43 - Libération
8e jour de la saison du sapin 2450
— Umah est dans le ciel ? questionna Azéna.
— Je ne crois pas, dit Tyrath. Mais je l'ai aperçu entrain de voyager à plusieurs reprises. Je veux tout simplement une meilleure vue d'ensemble.
De là-haut, la rebelle n'y distinguait pas grand-chose. Son compagnon possédait une bien meilleure vision nocturne et sondait les environs. Le regard améthyste vrillé vers le bas, il émettait quelques grognements de temps à autre, signalant que ce qu'il voyait ne lui plaisait pas.
Entretemps, l'archère surveillait leurs arrières et c'était bien fait pour elle car non loin d'eux, une créature ailée maintenait son altitude aussi et attendait. Elle était étrangement familière et vint pincer la demi-elfe droit au cœur sans qu'elle ne l'identifie clairement. Là, dans le déluge artificiel se trouvait une dragonne au physique émacié. Comment Azéna pouvait-elle savoir qu'elle était une femelle ? Elle en était incertaine. Tout ce qu'elle savait, c'est qu'elle la connaissait et qu'elle avait le désir d'aller la rejoindre.
— Tyrath...
— Là ! s'exclama le drake qui ne semblait pas avoir entendu sa cavalière.
Il s'élança avec fougue vers le nord d'Atgoren en montant légèrement avant se piqué vers le sol. Dans ce bref délais, Azéna cru apercevoir un homme à dos de la dragonne sombre. Celui-ci portait une cape trop lourde pour danser dans les brises, une immense épée et une armure lourde, les détails du tout embrouillé dans la noirceur. Son regard croisa le sien, mais elle ne pouvait pas l'identifier sous son heaume. Pourtant, elle sentit l'envie irrésistible et passagère d'aller lui parler.
Tyrath était trop préoccupé par leur mission originale : le Gok'Mok. Il faisait bien. Il ne s'était pas laissé distrait. Il vira soudainement et se redirigea vers l'académie d'Archlan. Frustré, il rugit dans une tentative de provoquer sa cible. Ces efforts furent vains. Il fut ignoré.
Azéna ne savait même pas qui il suivait. Elle était toujours hypnotisée par les deux mystérieuses présences qui demeuraient hautes dans le ciel à l'abri des regards.
Le duo termina sa descente près des remparts de l'académie d'Archlan dans lequel la moitié des citoyens pacifistes se réfugiaient. Quelques dragonniers protégeaient les entrées, mais il semblait que cet endroit était principalement isolé du combat.
Tyrath semblait avoir perdu les traces de l'elfe. Il vira en ronds, reniflant le sol mouillé par la neige fondante et la pluie chaude. Il fouetta la queue, énervé. Il se rendit à l'arrière du fort et c'est là qu'il détecta l'odeur d'Umah. Il se précipita à sa poursuite, le menant à l'une des entrées secondaires, celle-ci du côté est et rarement empruntée. C'était parfait pour se glisser en douce dans l'académie.
— Vil être ! Il est retourné se terrer derrière les murs de roches comme un lâche ! aboya le jeune dragon.
— Il est sûrement en quête d'un endroit tranquille pour contrôler le Gok'Mok, devina Azéna. Il va falloir que j'y vais aussi.
— Pas seule ! Je l'interdis ! Ce Gok'Mok est trop vicieux.
— Un Gok'Mok ? questionna une voix masculine et épuisé.
À leur droite, un elfe lunaire à la longue chevelure argenté en bataille sautait en bas de sa monture : une majestueuse dragonne bleue adulte. Eldarytzan et Miana les fixaient avec incrédulité, leur souffle saccadé et leurs traits étirés par une fatigue évidente. Ils arrivaient probablement du cœur du champ de bataille ce qui expliquerait leur manque d'énergie.
— Umah est à l'intérieur et il a compléter le rituel pour invoquer l'un de ces sales esprits corrompus, expliqua l'adolescente avec colère.
— Le... Gok'Mok ? Ah, je vois... Umah est sûrement l'un de ces double-agents du camp de la Légion Ancestrale, en conclut son père. Donc... ils sont ici. C'est bien ce que je craignais.
