournai à la contemplation de mon verre jusqu’à ce qu’il revienne, me tendant une carte noire brillante. Je m’empressai de la prendre et de la ranger dans ma sacoche.

-Elle contient un bonus.

-Pour quoi faire ?

Il grimaça :

-C’est ton dernier contrat.

Avez-vous déjà eu envie de frapper quelqu’un ?

Fort ?

Jusqu’à ce qu’il saigne ?

Beaucoup ?

Ouais, moi aussi.

Je dévisageai Deus pour tenter de savoir ce qu’il me disait. Comme à son habitude il restait impertubable.

-Tu me vires ? Je suis l’un de tes meilleurs Anges !

-Non, tu n’es pas l’un de mes meilleurs Anges. Tu es le meilleur Ange. Mais tu le sais. C’est bien là le problème. Tu n’évolues plus, Edsy, tu n’en as plus envie. Tu stagnes. Non seulement tu stagnes mais tu fais tout pour.

-Qu’est-ce qu’on en a à foutre ? T’as vu les dossiers que je te ramène ? Oses me dire qu’on peut faire mieux !

-On peut faire mieux…

Je compris l’allusion. Ce qui n’était pas pour me calmer et il le savait.

Il écarta les bras et posa ses mains sur le comptoir tout en se penchant vers moi.

-Je t’ai donné du temps. Bon sang, je t’ai laissé huit ans, Edsy ! Et qu’en as-tu fait ? Rien. Tu es certes une pointure dans ce que tu fais. Mais c’est bien la seule chose dans laquelle tu excelles désormais. Être un Ange, ce n’est pas seulement tout savoir de ses Artistes.

Connard, prédicateur de merde !

-C’est aussi ressentir leurs envies, leurs peurs, leur inspiration. Tu dois capter l’essence même de ce qui fait leur art. Toi, tu ne captes rien. Plus aujourd’hui. Tes dossiers sont parmi les plus complets de tous mais ce sont aussi les plus dépourvus d’émotions. Les Muses sont prudentes, tu sais. Elle savent comment tu fonctionnes et je les conseille toujours sur tes dossiers. Mais un jour une erreur arrivera parce que tu n’auras pas vu ce que l’Artiste ressent.

Un long silence s’ensuivit. La nuit commençait à tomber et les permiers clients n’allaient pas tarder.

Deus se redressa enfin.

-Je te laisse jusqu’à demain midi. Ensuite tu rends ta carte.

Il alla pour partir. Je parlai d’une voix étouffée par une colère refoulée :

-Alicia Déthor. Robin Ven. Lucie Colins. Fabien Ecrales. Les frères Mathew et Liam Roland. Emilia Carson. Emilia putain de Carson ! Et plus de cent autres noms ! Plus de cent Artistes qui seraient rester dans l’anonymat le plus total et que personne n’aurait regardé, écouté ou lu sans moi ! Rien, tu m’entends ! Des gens ordinaires ! Et tu me dis que ce n’est pas suffisant ? Que je n’ai pas capté leurs émotions ? Qu’elles aillent se faire foutre tes émotions !

Quelques personnes arrivèrent et furent surprises de mes aboiement. Deus leur fit signe qu’il arrivait avant de revenir vers moi et de plonger son regarde bleu azur dans le mien.

-Demain midi, Edsy. Et tâches de ne pas trop boire.

Je pris la bouteille de bourbon ainsi que mon verre alors qu’il rejoignait ses clients.

-Va sucer un porc, Deus.

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