4 - Comme un troll

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17e jour de la saison du soleil 2449

Alors que l'archère survivait un entourage difficile, une âme bien différente de la sienne s'élançait au travers d'une boisée particulière à la recherche d'une proie. La première lueur laissant entendre que l'aube se levait apporta de l'inconfort à ses yeux sensibles. Son ventre grognait famine ; elle n'avait rien eu à manger depuis deux jours et maintenir un physique si musclé et massif était exigeant. Faiblir, même d'un petit peu, n'était pas une option, pas pour aucun troll, particulièrement pas pour une femelle aspirant de devenir une chasseuse comme Yejyn. Elle ne s'était pas encore faite acceptée et cela était probablement à jamais trop en demander, mais elle continuait néanmoins de participer à cette activité essentielle.

Le chef était présent et il la surveillait. C'était la première chasse de la journée et le clan était désespéré pour de la nourriture. Il ne fallait pas qu'ils défaillissent. La vie des enfants en dépendait.

En premier temps, Toghk, le meneur du clan, avait dénié à Yejyn le droit de participation à la chasse en raison de son sexe. Il réclamait qu'elle n'avait pas assez de force, mais la nature d'un troll n'est pas patiente. Yejyn insista, il beugla, elle hurla, il se déchaîna. Dans un duel féroce, la femelle perdit le combat, mais pas sans infliger une blessure importante à son adversaire et cela lui accorda une place au sein du groupe de chasse.

- Yejyn fair' enfant, lui avait ordonné Toghk. Chasseuz', pas chasseuz', Yejyn fair' enfant. Pour Cogne-Hurleur !

Il insinuait qu'éventuellement, la troll allait devoir abandonner sa fixation sur son objectif de devenir une guerrière comme les mâles du clan et engendrer des enfants pour participer à la préservation de leur race, plus particulièrement de leur clan. Soyons franc, les clans de la race des trolls n'éprouvaient aucune empathie pour leurs prochains. Ce n'était qu'une compétition de survie et de pouvoir.

Cogne-Hurleur était le nom du clan dans lequel Yejyn fut né. C'était un clan de taille moyenne qui se distinguait des autres en raison du cri de guerre perçant que les membres émettaient lorsqu'ils frappaient. Parfois, ils hurlaient comme des démons durant la nuit lorsqu'ils avaient atteint un accomplissement dont ils étaient fiers ce qui impliquait souvent de la barbarie.

Aujourd'hui n'allait être aucunement différent et cela n'était pas une préoccupation. Le groupe de chasse dévala la montagne au sommet de laquelle il vivait à la recherche d'animaux - n'importe quel type - à consommer. Ils ne trouvèrent qu'une caille qui n'était même pas assez pour soutenir un seul troll adulte.

Évidemment, la hiérarchie décida du fortuné qui se mériterait ce maigre festin: Toghk en hérita. Le meneur de clan dévora le tout, même les os et cela, cru pour ne pas perdre de temps. Les autres ne purent que l'observer avec jalousie. Yejyn n'était pas une exception et d'habitude, elle était la dernière du groupe à recevoir quoi que ce soit. Parfois, elle était la dernière du clan entier. Bien souvent, elle allait chasser seule pour elle-même car sinon, elle n'aurait pas eut assez d'énergie et de vitamines pour maintenir sa santé.

Cela l'importait peu. La vie de troll était ainsi et elle n'avait rien connue d'autre. Refusant de combler le rôle qu'on s'entendait d'elle, elle était souvent abusée. Mais c'était ce qu'elle méritait d'après le reste de son clan et elle ne luttait pas. Elle acceptait l'état de sa vie, heureuse de tout simplement pouvoir courir, chasser, tuer, manger et dormir. Elle n'était définitivement pas la plus intelligente, mais elle était bénie de sens aiguisés, d'une forte supérieure pour une femelle et d'une joie de vivre.

- Hgnnnrr, grogna Grog'kon, approchant ses gros doigts du reste de la caille qui résidait entre les mains de son chef.