— N'étais-tu pas en train de te battre ? interrogea Tyrath avec suspicion.
L'hydromancien hésita comme s'il cherchait ses mots. Sa campagne prit la relève pour lui.
— Nous faisions face aux rebelles de Sombrelame, déclara-t-elle avec assurance. Mais cela n'importe peu, pour l'instant. Voyez-vous, nous aussi la même idée qu'Umah semble-t-il, mais pour des raisons bien différentes.
— Il faut continuer notre poursuite ! beugla l'archère, à bout de patience. Je ne suis pas assez forte pour l'affronter seule, particulièrement avec le Gok'Mok à ses côtés et Tyrath ne peut pas me suivre. Maître Eldarytzan... père.... aide-moi.
— J'ai ma propre raison d'être ici ma fille, dit l'elfe au regard d'un bleu pétillant. Arièlla... Je ne peux pas la trouver. Elle doit être à l'intérieur et ce n'est pas son genre de fuir son devoir. Elle ne craint pas le feu terrible du combat.
— Elle n'est pas sur le champ de bataille ? s'étonna l'aéromancienne, soudainement très inquiète pour sa petite sœur.
— Ma famille est ma priorité. Je dois la trouver.
— Et la mienne est de détruire Umah et le Gok'Mok, pour protéger la mienne !
Azéna comprenait le raisonnement de son père. L'instinct parental était parfois l'une des forces les plus puissantes sur ce monde. Azéna, de son côté, voyait le chaman noir comme une menace envers tous ceux qui lui importait. Elle espérait qu'Eldarytzan verrait raison.
Malheureusement, l'adulte maintenait son silence. Ses traits étaient légèrement tordus. Il était clairement torturé entre plusieurs voies. Derrière lui, Mania semblait plus soucieuse que jamais, mais cette fois, elle ne s'interposa pas.
— Arièlla est forte ! encouragea Azéna avec insistance. Elle tiendra le coup jusqu'à ce qu'on la trouve, mais il faut arrêter Umah ! Nous sommes probablement les seuls à savoir ce qu'il fait. Nous sommes des Guerriers d'Aerinda, non ? C'est notre devoir de supporter les nôtres.
Ces derniers mots laissèrent un arrière-goût amer. Elle n'était pas certaine de leur sincérité, mais elle devait convaincre l'hydromancien de l'aider.
— Va avec elle, conseilla la dragonne bleue. Je ne vois pas d'autre issue. Et seule, elle ne s'en sortira sûrement pas vivante. De plus, elle a raison. Arièlla est forte. Ais confiance en ta fille. Elle a été entraînée toute sa vie pour ceci.
Le mage grimaça avec dégoût comme si la vérité des mots de sa partenaire le répugnait. Il finit par hausser les épaules en soupirant comme s'il s'était convaincu à contre-cœur de l'écouter.
— Allons-y, déclara-t-il faiblement.
Avant de partir, Azéna et Eldarytzan prirent le temps de caresser brièvement leur dragon respectif.
— Sois prudente, supplia le drake alors que sa dragonnière lui serrait le cou avec affection.
L'adolescente ne trouva pas le courage de lui répondre. Les mots restèrent coincés dans sa gorge, inquiète que quelque chose d'horrible allait se produire. Elle suivit tout simplement son père qui fit une pause au seuil de l'entrée.
— Je la protégerais, promit-il à Tyrath.
Le dragon argenté acquiesça et poussa un gémissement plaintif en regardant le duo s'enfoncer dans les profondeurs de l'académie.
Les Valkirel trouvèrent Umah dans un couloir solitaire assit sur le sol froid entrain de psalmodier, sûrement en but de contrôler son pantin spirituel qui n'était pas en vue. Au lieu d'affronter les intrus, il martela un dernier ordre et s'enfuit. Il était incroyablement rapide considérant son physique costaud. C'était surhumain et puis, dans le fond, il n'était pas un elfe normal. Plus le temps s'écoulait, plus la chasse devenait difficile pour ses poursuiveurs car il se métamorphosait, adoptant des aspects bestiales qui amplifiait ses capacités. Il se mit à grimper les murs, bondir sur des distances incroyables et performer des acrobaties que nul ne l'aurait suspecté d'être capable d'exécuter.
