7 - Nuit des plus sombre
12e jour de la saison de la mort 2448
- Était-ce vraiment ce que tu désirais ? questionna la dragonne qui fondait dans la pénombre de la nuit ascendante.
Seuls ses yeux étaient parfaitement visibles dans cette noirceur dévoreuse, deux gemmes de fers qui défiaient leur oppresseur. Ses mots percèrent la cible désirée et celle-ci se recroquevilla comme un enfant sous un arbre déchu.
- Non..., marmonna l'elfe gris alors qu'il levait son regard vers le ciel dépourvu d'étoiles.
Là-haut, il n'y avait que la lune qui brillait dans toute sa gloire et cela était dans une teinte ébène, presque aussi foncée que son entourage. Elle était presque invisible, mais Serfantor pouvait encore la percevoir. À peine... Un peu comme son courage. Son honneur s'était évaporé avec la dernière parcelle de son espoir. Il avait laissé sa vile mère gagner et il n'en était pas fier. Mais qui aurait pu endurer toute cette torture qui lui avait infligé pendant toute sa vie ? Shalith lui répétait qu'il n'avait rien à se reprocher, qu'il avait été aussi fort qu'il ne l'avait pu considérant les circonstances, mais était-ce vrai ? Il avait le pressentiment qu'il aurait faire bien plus, mais l'énergie lui manquait. Il était exténué mentalement et cela s'infiltrait dans son physique. Il avait l'impression qu'il avait perdu le peu de muscle que son héritage elfique lui permettait de bâtir. Il n'avait pas d'appétit et pourtant, il savait qu'il aurait dû manger il y a des heures de cela.
- Dis-le, ordonna Serfantor faiblement.
Shalith fronça ses sourcils chauves, mais elle garda le silence.
- Je te connais Shalith, continua le prince. Tu as quelque chose sur la conscience.
La dragonne renâcla et retint un grognement. Elle secoua son mince museau et son physique émacié vibra. Elle était émotive, mais son dragonnier désirait le contexte de cette réaction.
- Allez ! Je sais que tu as du cran ! Dis-le !
- JE SUIS EN COLÈRE ! rugit-elle avec la furie d'un troll des montagnes. Tu t'es tout simplement... laissé emporter à ta mort par ces vermines ! Tu as –
- Abandonné, termina-t-il pour elle dans un calme troublant.
Shalith qui était normalement calme et en contrôle de ses pulsions, bondit, s'agrippa tel un félin à l'arbre derrière Serfantor et se mit à mutiler le tronc avec sauvagerie.
Une fois qu'elle eut terminé de se défouler, elle accorda son attention à son dragonnier.
- Et Arièlla ? Tu as pensé un peu à elle ? D'après ce que je comprends, vous humanoïdes êtes loyaux et passer votre vie ensemble. Pourquoi lui as-tu avouer ton affection si cela n'était pas ton attention ?
- Ce l'était ! s'exclama Serfantor avec effroi. Enfin... jusqu'à ce que...
- Jusqu'à ce que tu jettes ta vie comme le lâche que tu as fait de toi !
Le prince grimaça et une larme coula le long de sa joue.
- Mon passé menace constamment de me consumer. Je sais, je suis un lâche et pour cela, je suis désolé. Je me disais que... j'allais enfin avoir une forme de paix.
- En perdant la vie, grogna Shalith.
Irritée, elle poussa un sifflement vénéneux puis, elle baissa le regard et son expression s'adoucit, transformé par la tristesse. Elle aussi n'était pas parfaite; elle était surprotectrice et bornée, mais dans le fond, c'était tout simplement parce qu'elle sympathisait avec son dragonnier. Elle ne désirait qu'aucun mal de plus lui arrive. Elle était peut-être née du vol draconique noir, celui le plus jugé et dont on se méfiait le plus, mais elle avait un cœur tendre.
Elle était si forte, si indépendante, si loyale à elle-même, mais elle avait une grande faiblesse : sa dépendance affective à Serfantor. Toute sa vie, elle avait prétendue être désintéressée aux interactions sociales car elle n'avait vraiment pas confiance en personne. Elle s'était faite traitée comme une monstruosité à maintes reprises. La situation était mieux depuis qu'elle était à Atgoren, mais les insouciants s'en prenaient encore à elle occasionnellement.
