Chapitre 6
Le reste de la journée se déroule convenablement. J’assiste aux cours de l’après-midi en luttant face à la fatigue.
La sonnerie annonçant la fin de journée retentit.
« Bon, c’est le moment d’aller rejoindre Ben au CDI… » pensé-je.
Je sors de la classe afin de me diriger vers le CDI. Ce dernier se trouve au rez-de chaussée, il est assez discret.
« Bonsoir Ana ! » s’exclame madame Violette, la documentaliste.
- Bonsoir madame.
-Tu viens emprunter un livre ? Récemment, on a reçu une nouvelle collection de mangas, alors j’ai pensé à toi !
-Oh, non haha ! Je viens seulement pour réviser aujourd’hui. Mais merci, je garde l’information en tête ! »
Madame Violette a été diplômée au moment où je suis entrée en seconde. Le fait qu’elle soit aussi jeune a rendu le dialogue particulièrement facile. C’est une personne vraiment bienveillante, je l’apprécie beaucoup.
Après avoir un peu discuté avec elle, je m’installe au fond de la salle sur une table assez large.
« Ça fait une plombe que j’attends… » me dis-je, tout en scrutant l’horloge.
Au bout de quelques minutes, je finis par m’impatienter.
« Il se moque de moi là ? Ne me dîtes pas qu’il m’a foutu un plan quand même ! »
Ben n’étant toujours pas venu, je finis par me résigner à ranger mes affaires.
Cependant, au moment où je décide de me lever de ma table, je sens une présence se hisser derrière moi. Je me retourne en vitesse, effrayée, avant de m’apercevoir qu’il s’agissait de lui.
« Ana ! s’exclame-t-il, en sueur.
- Sérieusement, Ben ?! Ça fait au moins vingt minutes que je t’attends.
-Je suis désolé Ana, j’avais quelque chose à régler, continue-t-il, haletant. »
Je suis trop énervée pour faire comme si de rien n’était.
« Ça tombe bien ! Moi, c’est maintenant que j’ai quelque chose à régler.
-Attends, tu ne vas pas partir comme ça ?! demande-t-il, l’air inquiet.
-Si, j’y vais. »
Alors que je tente de reprendre mon sac pour le mettre sur mon épaule, je sens deux mains m’agripper les bras fortement.
« Qu’est-ce que tu fais ?! questionné-je. »
Ben se rapproche alors de moi. Nos visages sont si près l’un de l’autre que je peux entendre son souffle.
« Je t’en prie, reste. »
Il prononce ces quelques mots en me scrutant. Ses yeux sont si perçants que je ne peux détacher mon regard du sien.
« Euh… je…»
Je n’arrive même plus à m’exprimer correctement. Je sens mes joues bouillonner de chaleur à cause de notre proximité.
« Bon, d’accord… finis-je par rétorquer, dans l’espoir qu’il me lâche.
-Ouf… »
Il soupire de soulagement avant de me relâcher et de reculer d’un mètre.
Malgré cela, mon cœur bat la chamade. Je tente tant bien que mal d’essayer de cacher mon malaise :
« Mais seulement trente minutes. J’ai beaucoup de travail. »
Il esquisse un sourire qui ne m’aide pas à me calmer.
Ben installe ses affaires au niveau de la chaise en face de moi. Il sort une petite trousse grise ainsi que quelques feuilles blanches. J’espère qu’il ne pense pas que cela va suffire pour les TPE…
« Bon, est-ce que t’as une idée de thème pour commencer ? me demande-t-il.
-Non, je vais pas te mâcher tout le travail non plus ! »
Il soupire en passant ses mains dans ses cheveux bruns :
« Ana, faut que t’arrêtes d’être sur la défensive. C’était une simple question. »
J’avoue que j’ai peut-être un peu abusé.
« Bon, j’ai une idée, reprend-il. Viens avec moi.
-Hein, pour aller où ?
-Viens et tu le sauras ! »
Il s’empresse de ranger ses affaires, qu’il vient à peine de sortir, et de m’indiquer la sortie du CDI. Je reste sceptique face à sa décision, mais je n’ai pas d’autre choix que de le suivre. Evidemment, je n’oublie pas de saluer madame Violette qui semble assez surprise de mon départ, ce que je peux parfaitement comprendre.
Nous franchissons la cour vide du lycée, puis Ben m’emmène en direction du RER. Je m’arrête alors net.
« Mais bon sang, où est-ce que tu veux aller ?! »
Ben s’arrête à son tour. Il semble désespérer de mon caractère.
« Ana, il y a un endroit que je fréquente assez souvent. C’est une mine d’or d’informations et je suis persuadé qu’on va y trouver notre thème pour les TPE. »
Un endroit où Ben se rend souvent, ça ne risque pas d’être glorieux.
« Là n’est pas le problème en fait ! Je te signale qu’il est déjà plus de dix-sept heures et que j’ai du boulot !
-Je sais ! Mais l’endroit n’est qu’à trois arrêts, on tardera pas ! »
Je continue de lui tenir tête, mais il semble davantage borné que moi.
« Ana, reprend-il. Pour une fois, fais-moi confiance »
Je finis par céder de nouveau face à son regard cendré incroyablement perçant. Il retrouve ainsi le sourire.
Après avoir pris le RER, nous arrivons à destination.
« Alors, c’est où ton lieu soit disant incroyable ?
-A deux pas. »
Il me laisse à peine le temps de rétorquer qu’il prend ma main pour m’entraîner avec lui.