— Tu vas payer, sale traitre ! rugit Azéna qui retrouvait son caractère enflammé alors que son adrénaline faisait son entrée.
Éventuellement, ils aboutirent à l'étage supérieur de l'académie, à l'extérieur sur les remparts. Le ciel nocturne était partiellement voilé de couleurs de toutes les sortes. Ce phénomène lumineux était des plus magnifiques. On aurait dit des aurores polaires qui se transformaient, alternant de forme, de grosseur, de teintes et même d'intensité. Et parmi tout cela, des dragons et leurs cavaliers s'affrontaient. Leurs attaques élémentaires étant la cause de cette peinture vivante.
— Quoi ? Mais... pourquoi les Guerriers se tiennent-ils tête !? s'exclama Azéna qui n'en revenait pas. Qu'est-ce qui a changé en si peu de temps ?
— Concentres-toi, lui conseilla son père. Notre ennemi est particulièrement dangereux.
— Avec toi à mes côtés, je me sens confiante, lui avoua l'archère avec un grand sourire.
Le mage étira ses lèvres doucement, mais sans plus. Ses muscles étaient déjà tendus et ne il semblait pas être imprégné d'autant d'assurance que sa fille. Celle-ci se disait que c'était sûrement en cause du rude combat qu'il avait dû mener pour défendre Atgoren. Elle ne s'attendait pas à une explosion d'énergie de sa part.
C'est au sommet des murailles que le Gok'Mok vint rejoindre son maître et que la poursuite se termina. L'esprit était comme il l'était lors de son apparition il y avait quelques saisons de cela : clairement humanoïde, mais à la fois difficile à distinguer. Son corps était translucide et formé d'une substance gazeuse. Il flottait doucement et fixait l'elfe sylvain comme un soldat qui attendait pour sa prochaine mission.
Sa proximité apporta un grand mal à l'aise en Azéna. Plus elle approchait, plus elle se sentit frissonner. Et Umah... Elle avait l'impression qu'elle ne l'avait pas vu pendant un certain temps à l'académie. Il était devenu si mature, si costaud, si intimidant. Il avait l'allure d'un adulte et bien plus malgré ses dix-sept années. On aurait dit qu'il était partiellement un géant, un peu comme son progéniteur d'ailleurs. Ils étaient tous les deux si anormalement grands.
— Un développement bien accéléré, confirma Eldarytzan. C'est souvent le résultat de la pratique du chamanisme pervertis. L'âme est fusionnée avec celui d'une vile créature, résultant en ce physique tordu.
En effet, Umah ressemblait à un mélange de lui-même et de plusieurs bêtes. Il portait des ramures de cerfs au front, sa barbe s'était étendue jusqu'à ses épaules nues, formant une fourrure épaisse, ses mains n'étaient plus que des monstruosités à griffes et de sa bouche saillait deux longues canines tranchantes. Si c'était même possible et ce l'était, sa musculature avait doublé en ampleur, rappelant la morphologie d'un ours. Il lui manquait juste une queue et ça aurait été la parfaite abomination.
Son souffle bruyant donnait l'impression que ses organes avaient de la difficulté à supporter son physique altéré. Il ne pouvait sûrement pas demeurer ainsi pour longtemps.
Son regard se posa sur la demi-elfe qui tressaillit à cette attention. Les yeux assombris et vidés de tout à l'exception de la rage lui rappelaient des souvenirs de leurs confrontations du passé, mais plus particulièrement de la douleur agonisante que lui avait procurer les blessures sérieuses qui s'en étaient en ensuivies. Par instinct, elle serra son épaule qui avait été sauvagement mordu par le chaman enragé. Elle était guérie certes, mais les cicatrices spirituelles ne s'étaient pas encore complètement dissipées. Et si cette fois, Leith ne pouvait pas l'aider ? D'ailleurs, elle n'avait aucune idée d'où la guérisseuse pouvait bien se trouver.