- Pas touch', beugla Toghk en frappant l'autre troll au visage. Grog'kon attendr' sa nourritur'.

Le dénommé Grog'kon était légèrement plus grand que le meneur de clan, mais même au bout de ses 3.6 mètres, il n'était rien qu'un chiot aux yeux de son supérieur. Il recula, apeuré par la férocité de l'attaque soudaine, et gémit en se couvrant le crâne de ses bras.

Toghk lui accorda un regard noir dépourvu de toute pitié. Ses petits yeux cramoisis pétillaient d'émotions sauvages. Les trolls étaient ainsi: très idiots et barbaresques. Rares étaient ceux qui pouvaient s'exprimer par le biais de la langue elfique qu'ils avaient appris en observant le peuple elfe lunaire et encore, leur habileté était rudimentaire. Ils n'avaient tout simplement pas l'esprit assez raffiné pour cela.

Le meneur renifla en avalant le reste de la caille d'une bouchée en prenant bien soin d'éviter de salir ses deux défenses acérées d'environs un demi mètre. Celles des mâles étaient considérablement plus longues que celles des femelles, mais cela n'empêchait pas ces dernières de paraître redoutables.

- Mm-mang-ger, dit Grog'kon, sa prononciation médiocre et à peine compréhensible.

- Toghk sen' proie, confirma le chef qui inspirait profondément, comme s'il goûtait à sa dite proie par le bien de l'odorat.

Un coup de vent mordant secoua les quelques arbres autour des géants, mais contraire aux feuillus, ils ne bronchèrent pas. Leur peau grise était épaisse, insensible et rugueuse et ainsi, elle les protéger contre le froid. Cela expliquait pourquoi ils étaient en grande partie nus, n'utilisant que des morceaux de fourrure et de cuir pour se cacher les organes génitaux externes.

- Elfes, confirma Toghk avec un sourire, révélant une rangée de petits crocs.

Le reste de la horde s'excita, clamant des cris et des hurlements, Yejyn y compris. Parfois, lorsqu'ils ne trouvaient pas d'animaux dans la montagne, ils descendaient à la forêt et ils s'en prenaient aux habitations à proximité. Les trolls, étants des carnivores et des gloutons, n'avaient parfois pas d'autres choix.

- Là, dit le chef de clan en démontrant une majestueuse forêt de son index.

Il s'élança et les autres suivirent en grognant tels des animaux affamés. Malgré leur physique râblé et leur dos voûté, ils se mouvaient entre les obstacles de la nature dense aisément. À chacun de leur pas, la terre vibrait. Ensembles, ils créaient un tremblement de terre et formaient une horde qui semblait inarrêtable. Ils n'étaient pas subtils; ils ne portaient pas attention à leur entourage, écrasant des magnifiques plantes et parfois, ils brisants des petits arbres. Une redoutable force de destruction allait s'abattre sur un village infortuné.

Yejyn était comme à son habitude, la dernière, non parce qu'elle était lente, mais parce que les mâles la poussaient. Ainsi, elle perdait du temps précieux à se remettre sur pieds. Elle n'y pensait pas grand-chose, suivant aveuglément ce que ses instincts lui ordonnaient. Les mâles ne désiraient pas d'elle dans leur groupe de chasse et face à ce rejet, elle éprouvait de l'indifférence. Elle était amplement satisfaite car elle se sentait vivante, contribuant à sa survie.

À la base de la montagne, les trolls continuèrent leur débandade jusqu'à ce qu'ils débouchèrent dans une clairière. Au centre de cette dernière se trouvait une dizaine de petites maisons en pierre blanchis qui étaient tous plus courtes que les géants. Le village semblait désert, mais c'était une illusion: les habitants étaient tout simplement trapis dans leur demeure. Ils avaient sûrement été alarmés par le vacarme de la horde approchante.

- Yaaahhhh ! beugla l'un des mâles, annonçant qu'il était prêt pour l'assaut.

- Non ! hurla Toghk avec sècheresse.