- Tu semblais aller tellement mieux, encouragea-t-elle, sa voix adoucit. Tu avançais quoique petit à petit et qu'importe la vitesse, c'est tout aussi bien.
- J'avais trouvé une motivation : premièrement toi puis, Arièlla à amplifier se désir, expliqua l'elfe gris. Néanmoins, j'étais trop faible d'esprit... Ma punition est la perte de mes amis, de ma première vraie maison et possiblement de mon premier amour. J'aurai dû puiser dans mon courage quand j'avais encore le temps d'agir. J'étais un lâche. Au moins, je t'ais toujours toi : celle qui depuis le début s'est dédiée pour mon bien-être. Tu aurais pu y laisser ta vie lorsque je me suis fait condamné à l'exécution. Les maîtres avaient l'intention de te laisser ta vie puisqu'ils jugeaient que ce n'était pas ta faute. Tu aurais pu être en sécurité et beigner dans une vie tranquille à Atgoren. Très peu de gens ont cette chance.
- Je m'en fous de ces maîtres, de leurs dragons, de leur pacte, de leur organisation dans toute son ampleur ! Ce qui m'importe c'est moi et toi ! La vie n'en vaut pas la peine sans bonheur. Cette académie n'est pas importante; ce n'est pas en cause de cela que je trouve de la joie dans ma vie. Comprends-tu pourquoi mon choix n'a pas été difficile ?
- Je... Oui... Désolé Shalith. Je projetais mes aspirations sur les tiennes. Je ne me suis jamais senti chez moi ni en sécurité nulle part. Ce serait divin d'obtenir cela... p-pour moi... Je ne voulais pas retourner à ce stade ! brailla-t-il, les larmes débordantes de ses orbites, roulant tranquillement sur son visage foncé.
La vulnérabilité du prince elfe toucha la dragonne droit au cœur et elle se surprit à commencer à pleurer doucement, silencieusement. Elle réalisa à quel point son dragonnier était à la fois fort et faible, comme chacun des humanoïdes sur ces landes. Son peuple – les dragons - traitait l'information et leurs émotions différemment, mais cela ne l'est empêchait pas d'être imparfaits.
Shalith s'approcha de Serfantor et forma un cocon protectif à l'aide son aile à la fois sombre et translucide autour de lui. Elle aurait bien voulu l'enlacer, mais c'était difficile avec un physique dragon et de surcroit, elle était bien au courant que son sang et son corps étaient froid et que ses écailles étaient humides et gluantes. Ce n'était pas plaisant au touché.
Malgré cela, l'elfe passa ses bras autour d'elle, incapable d'enlacer son torse au complet en cause de la différence majeure de taille entre les deux individus. La dragonne ébène cligna des yeux lentement et se mit à ronronner, incapable de prononcer un mot en cause de la boule qui s'était formé dans sa gorge.
- Merci d'être qui tu es, s'exprima Serfantor dans une voix brisée par la tristesse. Je n'aurais pu demander meilleure amie dans ce monde.
- Dois-je te rappelé qu'une certaine petite blonde te trouve énormément à son goût aussi ? dit Shalith qui avait enfin séché ses larmes. N'oublie pas Arièlla. Elle t'a promis qu'elle serait de ton côté. Ne laisse plus tes démons te contrôler à partir de maintenant. Tu dois bâtir ta propre vie; n'ait crainte.
- C'est tellement difficile Shalith. Je n'ai confiance en personne ni en rien, pas mêmes en mes propres idéaux.
- Je crois que cette Arièlla te surprendra, affirma la dragonne avec un semblant de sourire en coin, laissant une canine dépassée de sa gueule ce qui lui accorda un air plutôt cocasse.
Elle adopta une expression plus sérieuse et continua :
- Je crois en toi. Cherche au fond de toi-même et voit qu'il te reste encore bien des choses à vivre. Libère-toi ! Ton chez-soi n'a pas besoin d'être définit par un endroit ou une habitation.
- Tu as raison, accepta Serfantor en reprenant un peu de son sang-froid. Nous pouvons recommencer notre vie ensemble, même si celle-ci est en fuite en perpétuité. Arièlla doit attendre mon retour. Elle a promis qu'elle me supportera. Elle doit être inquiète.