— Je vais en finir rapidement, informa Eldarytzan qui se mit en position offensive, rassemblant les gouttes de la pluie agressive autour de ses paumes.
Umah ne paraissait pas hors de contrôle, pas encore. Il se mouvait avec calme et rationalité. L'archère savait que cela n'allait être que de courte durée.
Heureusement, l'élément de l'eau avait un avantage sur celui de la terre. Dans cet aspect, l'adulte dominait. Le jeune chaman devait le savoir et il allait réagir en conséquence. Azéna aurait tant voulu avoir la capacité de prédire sa stratégie, mais elle n'en avait franchement aucune idée. Umah était tout simplement fou furieux comme un animal et ses pensées ne s'enchainaient pas lorsqu'il perdait son sang-froid.
Eldarytzan s'avança brusquement en balançant les bras vers l'avant. Les sphères d'eau qu'il avait formé autour de ses mains furent projeté en direction de la figure d'Umah. Le Gok'Mok se déplaça devant son maître et malgré fut sous sa forme spirituelle, il fut atteint. L'attaque élémentaire était si agressive qu'il en fut repoussé, passant au travers de celui qu'il protégeait.
Tout allait bien...pour l'instant. Eldarytzan n'avait pas été témoins de la brutalité de cette entité ; Azéna si et elle craignait pour son père. Elle avait aussi peur qu'Umah se décide de se mêler au combat. Le mage devra être ininterrompu s'il désirait une chance de s'en sortir victorieux.
Pendant qu'il s'occupait de son adversaire, sa fille s'avança à son tour. Elle fixa Umah d'un regard noir et songea à ses flèches enchantées. Elle était aussi protégée du médaillon, mais ça, le chaman en était ignorant. Cela lui accordait de la bravoure, même peut-être un peu trop.
— Attention omnnah, avertis Turion qui s'était doucement éveillé, sûrement pour observer. Ne le sous-estime surtout pas. Je sens ta soif de triomphe couler dans tes veines.
Sa présence la dérangeait un peu, mais moins qu'elle ne l'aurait cru.
— Tu vas voir. Tu ne vas plus m'appeler omnnah lorsque je serais une grande guerrière, rétorqua l'adolescente en souriant en coin.
Le dragon légendaire ne répliqua pas. Il se contenta de se terrer au fond de la conscience de son hôte sans trop s'éloigner non plus. Il était à la fois nerveux et autant fougueuse qu'elle. Sa logique était probablement mêlée aux émotions de l'archère ce qui créait des réactions contradictoires.
Azéna attaqua avec toute son intention de venger tous ceux que sa cible avait blesser au travers des années. Elle tenta de poignarder Umah au cou, mais celui-ci esquiva fluidement. Il prit le temps de s'éloigner de quelques pas tandis qu'elle encocha une flèche à son arc. Avant qu'elle puisse bander l'arc, un rugissement attira son attention. L'elfe sylvain chargea à toute allure, la plaqua avec rudesse de son épaule et l'envoya s'écraser près de son père qui luttait contre son adversaire. Le Gok'Mok ne faisait qu'alterner entre sa forme physique et spirituelle et en réponse, le mage adaptait sa méthode, utilisant son pouvoir élémentaire et magique ou parfois, une épée courte.
Azéna n'avait pas le temps de se préoccuper de lui du tout. Elle entendait les coups et elle savait que leur danse était brutale et rapide. Eldarytzan était réellement talentueux pour être capable de tenir tête à un tel monstre dans son état de fatigue. Malgré tout, son corps n'allait pas pouvoir endurer ça éternellement. Azéna devait se débarrasser d'Umah et vite. Peut-être qu'en le vainquant, le Gok'Mok allait disparaitre ou le lien entre lui et son maître allait se dissiper.