Il vira, évitant le village de près pour continuer son chemin en s'enfonçant à nouveau dans la forêt dense. Yejyn suivit, obligée de se retenir pour ne pas s'en prendre à un des elfes lunaires cachés. Elle renifla et l'odeur de leur peur l'intoxiqua. Elle secoua la tête comme pour se convaincre qu'il ne fallait pas qu'elle désobéisse à son chef. Une mèche de sa longue chevelure négligée et sale tomba devant ses petits yeux opale et rubis. On aurait dit qu'elle était sous l'emprise d'une soif de sang en permanence. Un coulis de bave tomba au sol, abandonné dans le sillage de la chasseresse. Elle réussit à se contenir, pas par intelligence, mais par la mentalité de la meute.

Plus loin, ils se retrouvèrent à une deuxième clairière dans laquelle un village d'un peu plus grande taille reposait. Cette fois, les habitants les attendaient, armés et en formation défensive. C'était sûrement en raison d'un messager du premier village. Ils étaient nombreux, mais les trolls étaient trois fois plus massifs. Le physique délicat d'un elfe ne tiendrait pas sous l'impact d'un seul de leur coup. Ainsi, ils furent prudents, utilisant l'impulsivité des géants à leur avantage.

En plein cœur du chaos, Yejyn cherchait une proie facile. Elle avait faim et malgré la punition qui l'attendait pour avoir mangé avant les autres, elle choisit de se prioriser.

Une maison était un peu à l'écart du reste et il n'y avait personne au alentours. C'était une opportunité idéale. D'ailleurs, le chef était préoccupé. Il fouillait sauvagement d'autres habitations avec un regard de mépris, ses dents exposées. Il n'avait pas remarqué celle-ci.

Yejyn défonça la porte en bois de la maison solitaire. À l'intérieur, il n'y avait que quatre salles : un salon, une salle de bain, une chambre à coucher et une cuisine. Le tout n'était que modeste et minimaliste, étant équipé qu'avec le nécessaire. Malgré cela, Yejyn ne comprenait pas l'utilité de la plupart de ses objets étranges. Malheureusement, il n'y avait personne, pas de proie et sur le coup, elle sentit une chaleur désagréable bouillonner dans son torse. Elle grogna, cogna sur un mur, le défonçant avec aise, puis, une fois calmée, elle s'étira. Sa main effleura le toit, lui rappelant comment grande elle était comparée à ces elfes.

Un craquement retentit. Elle fit volte-face, déterminée à découvrir la source du dérangement. Elle poussa un grognement, incertaine de qui elle tentait d'intimider. Elle était certaine qu'elle avait sentit une présence, même si celle-ci avait été éphémère.

Une fois calmée, elle continua de sonder la maison. Elle fut attirée à une table qui reposait dans un coin sombre du salon. Là, il y avait des flasques en verre de diverses tailles. Elles étaient tous vides sauf une: une petite svelte qui contenait un liquide azure si éclatant que la troll fut immédiatement frappée par sa beauté.

Ses trois doigts étaient énormes et elle eut de la difficulté à bien l'agripper.

- Hrggnnn, se lamenta-t-elle avec impatience. Raahrhh !

Et c'est alors qu'un elfe lunaire blond fit son apparition dans le salon. Ses yeux turquoise écarquillés, ses petites mains tremblantes et sa bouche entrouverte, il paraissait peiné.

- Je t'en supplie, ne touche pas à cette substance... J-je veux dire... cette boisson... ce liquide !

Yejyn le fixa, incertaine de ce qu'il essayait de lui communiquer. Il était si petit, comme un insecte qu'elle pouvait écraser en un coup de poing singulier. Et qu'elle désirait entendre ses os craquer, se brisant sous la pression. Elle adorait se sentir puissante, réussissant à survivre indépendamment.

L'elfe fit un pas vers l'arrière. Peut-être avait-elle laissé paraître son désir trop évidemment. Honnêtement, cela lui importait peu.

- Le liquide... Dépose le sur la table, continua-t-il avec un mélange de crainte et de douceur.