Il fit une pause, imaginant la longue chevelure ondulée de la magnifique jeune dragonnière qui tourbillonnait dans les brises provenant des cieux. Certes, elle était têtue et sévère, mais elle possédait aussi un cœur aussi dorée que sa crinière, légèrement salit par l'erreur humaine.
- Je ne l'avais pas réalisé car j'étais sous le choc, mais elle me manque.
- Oh je sais, répliqua Shalith en roulant son unique œil humide.
Serfantor leva le regard pour croiser le sien et afficha un petit sourire mesquin.
- Devrait-on aller à Norkux ? Il faudrait aller visiter Mère, plaisantait-il en ignorant un pincement à son cœur.
- Tu es complètement débile et je refuse de te laisser parler d'elle, siffla la dragonne entre ses crocs. Cette femme est un véritable poison sur l'humanité.
- J'aimerai croire qu'elle a ses raisons pour agir ainsi, dit tristement l'elfe.
- Ça ne l'excuserai pas ! rugit Shalith qui en avait assez entendu.
Elle expira longuement, puis elle continua sur un ton beaucoup plus calme :
- Bon... Il y a un petit village près de l'académie. Nous devrions y aller. C'est un endroit idéal car les habitants devraient être habitués à la présence des dragons et tu pourrais aller visiter Arièlla sans trop voyager longtemps pour discuter d'un plan d'action.
- C'est assez loin pour que les Gardiens ne nous repèrent pas ?
- Je crois que nous serions saufs. En revanche, nous ne pouvons pas rester longtemps. Ça serait imprudent. D'ailleurs... Nous devrions y aller... Tu as besoin de nourriture et d'un guérisseur.
- Guérisseur ? Mais... pourquoi ?
Shalith se secoua, un peu comme un chien qui venait d'émerger de sous l'eau. Serfantor, de son côté, resta immobile, le regard figé sur ses mains qui étaient affligées de plusieurs brûlures. Une série de couleurs chaotiques... Non. Des images floues submergèrent son esprit, qu'importe sa volonté. C'était comme si on venait de débouché le flux d'une rivière acharnée dans sa tête. Il sentit ses muscles se contractés, il serra les dents et ses yeux s'écarquillèrent sous les émotions soudaines.
- Serfantor ? appela une voix féminine et familière.
Le prince l'ignora, il ne pouvait pas faire autrement. Il était hypnotisé par l'apparence de ses mains; elles étaient si grossières, la peau d'un gris médium comme du fer forgé était immaculé de rougeurs.
- Sh-Shalith... Que s'est-il passé lorsque tu m'as sauvé ?
Mais avant que sa compagne puisse répondre, les souvenirs qui défilaient en boucle s'éclaircirent et enfin, il put visualiser les évènements de ce malheureux jour.
Il revit de Grand Sage Wirus qui tenait un parchemin entre ses mains et qui récitait la lettre que sa mère lui avait adressé. Le sentiment de trahison lui coupa le souffle.
Il se souvint de la décision de sa mise à mort, une décision de la faction qu'il avait appris à aimer. Une main invisible empoigna ses entrailles.
Il entendit ses propres lamentations, ses supplies. Une larme s'échappa de son œil gauche et à son contact, il sentit sa peau brûler comme si le liquide était de l'acide.
Il remémora son désespoir, son abandon de la vie et ses paroles à cet instant : J-je s-s-suis dés-solé. La main invisible serra son emprise, causant de la pression en son intérieur.
Il visionna son corps se faire traîner agressivement jusqu'à un coin de la cité qui était déserte et boueuse. Son cœur s'affola, envoyant des vagues de sang au travers de son corps en détresse.
Il se vit se faire jeter au sol, trempant ses vêtements de brun et lorsqu'il se tourna, il aperçut un chatoiement : une épée qui venait de se faire dégainée. Il ferma les yeux, incapable d'en prendre plus, mais les images ne disparurent pas.
Deux yeux qui semblaient enflammées l'observaient de derrière le dragonnier qui brandit son arme haute. Ses membres se mirent à trembler comme une feuille à la merci d'une tempête.