Elle ne se releva pas, sachant que le colosse était sur le point de répéter son attaque sur elle. Au lieu, elle créa une petite bourrasque qu'elle projeta vers lui. En pleine course et dû à son physique massif, il vacilla et ne sut retrouver son équilibre que grâce au support du parapet. Avant qu'il ne puisse se redresser, il fut assailli par un deuxième coup de vent, celui-ci plus puissant.
L'archère s'était remise sur pieds tandis qu'il se cramponnait à la muraille de pierre. Celle-ci ne lui accorda pas de répit ; elle continua de rediriger le vent vers lui, l'empêchant de prendre action sans lui causer de dommage.
Mais elle était aussi coincée que lui. Si elle cessait son attaque, elle lui donnait l'ouverture qu'il attendait pour riposter et cette fois, elle allait probablement être beaucoup moins chanceuse que la dernière fois.
Umah s'avançait vers elle, très lentement, en agrippant une crevasse à la fois. Simultanément, la demi-elfe reculait avec prudence. Elle ne devait pas faire un faux pas sinon, ce serait la fin.
Après un moment de jouer à la souris et au chat, le chaman s'énerva. Ses yeux devinrent entièrement noirs, il poussa un grognement bestial et il frappa la pierre de ses deux poings. Celle-ci fendit légèrement. Ce n'était rien de trop inquiétant. En premier temps, on questionnait ses motifs. Mais c'est lorsqu'il répéta son mouvement sans cesse et que les blocs commençaient à se détacher de la structure qu'on pouvait voir où il désirait en venir : la création d'armes qu'ils pourraient manipuler grâce à sa géomancie.
Azéna sentit sa bravoure s'effondrer et la panique prendre la relève. S'il se mettait à balancer des morceaux de pierre, son vent ne pourrait pas les arrêtés à moins qu'il soit extrêmement puissant et sans Tyrath, ce n'était tout simplement pas possible. De la pierre était tout simplement trop lourd et elle savait qu'Umah allait avoir la capacité de les manipuler sans Yuzia.
Elle allait tout simplement devoir utiliser cette force monstrueuse à son avantage. Elle jeta un coup d'œil aux alentours et mémorisa la position de son père et du Gok'Mok.
Au bon moment, elle coupa le flux du vent et se dirigea vers l'entité spirituelle en passant à côté de son père. Comme prévu, Umah était bien trop enragé pour se rendre compte de ce qui se passait. Il se mit à la tâche et balança un morceau de pierre de la taille d'un crâne humain. L'aéromancienne n'aurait pas pu atteindre son but à temps si ce n'avait pas été de sa vitesse elfique. Un instant de plus et la pierre se serait écrasé sur Eldarytzan. Mais heureusement, ce fut le Gok'Mok qui l'encaissa en plein torse.
L'esprit poussa un hurlement ahurissant. C'était si puissant et aigu, on aurait dit celui d'un dragon noir qui luttait pour sa vie.
Une fois calmé, il se désintégra en nuage gazeux et disparut dans le firmament comme une feuille soufflé par le vent.
Le combat s'arrêta nette. Pendant un long moment, les trois survivants fixèrent l'endroit où s'était trouvé le Gok'Mok avec une diversité d'émotions.
Le premier à revenir à la réalité fut Umah. Son visage passa d'une nuance cuivrée à rougeâtre. Ses traits se tordirent et il montra les dents comme un animal.
— Attention Azéna, avertis Eldarytzan, son souffle haletant. Son énergie spirituelle est libérée ; il pourra donc l'utiliser autrement.
— Alors on ne lui laisse pas la chance ! s'écria sa fille.
Elle commençait aussi à se fatiguer, mais elle était consciente qu'elle ne pouvait pas s'arrêter là. Tyrath le lui avait dit si souvent et elle devait le prendre à cœur : elle ne pouvait pas hésiter. Elle bondit vers l'elfe sylvain, dague en main. Sa chevelure lourde et dégoulinante la dérangeait, mais elle ne se laissa pas distraire.