Elle ne pouvait pas comprendre, pas entièrement. Mais il avait raison. Il était bien plus intéressant que cette substance bleue. Son corps fraîchement abattu pouvait la nourrir.

- Grand-père ! s'écria une adolescente à la chevelure bouton-d'or et au visage angélique qui fut à son tour éruption dans le salon.

Son regard aigue-marine croisa la flamme liquide qu'étaient les petits yeux de Yejyn. Ces derniers, encadré d'une peau gris foncé, lui donnait une allure démoniaque, mauvaise, funeste. N'importe qui aurait défaillit face à une telle vision, mais pas la petite fille au physique frêle. Elle possédait un atout qui nourrissait un courage indomptable: la résolution de sauver une personne qu'elle chérissait.

- Laisse tomber ce projet, continua-t-elle. Ta sécurité est plus importante. Viens !

Sa voix aigüe irrita Yejyn. La troll beugla puis renifla férocement, désirant dévorer les deux elfes. Il lui fallait ses mains libres donc elle fit ce qui lui passa en premier par la tête: elle but le liquide azure et tira le contenant. La vitre se fracassa contre le mur, causant un vacarme infernal qui nourrit encore plus la colère de la géante. Elle ne pouvait plus attendre; elle étant affamée et aveuglée par ses instincts.

- Cours ! hurla le vieil elfe.

Yejyn s'élança, ses défenses pointées vers l'avant.

- Grand-père non ! brailla la jeune elfe.

C'était trop tard. L'ivoire perça profondément le cœur de sa victime. Comme si cela n'était pas assez, l'adolescente fut témoin de son grand-père qui prenait son dernier souffle alors que son coup fut tordu. Un crack sourd résonna dans toute la pièce puis, un hurlement agonisant. La fille elfe s'élança vers la troll avec un intention meurtrier, mais elle réalisa en chemin qu'elle ne pouvait rien contre un tel monstre, et elle se contenta de passer entre ses jambes pour s'enfuir.

Yejyn démontra de l'indifférence à cette escapade. Après tout, elle était comblée ; un festin l'attendait et personne ne pouvait l'arrêter.

Elle se tint accroupie en face du défunt et se mit, de ses mains à trois doigts, à déchirer sa peau, ses muscles, ses organes. Le sang coulait à flot et Yejyn s'en réjouissait comme si cela avait été une sauce à bifteck. Aucune émotion ne la traversa mis à part de la satisfaction.

Tranquillement, alors qu'elle se nourrissait, elle réalisa que le cadavre devenait de plus en plus gros. Elle cligna des yeux, essuya sa bouche dégoulinante d'un mélange de bave et d'écarlate. Son esprit oscilla. Des nouveaux sentiments qui lui était étranger firent surface. Confuse, elle éprouva quelque chose de bien unique pour un troll: de la crainte. Ses muscles se contractèrent, le battement de son cœur accéléra, de la sueur s'échappa de ses pores de peau et enfin, elle émit un gémissement. Que se passait-il ? N'était-elle plus elle-même ? Ses instincts animalesques se dissipèrent lentement et furent remplacés par des pensées et des questions.

Elle s'immobilisa, les yeux rivés sur son repas. Dans sa confusion, son cœur se serra et pour la première fois, il était douloureux. Elle n'avait plus envie de dévorer de la chair, mais de retrouver l'elfe pour... pour faire quoi ? N'importe quoi pour lui remonter le moral, mais elle réalisa assez rapidement que rien ne remplacerait son "grand-père". D'ailleurs, qu'est-ce qu'était un grand-père ? Ça me semblait important, mais elle ne saisissait pas pourquoi.

- Mmmrmmm... grand-père grossir... ou Yejyn petite... ?

Les mots se formèrent sur ses lèvres jadis incapables de plus qu'un grognement.

La possibilité de sa propre métamorphose lui pesa sur le moral. Que lui était-il arrivée ? Pourquoi avait-elle tous ses sentiments étranges ? C'était un véritable handicap et les autres trolls allaient sûrement la rejetés.