Un rugissement bestial le secoua, le même son terrifiant, mais rassurant qu'il entendit aussi dans ses souvenirs au même instant.
Il ouvrit les yeux et il fut incapable de remémorer le reste. Que c'était-il passé ?
- Pourquoi ne suis-je pas mort ?
Shalith baissa légèrement la tête et hésita, cherchant pour ses mots.
- Wirus... était préparé... Son dragon surveillait la scène... Je suis arrivée juste à temps... J'ai rugis pour t'en avertir, mais tu as perdu connaissance. J'ai réussi à te sauver en arrachant au misérable son bras qui tenait son arme de fer. Priorisant ta sécurité, j'ai été impulsive et imprudente. Le dragon a craché un infernal sur nous et tu as été blessé, expliquant tes brûlures. Heureusement que j'étais entre toi et lui sinon, tu n'aurais pas survécu.
- Shalith...
- Oh, ne te fais pas de soucis pour moi. Nous nous en sommes sortis et je n'avais que des blessures mineures.
- J'ai perdu connaissance... Quelle honte, murmura doucement le prince en baissant le visage en espérant que sa chevelure pâle dissimule son visage.
- Tu étais sous le choc. Ne te blâme pas. Je ne désire pas te pousser, mais je crois qu'il serait sage de se mettre en route...
- Je suis d'accord, dit le prince en grimaçant de douleur lorsqu'il se remit sur pieds.
Son corps entier était parsemé de brûlures moyennement sévères. Son linge avait, par endroit, été ravagé par les flammes, lui donnant une allure misérable.
- Allons-y, soupira Serfantor.
- Sur mon dos, champion, rigola la dragonne.
Le dragonnier obéit, se hissant avec difficulté sur son amie même si celle-ci c'était penchée pour lui venir en aide. Endurant une dernière vague de douleur aiguë, il s'installa sur son garrot et lui fit signe de prendre son essor.
Les deux compagnons se dirigèrent donc vers Sivèth, un village au nord-est d'Atgoren. Leur destination était relativement proche. Ainsi, ils l'atteignirent par le biais du vol en dedans de quelques heures.
Shalith décida de se trouver un petit endroit pour dormir et chasser dans sa solide de la forêt à proximité, jugeant que les villageois auraient pu reporter sa présence aux Gardiens.
Pendant ce temps, Serfantor passa d'établissement à l'autre dans l'espoir de trouver un peu d'empathie. Il n'avait pas de monnaie et il avait grandement besoin de soins et de bon repos. Ce fut une grande femme à la chevelure bouclée et rousse qui l'accueillit dans sa modeste auberge. Elle le prit en pitié et lui accorda deux soirées gratuites, ses repas compris et appela le guérisseur du village.
Doucement, l'elfe gris se rétablit et dormit la plupart de son temps passé à Sivèth, le tout sur la surveillance subtile de Shalith.
✦×✦
14e jour de la saison de la mort 2448
En soirée, Serfantor et Shalith étaient sur leur chemin du retour de l'académie d'Archlan à Sivèth. Le vent était glacial ce qui la dragonne appréciait, mais pas tellement son cavalier. Celui-ci était enroulé dans une cape à fourrure sombre qui n'avait miraculeusement pas été endommagé par le torrent de flammes qui s'était abattu sur lui et Shalith il y avait deux jours. C'était bien la seule chose... Il avait l'air bien abattu, moralement et physiquement. Ses blessures le faisaient encore souffrir bien que, moins qu'avant grâce aux soins du guérisseur de Sivèth. Il posa ses yeux sur sa main ganté, sachant que sous le tissu se trouvait une série de brûlures en train de se cicatriser. Son visage était intact, mais une bonne partie de son physique allait garder cette altération pour le restant de ses jours. C'était ce que lui avait dit son sauveur : un certain Neÿallien. Il soupira, rassuré qu'Arièlla n'avait pas remarqué les bandages qui dépassait légèrement de ses manches. Son corps en était recouvert sous ses vêtements.
- Tout va bien ? questionna Shalith dans un grognement inquiet.