Malheureusement pour elle, sa cible était prête pour elle et pas dans le sens qu'elle anticipait. Elle s'attendait à n'importe quoi d'autre, mais son adversaire la laissa l'atteindre au bras. Choquée, elle tressailli et ce fut l'ouverture dont Umah nécessitait pour l'empoigner. Il passa son bras massif autour d'elle, limitant ses mouvements. Elle était si petite et faible à comparer à ce colosse. Elle se retrouva complètement à sa merci, incapable d'atteindre ses armes ni d'effectuer les mouvements nécessaires pour l'aéromancie.
Elle croyait que son père allait aisément avoir la capacité de la sortir de ce pétrin, mais il demeurait immobile. Pourquoi ? Sa réponse vint rapidement. Elle sentit la cime froide d'une petite arme lui effleurer le cou. Un frisson traversa sa colonne vertébrale alors qu'elle réalisa qu'elle était un otage. Le chaman avait utilisé sa dague contre elle.
— Encore aussi impulsive, grogna-t-il.
Il la connaissait bien et s'était préparé à une telle réaction de sa part. Mais il avait été dupé. Il ne pouvait rien faire contre elle. Il ne savait pas à propos de la rune de protection. Elle avait assez de pouvoir pour empêcher une attaque mortelle.
D'ailleurs, Eldarytzan ne semblait pas trop inquiet. C'était sûrement pour cette raison.
— Voilà une façon bien lâche de se battre.
— La Légion n'a aucune préoccupation pour l'honneur, dit le dragonnier brun froidement.
Il s'avança vers son interlocuteur, poussant l'archère vers l'avant en la gardant coincée dans son emprise qui menaçait de l'étouffée. Cette situation était bien familière et elle ne pouvait pas niée qu'elle lui apportait de l'anxiété. C'était une technique similaire que son vil père avait utilisée sur elle.
Ce qu'elle détestait le chatouillement de la respiration lourde de son capteur sur sa peau. Elle l'ignora de son mieux, mais ça la repoussait tellement. On aurait dit une bête en chaleur.
— Mais oui ein ? déclara-t-elle avec confiance, sa voix brisée par la pression. Tu fais quoi, le grand ? Tu vas me poignarder bientôt ? J'ai pas toute la journée.
Umah poussa un petit rire en continuant d'avancer avec douceur. Il défia Eldarytzan de venir la chercher d'un signe de tête. L'elfe lunaire ne réagit aucunement mis à part sa mâchoire qui se serra visiblement. Il était angoissé. Quelque chose n'allait pas. Qu'est-ce que le chaman essayait de faire ? Savait-il pour le médaillon ? Non. Impossible.
— Viens la chercher ! rugit-il, ignorant le sang qui s'écoulait tranquillement de sa plaie. Père !
Il serra son emprise. Azéna ne pouvait plus parler. Elle se sentait comme si elle respirait au travers d'un tunnel minuscule. Elle n'était pas en danger de suffoquer, mais ce n'était pas loin. Elle bougea la tête en signe de négation. Il ne fallait pas qu'Eldarytzan l'écoute. C'était une ruse. Elle ne savait pas en quoi et ne voulait pas le savoir.
— Père ! Ton enfant ! beugla l'elfe sylvain avec moquerie et insistance.
Encore un peu plus serré. Le temps pressait. Azéna sentait ses instincts de survie s'activer et elle ne pouvait plus s'empêcher de se débattre. Elle se tortillait en vain. Cette réaction convaincu le parent d'obéir.
L'emprise se desserra légèrement, juste assez pour qu'elle se calme. Elle eut le temps se réaliser qu'elle n'était plus en danger immédiat et de prendre une bonne respiration. Immédiatement après, elle se sentit libérée d'une autre menace : la dague fut retirée de son cou. Une main gigantesque et griffue agrippa l'une des siennes et la força à tenir l'arme fermement.
— Umah ! Non ! rugit une voix rauque et féminine.
Des bruits de battements d'ailes s'amplifiaient graduellement et prirent dominance par-dessus ceux en arrière-plan qui provenaient du combat au sol.
Azéna n'eut pas le temps de comprendre ce qui se passait. Elle savait tout simplement que son père s'approchait à vive allure et qu'il semblait préparer une attaque. Elle lutta contre la force accablante du chaman, mais celui-ci domina aisément son corps. Elle se sentit glissé vers l'avant et puis, on donna un coup. Son bras armé poignarda, guidé par celui du dragonnier brun.