Yejyn se souvint avoir vu un miroir à l'entrée. Elle s'y précipita, se mouvant beaucoup plus aisément dans la maison qui paraissait plus accommodante pour sa taille. Elle n'effleurait plus le plafond de sa chevelure en bataille.

Son pagne était très lousse et touchait maintenant le sol. Elle faillit s'étriper à quelques reprises en chemin. C'était son seul morceau de linge, mais il était important pour ne pas attirer l'attention des mâles. Elle ignora le problème pour le moment, préoccupée par sa réflexion dans le grand miroir.

Ce qu'elle aperçut fut nul autre qu'une version tordue d'elle-même.

Son corps était deux fois plus petits qu'avant, la laissant à environs deux mètres. Ses défenses étaient toujours là, mais à peine.

Sa peau, maintenant gris pâle, lui rappelait celle de ses victimes humanoïdes en texture: lisse, douce mais, tout de même plus épaisse. Elle se tenait droit comme eux.

- Non ! Pas elfe ! s'exclama-t-elle avec horreur.

La prononciation parfaite de son elfique la fit tressaillir. Était-elle vraiment devenue une métisse entre troll des montagnes et elfe lunaire ? Elle continua de s'observer.

Le rubis qu'avait été ses yeux était maintenant un saphir profond, un peu comme le liquide qu'elle avait avaler de la flasque. Ça en devait être la cause. Son expression faciale résidait plus avec son émotion du moment que de la constante rigueur. Elle était devenue un mouton, une proie. Jamais son clan n'allait l'accepter ainsi.

Néanmoins, certains traits demeurèrent: ses longs cheveux ébènes crasseux, ses trois larges doigts sur chaque main, la structure générale de son visage anguleux, sa légère sensibilité aux rayons des deux soleils, sa musculature développée malgré qu'elle eût perdue considérablement, ses dents, entièrement des canines et enfin, ses oreilles pointues.

Un bang sonore attira son attention en direction de la porte d'entrée. Celle-ci venait d'être défoncée et ravagée d'un seul coup de poing. Un énorme troll mâle pénétra dans la demeure abandonnée. Si celui-ci n'avait pas été pencher, il aurait frappé son crâne contre le toit. Il renifla et sans surprise, il détecta l'odeur du sang frais du cadavre et s'y dirigea,

En chemin, il croisa Yejyn et en premier temps, il la fixa avec curiosité, semblant incertain de comment réagir.

- Ye-Yejyn, dit la troll femelle en se pointant elle-même. Je s-suis Yejyn !

Elle termina son dialogue avec fermeté; il fallait qu'elle se fasse respecter sinon, c'était la mort qui l'attendait. Les trolls n'avaient d'admiration que pour la force et rien d'autre.

- Gnrgn... Ye-Y-Ye.... Gruughh ! Yej-jyn ? grogna le mâle qu'elle reconnut en tant que Yorrh.

Yorrh était entre autre l'un des moutons du clan. Il était grand certes, mais sa carrure était sous-développée et il n'avait jamais gagner un duel de sa vie. Peut-être aurait-il pu être vainqueur contre Yejyn, mais cela aurait été plus une honte qu'un triomphe. Ainsi, il ne s'était jamais laisser tenter et c'était une réaction complètement normale. Étrangement, la femelle comprenait à présent; tout était si clair. Cette nouvelle habileté l'apeurait; elle ne savait pas quoi en faire. Plus elle réalisait, plus d'épines s'enfonçait dans son cœur et aucune douleur physique ne s'y comparait.

- Oui, dit doucement la chasseresse.

Yorrh fronça les sourcils et montra les dents. Il ne possédait pas l'intelligence pour traiter l'information qui lui avait été fournis. Le physique de celle qui réclamait être Yejyn n'était pas le même. Ainsi, son incompréhension se transforma en rage. Yejyn reconnut les signes physiques: les reniflements, le serrement de la mâchoire, les paumes moites et la lueur ardente dans le regard. C'était trop tard; il avait perdu le contrôle.