« Et voilà ! s’exclame-t-il, visiblement enjoué.
-Wow. »
Je reste sans voix.
« Un… musée ? »
Je m’attendais à absolument tout sauf ça.
« Ouais, un musée ! »
Si on m’avait dit un jour que Ben avait déjà mis les pieds dans un tel lieu, je crois que j’aurais fait une syncope.
Nous outrepassons la porte d’entrée, accueillis par un guide qui semble bien connaître Ben.
Pendant que nous avançons, je scrute attentivement les différentes pièces de l’établissement.
Il y a des salles où sont exposés des tableaux, d’autres où ce sont des fossiles datant d’anciennes ères qui décorent. Il y a même un coin spécial où de vrais organes d’êtres vivants ont été conservés, comme des rates ou des foies.
J’ai beau avoir d’excellentes notes, je ne me suis jamais rendue de moi-même dans une telle mine d’or.
« C’est fascinant… » murmure Ben, tout en contemplant les différentes œuvres.
Je ne peux m’empêcher de fixer ce garçon qui se tient avec moi. Au premier abord, il m’a semblé froid, en plus d’être un gros crétin qui ne savait qu’amuser la galerie. Mais il semble bien plus mystérieux que je ne le pensais…
« Qu’est-ce qu’il y a ? me questionne-t-il, me faisant revenir à la réalité.
-Oh, euh rien.
-Tu t’attendais pas à ce qu’un cancre de ma trempe se soit déjà aventuré ici, pas vrai ? »
Je manque de m’étouffer. Il vient de me couper l’herbe sous le pied.
« J’aurais pas dit ça comme ça…
-Tu sais, c’est facile de deviner ce à quoi tu penses.
-Qu’est-ce que t’insinues ?
-Rien du tout, c’est simplement un fait. »
Il n’a pas tort, je l’ai jugé.
« Pardon… murmuré-je, à mon tour. »
Il se retourne vers moi, un peu étonné :
« Alors comme ça, Ana peut s’excuser ? ricane-t-il. »
Il prend cette situation à la rigolade, mais ce n’est pas drôle.
Pourquoi un garçon aussi généreux, curieux et intelligent ferait-il le pitre en classe ? Il gâche son potentiel, voire son avenir entier avec un tel comportement.
Je me retiens de l’assaillir de questions, estimant que nous ne sommes pas assez proches pour qu’il veuille m’en parler. Pourtant, j’ai tellement envie d’en savoir plus…
Je remarque alors que depuis notre entrée, il n’a pas lâché ma main, qu’il tient fermement dans sa paume.
Je la retire furtivement, embarrassée.
« Oh, pardon j’avais oublié ! dit-il.
-Ah, c’est rien ! »
Le rouge me monte aux joues.
Il ne semble pas avoir été perturbé par ce contact. Il doit sûrement être habitué avec les filles.
« Bon, je vais t’initier à une de mes activités favorites, enchaîne-t-il.
-Je te suis. »
Ben m’emmène dans une galerie où sont exposés de multiples paysages : couchers de soleil, montagnes enneigées, en passant par des aurores boréales.
« C’est super beau !
-N’est-ce pas ? J’aime bien admirer la finesse des détails utilisés par le peintre pour transporter le public dans son voyage…
-C’est lequel, ton préféré ? »
Il réfléchit un instant, croisant les bras.
« En choisir un seul, c’est assez compliqué. Je pense que ce serait celui-là. »
Il pointe du doigt un tableau représentant un désert aride, avec un oasis en son centre.
« Je le trouve pas spécialement original…
-C’est sûr qu’en terme d’œuvre artistique pure, il se démarque pas. Mais personnellement, c’est son message qui me tient à cœur.
-Son message ?
-Ouais. Au premier abord, on voit juste du sable… Mais la simple présence d’eau et de verdure réussit à rendre habitable un endroit aussi sec. Mieux encore, ces éléments réussissent à embellir complètement le paysage. Deux éléments qu’on trouve pourtant à chaque coin de rue dans nos vies actives, mais auxquels on ne prête même plus attention alors qu’ils ont une importance capitale… Quand je vois ce tableau, j’arrive à relativiser mes problèmes et à apprécier ce que j’ai. »
J’écoute le monologue de Ben d’une oreille attentive. Lorsqu’il parle d’un sujet qui le passionne, il prend un air sérieux que je n’avais jamais vu, ce qui n’est pas pour me déplaire…
« Désolé, j’ai trop parlé.
-Non, non ! J’ai trouvé que ton interprétation était super intéressante…
-Qui sait, je t’aurai peut-être donnée envie de t’y rendre directement sur place !
-Oh, ça risque pas ! En fait ce serait même un cauchemar pour moi, j’ai la phobie des sols désertiques. »
J’ai l’impression d’avoir interpellé sa curiosité.
« Ah bon, pourquoi ?
-Bah, on sait jamais ce qui se cache sous ces profondeurs… Scarabées, scorpions, j’en passe. »
Ben fronce les sourcils. Est-ce que je l’ai vexé ?
Il pose son index sur ses lèvres, comme pour réfléchir, et se met à tourner en rond autour de la pièce.
« Qu’est-ce que tu fais ?
-Phobie… désert… profondeur…
-T’as fini de ressasser en boucle notre discussion ?
-Sables mouvants…
-Pardon ?! »
Il s’interrompt.
« Ana, je crois que j’ai trouvé un thème pour nos TPE. »
Annotations
Versions