— Tu m'a nuis ! déclara-t-il avec une tranquillité presque effrayante. Je te nuis.
Il la libéra promptement et fixa la scène, son expression aussi dure que ses actes.
La demi-elfe accouru à son père pour le supporter. Ce dernier s'écroula au sol, une main appliquant de la pression sur sa blessure à l'abdomen. Une quantité importante de sang s'en écoulait déjà.
Azéna s'en voulait tellement. Elle avait poignardé son père, son mentor, son supérieur de sa propre main.
— Ce n'est pas ta faute, lui assura le mage.
Et il avait raison. Elle était tellement préoccupée par la situation qu'elle avait failli l'oublier. Elle vrilla son regard rageux en direction du vrai meurtrier et sentit son esprit défaillir sous la vague impérieuse de ses sentiments turbulents.
Derrière lui, trois dragons approchaient du ciel. La plus proche était Yuzia qui hurlaient à son dragonnier ne pas commettre ses terribles actions. Elle était suivie de près de Tyrath et enfin, de Mania. Ils ne semblaient pas en conflit.
C'est lorsque la dragonne bleue saisit qu'Eldarytzan était mourant qu'elle perdit tout son calme. Elle serra les ailes contre son corps et piqua sauvagement en direction d'Umah avec l'intention de tuer.
Yuzia ne s'arrêta pas non plus. Elle redoubla d'efforts et réussit à atteindre son dragonnier avant la maîtresse des eaux.
Mania effectua un virage sec et atterrit à côté d'Eldarytzan. Elle n'avait pas le temps de chasser Umah, pas quand son partenaire était possiblement dans ses derniers moments.
— Tue le ! ordonna-t-elle à Tyrath, sachant que le maître des cieux pourrait les rattraper aisément. Tu as l'avantage. Ils n'ont pas accès à la terre du ciel.
— Azé ? questionna le drake argenté, bouleversé. Yuzia ne voulait pas... Elle n'était pas d'accord ! On la surveillait... On la traquait... sachant que... que...
L'adolescente était trop mortifiée pour savoir quoi lui conseiller. Ses mains sanglantes tremblaient et elle regrettait tous ses choix de la journée qui l'avait emmené jusque-là.
— C'est trop tard, dit faiblement Eldarytzan. Laissez-les.
— Mais ! s'offusqua Mania. Non ! Il ne mérite pas la sureté et encore moins la victoire !
— Laissez-les ! aboya le mage.
Il toussota et grimaça, clairement en agonie. Il examina sa plaie et après une longue expiration, ses traits faciaux se détendirent. Il posa sa lourde tête sur la pierre trempée et ferma les yeux. On aurait dit qu'il réfléchissait tout simplement, mais c'était plus que ça.
On lui accorda un moment de silence pendant lequel la dragonne bleue utilisa son aile comme bouclier pour protéger les deux dragonniers de la pluie. Tyrath s'était accrochée au rebord de la muraille et examinait la scène comme une gargouille triste et choquée.
— J'ai des choses à partager avec Azéna, déclara l'elfe lunaire. C'est plus important qu'un vulgaire chaman corrompu, termina-t-il en fixant Mania sévèrement.
— Tu lui diras plus tard, s'entêta la dragonne. Il va causer d'autres ennuis.
— Le Gok'Mok a été détruit... Il n'a pas les moyens d'en invoquer un autre. C'est assez Mania...
Enfin, sa partenaire semblait avoir compris le message. Elle souffla bruyamment des narines, indiquant son irritation, mais elle n'en dit pas plus.
Azéna avait de la difficulté à relâcher ses émotions. Elle avait l'impression qu'elle allait exploser si elle le faisait. Elle ne pouvait pas, elle n'accepterait pas de perdre son père alors qu'elle venait à peine de le retrouver.
— Je vais te guérir.