Et encore une fois, des épines percèrent le cœur de Yejyn.

Yorrh beugla, avertissant les autres trolls du danger. Il la considérait comme un défi, quelque chose à éliminer au plus vite et non une proie.

D'autres épines douloureuses s'attachèrent, serrant les côtes de la troll contre ses poumons.

Malgré toute cette souffrance soudaine, elle devait protéger sa vie. L'adrénaline se précipita dans ses veines, la poussant à agir. Étant beaucoup plus petite que son assaillant, elle utilisa son agilité supérieure à son avantage. Lorsque Yorrh s'élança vers elle, ses défenses acérées menaçant de percer son corps, elle roula à la droite.

Le mur de la maison fut défoncé. Le troll, sonné, s'immobilisa, incapable de rien d'autre. Des morceaux de pierre blanchit tombèrent sur son crâne et il sombra rapidement dans l'inconscience.

- Dé-Désolé, murmura Yejyn.

Elle ajusta son pagne qui, à chacun de ses mouvements glissait un peu plus bas. C'est alors que la gravité de sa situation la frappa: si elle n'avait pas pu convaincre Yorrh, elle échouerait avec les autres qui étaient encore plus susceptibles et violents que lui.

Elle sortir de la maison en faisant bien attention de ne pas toucher le troll somnolent. Elle savait que les autres allaient bientôt arriver. Elle devait partir.

Trop tard. Elle sentit plusieurs présences à proximité. Elle tourna les talons pour faire face au groupe de chasse complet, mis à part elle et Yorrh. Ils démontraient tous des signes de rage, mais particulièrement Toghk dont le visage s'était assombri sous l'effet des émotions intenses.

- MON SANG ! se déchaîna-t-elle, incapable de se contenir. TU VOLER MON SANG !

Sang ? Yejyn ne comprenait pas où il venait en venir. Le grand-père ? Impossible. Il n'était pas au courant de son existence. Elle n'avait malheureusement pas le temps d'y songer.

Le meneur de clan se précipita vers elle, une lance intimidante à la main. Il faisait deux fois sa taille; il était maintenant plus dangereux que jamais. Elle ne pouvait le vaincre avant, elle n'avait aucune chance maintenant. Elle n'était pas du genre à prendre la fuite, mais elle n'avait pas d'autre choix. C'était ça ou un suicide dénué de sens.

Elle se sentait comme un insecte qui allait se faire écraser; elle comprenait à présent comment terrifiant c'était pour les elfes lorsqu'une horde de trolls leur faisait face. À cette réalisation, elle empathisa, ressentant leur douleur et elle se sentait profondément coupable. De fines aiguilles se logèrent en son cœur, une nouvelle sensation qui faillit la faire défaillir. Elle se concentra sur son but: la survie et continua sa course en repoussant ses émotions.

Elle trébucha dans son pagne qui encombrait ses mouvements. Le temps qu'elle se relève était crucial et elle se dépêcha du mieux qu'elle le put. Elle sentait chacun des pas de Toghk qui faisait trembler la terre sous son déchaînement. Il était si près d'elle.... si près... Elle n'osa pas jeter un coup d'œil derrière elle. Elle s'enfuit !

Une douleur cinglante à l'épaule la submergea et encore une fois, elle faillit abandonnée. Non, il ne fallait pas ! Il fallait survivre ! Comme un vrai troll !

Elle osa baisser les yeux et en elle était logé la lance. Heureusement, c'était une lance elfique donc, fine et de taille modeste. Avec peine et misère, elle réussit à s'en débarrasser en la cassant en deux. Du sang violet de déversa de sa plaie.

- V-violet ? Non ! Rouge !

Elle ne comprenait pas. Est-ce que son sang avait été tordu lui aussi ?

- HAHAHAHAHA, ricana Toghk qui avait cessé de la poursuivre. Tu meurs ! Femel' meurs ! Femel' mouton !