N'ayant aucune envie de partager ses sentiments, le prince garda le silence. Il venait à peine de quitter Arièlla et elle lui manquait déjà. Il s'était attaché à sa simple présence, quoique parfois un peu énervante. Tentant de retenir un rire, à la place, il poussa un petit hmph en se remémorant de souvenirs avec elle.
- Ignore-moi comme tu le désires, ronchonna la dragonne en accélérant sa vitesse de vol. Il va bien falloir qu'on discute à un moment donné de ce que nous allons faire. Nous devons partir de Sivèth ce soir. Tu es resté déjà trop longtemps.
L'elfe gris eut un sourire en coin face à la jalousie de sa partenaire. Il lui caresse la base du cou en repoussant sa longue chevelure argentée qui s'énervait avec les puissantes brises.
- Je sais... Je sais...
Il sentit une vibration provenant du torse de la dragonne, confirmation qu'elle ronronnait à son touché.
Shalith se posa à proximité de Sivèth, dissimulée par la noirceur profonde de cette nuit de lune noire et laissa son dragonnier se rendre au village à pieds. Elle ne la lâcha pas du regard, même après que sa forme ne se transforme en simple point.
Serfantor était présentement aux frontières du village. Comme d'habitude, à cette heure tardive, les gens étaient dans leurs demeures et les rues étaient désertes. Il n'y avait que le chant des criquets qui perçait le silence paisible. Encore une fois, la lune était trop sombre pour émettre de la lueur assez claire pour illuminer la voie. Néanmoins, il y avait quelques torches accrochées aux maisons et cela en était assez pour que l'elfe y distingue où il allait. D'ailleurs, où allait-il ? Il ne pouvait pas retourner à l'auberge sans monnaie.
- Mince, grogna-t-il doucement.
Il s'arrêta, contemplant sa prochaine action. C'est alors qu'il remarqua qu'on l'observait. Il porta son attention aux fenêtres de habitations et il y vit des multiples de pairs d'yeux qui le fixaient. Ce comportement était anormal. Normalement, les villageois n'avaient aucune raison pour le surveiller. Il eut l'instinct de tendre la main pour sa bardiche, mais il se fit cruellement rappeler qu'il l'avait perdu entre les griffes des Gardiens.
Anxieux, il fit volte-face, désirant retourné à Shalith pour de la protection.
- Où vas-tu donc fiston ? demanda une voix hautaine.
On agrippa le dragonnier de derrière par l'épaule et on le tira. Serfantor, toujours instable sur ses jambes brûlées, ne put lutter contre la force de son assaillant. Son corps se tourna sans son accord et il se retrouva face à face avec l'un de ses pires cauchemars : le forme si distinctive et pointue du heaume ébène porté des Heaumes Noires, guerriers d'élite du peuple elfe gris. Son cœur se serra et il sentit ses poils s'hérisser. Ils l'avaient trouvé.
- Non !
- Tu nous dois ta vie, fils de Noktow ! s'exclama avec passion le guerrier.
- Je ne suis pas le fils de ce dieu des ténèbres !
- Blasphème ! Hérétique !
Les villageois ne firent que regarder alors que le grand soldat se mit à traîner le prince à sa merci en direction de quelques figures élancées qui rappelaient à des elfes.
- Non ! Je n'appartiens pas à ma mère ! beugla Serfantor. Je suis un être vivant ! Je ne suis qu'à moi !
Il lutta, se déchaîna, tira dans la direction opposée, mais le Heaume Noire était bien plus fort que lui physiquement, particulièrement dans son état présent. Il planta ses talons dans la terre, le désespoir l'emportant sur lui. Il n'y avait pas de façon de s'échapper. Il lui fallait...
- Shalith ! hurla-t-il au sommet de ses poumons. Shalith !
On se relâcha et avant qu'il n'ait la chance de réagir, il fut poussé, trébuchant sur une roche et tombant à genoux devant l'une des figures féminines. Une douleur effroyable lui traversa les avant-jambe alors que celles-ci furent écorché par le sol rugueux.
- Arggh...hgn...
- Le voici Sa Noirceur, annonça le Heaume Noire.