Les trolls ne laissaient généralement pas partir leurs proies, mais aux yeux de son chef, Yejyn était moins qu'une proie, elle était un mouton. C'était un terme qu'il aimait utiliser lorsqu'il décrivait un être qui ne méritait aucun respect, seulement une éradication de ce monde. C'était donc cela qu'il désirait d'elle : un long cheminement de souffrance jusqu'à la mort.

Elle continua de courir malgré son calvaire qui était franchement, plus mental que physique. L'adrénaline était tout ce qui la maintenant en action et elle ne devait pas s'arrêter. Elle perdit son pagne en chemin ; ce n'était point important. Elle était une troll ; elle survivrait la morsure de la température.

Humiliée, elle se recroquevilla entre deux arbres pour évacuer ses émotions. Pendant les prochains jours, elle se maintint en vie grâce à son savoir limité des herbes qu'elle avait appris des femelles trolls. Elle soigna sa plaie et remercia son héritage troll pour son endurance exceptionnelle. Elle en était certaine; si elle avait été elfe, elle aurait péri.

Elle en profita pour réfléchir à son passé, maintenant qu'elle était consciente de ses actions et qu'elle pouvait penser logiquement. Elle en conclut, non sans amertume, qu'elle n'avait été rien d'autre qu'une bête, une créature errante qui ne cherchait qu'à survivre, qu'importe ce qui en était nécessaire. Elle avait tué sans remords, des centaines de vies, parfois rien que pour évacuer sa rage lorsque Toghk l'énervait.

Pour maintenir son identité, elle chassa les créatures les plus puissantes qui croisaient sont chemin à l'exception d'humanoïdes: troll, elfe, humain ou autre. Chaque fois qu'elle voyait la crainte dans leurs yeux, elle sentait des aiguilles percées son cœur. Pourquoi ? Autrefois, elle aurait été rester fixée sur son objectif, sur elle-même car oui, il fallait qu'elle se souvienne: rien n'importait sauf sa survie. Que pouvait-elle accomplir sans sa vie ?

Le temps passa lentement, chaque jour s'allongeant en ce qui semblait une éternité. Elle était désespérée: seule, perdue, ne sachant plus qui elle était. Mais ce qui faisait le plus mal c'était tous ses sentiments turbulents qu'elle ne comprenait pas face à la réaction d'autrui.

Alors elle s'agrippa à sa seule source de réconfort: ce qu'elle pouvait faire pour garder son identité. À l'aide de crocs animal, elle se perça les oreilles à multiples endroits et se bricola un collier, preuve de sa prouesse en tant que chasseresse. Elle étudia le peuple elfe lunaire en tant qu'observateur seulement; jamais elle n'interagissait avec eux. Elle apprit à mieux parler, à comprendre un peu plus son humanité et à survivre avec un peu plus de technologie qu'elle leur empruntait durant la nuit. Elle avait réussi à se fabriquer un pagne plus sophistiqué qui cascadait jusqu'à ses chevilles rappelant moindrement à une jupe, une bande qui lui tenait les seins en place: truc qu'elle apprit grâce aux femelles elfes, un bracelet qu'elle plaça sur son poignet droit comme décoration et des bottes hautes en cuir et en fourrure. Elle n'avait pas les moyens de les teindre donc ils demeurent tous dans le brun.

À l'automne, le froid ne l'affectait pas encore, mais elle était consciente que sa peau n'était plus ce qu'elle était et qu'elle allait éventuellement devoir se réchauffer. Elle développa une fascination pour les elfes lunaires, apprenant tant d'eux qu'aucun troll n'aurait pu. D'ailleurs, lorsque la température baissa considérablement, ils commencèrent à porter de longues capes élégantes ce qui inspira la troll.