Un rugissement démoniaque retentit, laissant tout ceux qui l'entendit dans un état de frayeur. Tous sauf Serfantor qui était soulagé et la femme elfique qui se trouvait en face de lui. Cette-dernière réagit en dégainant une dague crochue, en forçant le prince à se lever et en posant la lame contre son cou. Étant si près d'elle, le dragonnier reconnut son parfum sucré : c'était celui de sa mère. Un profond dégoût s'installa dans sa gorge sous forme de goût amer.
- Je savais que tu n'allais pas aller bien loin sans ta précieuse blonde, ricana la femme elfe grise. Tu as toujours été un mouton; épris de la romance que tu vivais en secret au travers de romans. Ce que tu es pathétique.
Le cœur du prince se serra à cette dernière mention. Il était au courant qu'il lisait pour oublier sa vie et son horrible mère et qu'il était un lâche. Il se l'était répété des milliers de fois au courant de sa vie, mais il n'avait jamais pu trouver une façon de confronter ses peurs.
Un deuxième rugissement brisa le silence puis, enfin, ils entendirent les pas titanesques qui firent légèrement trembler la terre. Des ténèbres, une dragonne noire au regard rageux s'élança à la charge, crocs et griffes dehors. Sa fièvre s'éteignit lorsqu'elle aperçut Serfantor qui était sur le point de se faire poignarder.
- Touche à l'un de nous et ton dragonnier meurt, menaça la reine de sa voix vénéneuse.
Dans un épisode de folie, Shalith se tortilla et hurla sa frustration en ravageant le sol de ses griffes avant.
- Oh que beauté, complimenta la souveraine de Norkrux.
- Nous ne désirons que la paix ! tonna Shalith en montrant ses crocs sur lesquels des coulis de bave manquaient se tomber. Qu'est-ce que se garçon vous as fait pour mériter une telle torture ? Il a déjà presque tout perdu ! Laissez-le vivre !
- Langue sale, sa vie m'appartient comme tous les elfes gris sur ses landes !
- Faites de moi ce que vous désirez, mais laissez-le partir. Je sais que c'est mon pouvoir que tu désires !
- Tu as parfaitement raison, ma chère. Tristement, tu es incapable de bien te comporter sans lui.
Shalith poussa un sifflement sec et faillit se laisser tenter par sa soif de vengeance. Elle recula de quelques pas une fois calmée et pouffa des narines, laissant un nuage d'ombre s'en échapper.
- Mais dans le fond, continua l'elfe grise, c'est toi le problème, chère chasseresse des pénombres. Mon fils est devenu faible en cause de tes murmures, de tes idées qui s'effilochent dans son esprit influençable. C'est donc toi qui doit être éliminé pour regagner le contrôle.
Quelques Heaumes Noires pointèrent leurs armes en direction de la dragonne, seulement pour se faire refuser de la reine.
- Du calme, du calme, dit-elle.
Ils obéirent, mais gardèrent leurs yeux fixés sur Shalith, observant attentivement chacun de ses mouvements.
- C'est pour cela que tu m'as fait passer pour un traître auprès des Gardiens d'Aerinda ? questionna Serfantor, choqué.
- J'avoue que oui, répondit sa mère avec froideur. C'était mon plan. Mais cela ne m'aurait nullement dérangé si tu avais perdu la vie. Heureusement, tu es un survivant comme je l'avais espérée.
- Alors, ce n'était qu'un test !?! beugla-t-il, affolé des manigances de son propre parent.
- Comprend que c'était nécessaire mon lionceau des ténèbres. Ta volonté vacillait dangereusement.
C'était un surnom qu'elle n'avait pas utilisé depuis qu'il avait atteint l'âge adulte. Les lions avaient toujours été des créatures fascinantes à ces yeux : puissants, rois de la savane et des alpha prédateurs. Personne ne s'en prenait à eux. Ainsi, elle avait espéré que son propre fils suive les traces de ces félidés. Hélas, ce n'était pas le cas et sa patience s'était épuisée.
Elle rapprocha la lame à la peau sombre du prince et afficha un sourire tordu.
- Jassaya, murmura l'un des elfes à ses côtés que Serfantor reconnut comme son père. Jassaya, ne soit pas radicale. Je t'en prie.
C'était bien l'une des rares occurrences où le dragonnier entendait le prénom de sa mère sortir d'une bouche autre que celle d'un amant qui jouissait en sa présence.
Mais la reine l'ignora, son expression loufoque demeurant.
- Laisse-toi tuer, chasseuse alpha sinon, c'est ton partenaire de vie qui périra sous ma lame assoiffée de sang ! tonna-t-elle.
Le visage de Shalith se tordit sous la rage. Serfantor l'avait déjà vu dans un état de colère, mais cette-fois c'était différent. Même dans la noirceur de la lune noire, il apercevait les yeux de la dragonne qui semblait rayonner d'un doux cramoisis. Ce n'était que le fruit de son imagination, où était-ce ? Peut-être que ses sentiments, tellement accablants, coulaient hors de ses orbites, se manifestant sous une teinte de rouge. Après tout, les dragons étaient capables de bien des choses mystérieuses, inexplicables.
Elle allait le sauver. Il avait foie en elle. Elle était un alpha, comme sa mère l'avait réclamée.
- Jen ais assez de toi, déclara Jassaya en souriant.
Shalith rugit et avança de quelques pas, provoquant la reine à percer la peau de son hottage. De la blessure, une seule goutte de sang émergea.
- Tu vois ? Je suis sérieuse. Recule et laisse-toi tuer !
Shalith s'immobilisa, incapable de décider entre risquer la vie de Serfantor ou d'obéir, coincée entre ces choix déchirants en plus de devoir trouver la force de ne pas succomber à ses envies meurtrières. Même elle, une puissante dragonne, ne pouvait rien faire face à cette situation. Un seul faux pas et la vie du prince s'éteindrait. Elle ne doutait pas des paroles de Jassaya. Elle était, après tout, le produit de son peuple : cruelle, égoïste et égocentrique.
- Tu ne pourrais jamais me vaincre dans des conditions normales ! grogna la dragonne.
- C'est précisément pourquoi j'ai besoin de mon hottage, ricana l'elfe grise. Je ne suis pas stupide. Je ne sous-estime pas ta puissance, ô dragonne des ténèbres. Notre douce, douce noirceur...
Encore une fois, Shalith ne put se contenir : elle rugit, agita la queue et vomit un nuage d'ombre. Cette-fois, la reine agrippa le cimeterre de l'un de ses loyal guerriers et planta légèrement son extrémité acérée dans l'épaule de son fils.
- C'est mon dernier avertissement ! Es-tu si bestiale au point de commettre une telle erreur ?
Serfantor hurla son agonie et se sentit faiblir sous le choc. Cependant, la reine ainsi que deux Heaumes Noires ne lui accordèrent pas le luxe de se laisser tomber. Il fut forcé à rester debout, grimaçant dans sa douleur.
- Réalise que rien n'est juste à propos de nous elfes gris ! s'exclama Jassaya avec fierté.
- Arrête ! Mère ! hurla le dragonnier avec supplice. Pourquoi ?
Il se tortilla comme un animal qui luttait pour réclamer son droit de vivre. Il savait que sa mère n'allait pas l'écouter; elle ne le faisait jamais. Il devait se libérer sinon Shalith allait rester coincé dans cette situation désespérée. Il était fatigué, épuisé de ses émotions, drainé de ses blessures, mais il réussit à s'échapper. Il s'élança vers Shalith rien que pour se faire agripper par la cape. Cette-fois, c'était deux Heaumes Noires au visage dissimulé par leur armure ébène qui le retenait. Ils s'assurèrent de pointer une épée à la gorge du prisonnier avant que la dragonne ne puisse réagir.
- Non ! Shalith ne fait rien de brusque ! Ne les laisse pas t'enlever la vie !
- Sale idiot ! grogna Jassaya, outrée par le comportement de son fils.
Elle tourna la tête vers la dragonne et rugit pour qu'elle l'entende bien :
- Fais ton choix sinon, je déciderai pour toi !
Pendant un long moment, le prince continua de se débattre en vain alors que Shalith serrait les mâchoires, visiblement confuse et prise d'une détresse effroyable.
Enfin, elle se coucha au sol comme une bête qui avait abandonné la course contre un chasseur. Elle n'osa pas croiser le regard de son dragonnier. Elle ne fit que murmurer :
- Souviens-toi de notre discussion... Tes démons ne sont pas toi.
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