Elle voyagea d'un village à un autre, ne désirant pas attirer l'attention sur elle. Elle savait qu'il était temps de partir lorsqu'il y avait trop d'objets manquants et que les elfes commençaient à paniquer ou bien lorsque l'un d'entre eux l'apercevait ce qui ne provoquait jamais une réaction positive. À maintes reprises, elle fut chassée soit par le bien des armes ou de la magie, ou encore pire, d'un mélange des deux. Elle se mérita des cicatrices qui n'aurait probablement jamais été si elle avait eu l'attitude de son passé. Elle était devenue faible, incapable d'apporter du mal à ses êtres qui ne désiraient que vivre en paix. Ils ne la comprenaient pas et refusaient de lui donner une chance, qu'importe ce qu'elle disait.

- TROLL ! MONSTRE ! BÊTE SAUVAGE !

Elle entendait leurs cris, elle sentait leur dédain dans ses cauchemars qu'elle subissait presque à chaque nuit. Éventuellement, elle ne trouvait plus la force de dormir. Son corps tremblait à l'idée. Jusqu'à qu'elle soit drainée de son énergie et que son corps la force à trouver le sommeil contre son gré.

Et après avoir souffert une dizaine d'attaques, son esprit se brisa enfin. Elle sentit une émotion qui lui était bien trop familière et qui bouillonnait en elle: de la rage. Une vague de chaleur se propagea de son cœur à sa tête, puis jusqu'à ses orteils, l'engouffrant dans une noirceur aveuglante. Comme lorsqu'elle avait été troll, elle cogna des objets inanimés pour se défouler, plus communément des arbres qu'elle saccagea. Et lorsque sa colère se calme, elle se laissait tomber sur la neige glaciale, elle s'enroula dans son épaisse cape à fourrure et quelques larmes roulèrent le long de ses joues.

✦×✦

Un bon jour, elle se faufila dans un village à la recherche d'un peu d'eau. C'était maintenant l'hiver et les rivières avaient surgelées ; il lui était impossible de s'abreuver. Elle avait tenté de fondre de la neige, mais le processus était si lent et son corps en exigeait tant qu'elle perdait trop de son temps précieux qui aurait dû être passé à chasser. Le gibier se faisait rare dans ce temps et elle sentait la désespération lui monter à la tête. Sa gorge était asséchée et douloureuse, ses lèvres cassantes et elle se sentait comme si sa peau la suffoquait. Elle avait perdu la majorité de sa musculature dû à la malnutrition. Elle se sentait coincée dans un physique qu'elle commençait à rejeter. Ce corps lui apportait que du malheur ; un corps qu'elle n'avait pas demandé à avoir.

C'était le crépuscule et il ne faisait pas complètement noir. Elle aurait du attendre, mais son instinct de survie la poussait à agir. Elle n'était pas aussi prudente que d'habitude et elle était consciente des conséquences. Malgré tout, elle procéda.

Enfin, elle trouva un baril d'eau rangé sur le côté d'une maison à l'écart du village. Elle l'ouvrit et se mit à lécher l'eau étonnamment tiède. Pendant longtemps, elle ne s'en préoccupa pas, impatiente de satisfaire sa soif.

Une fois plus ou moins satisfaite, elle observa le baril avec plus d'attention. Elle réalisa avec stupeur qu'il était sûrement réchauffé par le biais de la magie, préservant ainsi sa forme liquide. En effet, elle aperçut des scintillements autour de l'objet. Sa main passait au travers, comme si la barrière fantomatique n'était pas présente. C'était donc ça qui conservait la chaleur. L'innovation des elfes l'étonnait; elle découvrait quelque chose d'exceptionnel à chaque visite à un village. Elle n'était même plus surprise lorsqu'elle se surprenait à désirer être comme eux; à être l'un des leurs.

Cela n'était qu'un rêve; elle n'était pas troll, ni elfe. Elle était quelque chose d'unique ; une monstruosité difforme, rejetée de tous.

Elle soupira longuement et continua de lécher le contenu du baril, chassant ses pensées sombres. Elle savait qu'elle paraissait comme un animal et elle s'en foutait vachement. De toute façon, quoi qu'elle fasse, elle n'appartenait à aucun peuple.

- Qui es là ? demanda une voix féminine, bénit d'une douceur à en amadoué n'importe quel coeur, même celui d'un animal affamé.

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