— Azéna, rappelles-toi de ce qu'a dit Leith, l'averti doucement Tyrath. Es-tu prête pour une telle tentative ? Peux-tu même l'accomplir ? Ton animancie n'est pas... enfin... Je ne veux pas te manquer de respect, mais...
— Je peux le faire ! s'obstina-t-elle avec colère en s'accroupissant à côté de son père.
Une main se posa sur la sienne alors qu'elle se préparait à ouvrir le flux d'énergie spirituelle qui habitait son corps.
— Non, souffla l'elfe. C'est une tâche trop difficile et trop grande... La blessure est trop profonde. Ne le fais pas.
Comme s'il pouvait savoir et décider de cela. L'archère ignore la requête d'Eldarytzan et s'empressa de vidé son esprit en préparation à la tâche. Elle sentit la présence de Turion qui émergeait en elle. Il était sûrement là pour la supporté. Cette fois, elle n'avait pas peur de se faire écraser par lui. Ils allaient guérir Eldarytzan ensembles !
— Non ! tonna le grand dragon d'une voix impérieuse.
Le flux d'énergie spirituelle qui avait commencé à germer disparu entièrement. Son accès était bloqué. Azéna ne pouvait pas détourner la barrière qu'avait monter le wyrm.
— Mais pour qui tu te prends !? vociféra-t-elle, autant mentalement que tout haut.
Elle se débattit contre Turion, ne lui laissant aucune chance à riposter. Malgré tout ses efforts, elle ne pouvait pas le vaincre. Sa force était tout simplement trop grande. Elle se sentait comme un insecte qui essayait de contourner ses immenses pattes. Il s'en lassa très vite.
- Azéna ! rugit-il avec une telle puissance qu'il prit le contrôle momentanément du physique de l'adolescente qui réagit en accordance. Assez ! Tu ne peux pas l'accomplir sans céder ton âme !
Turion avait parlé et il s'était aussitôt retiré, craignant de causer trop de dommage à sa partenaire.
Et soudainement, tous les murs de la dragonnière s'écroulèrent. Elle se mit à sangloter, sans se privée de hurler et de chigner de tout son être, sans contenir la souffrance qui habitait toutes ses pensées.
— Pourquoi n'as-tu pas esquiver ? rogna-t-elle.
— Je n'en avais plus la force, avoua son père, un petit sourire en coin.
— Je me sens coupable.
— Ne le sois pas... Il y a beaucoup plus en jeu que tu ne le crois, que n'importe qui peut même savoir et souvent, ces circonstances nous affectent sans que nous sachons qu'ils sont là.
Mania s'approcha du mage et posa son museau à côté de son visage. Son ronronnement donnait l'impression qu'elle essayait de l'encourager autant que de l'apaiser. Évidemment, il appréciait grandement et ça l'aidait à maintenir le peu d'énergie qui lui restait, mais rien n'enlevait la douleur qui paralysait la majorité de son corps.
— Si je ne peux pas terminer... dis-lui, requêta l'elfe en levant un bras tremblant pour lui caresser la tête. Chère Mania... Et ne laisse pas la noirceur t'engouffrer. Il y avait plus à cette vie que moi. Je sais que c'est difficile...
— Omnnah, répliqua-t-elle tout simplement. Je sais ce que j'ai à faire... Nous en avons discuté. J'ai mal, mais je me souviens de ma promesse. Ne t'inquiète de rien.
Elle paraissait beaucoup plus sereine qu'un peu plus tôt de cela. C'était comme si elle avait accepté la réalité et qu'elle se concentrait à maintenir sa propre force, pour elle et lui. C'était une démonstration de courage en soit, sachant qu'en temps normal, un dragon perdait souvent la raison devant la mort de leur dragonnier.
C'était étrange d'entendre omnnah de la bouche d'un autre dragon que Turion, particulièrement quand c'était adressé à un homme adulte. Les pensées d'Azéna étaient chaotiques et elle essayait de se concentrer sur celle qui était la plus innocente. Elle était consciente qu'elle risquait de se laisser emmener par sa mélancolie si elle lui laissait la chance de planter ses griffes en elle. Elle aussi devait demeurer forte pour son père. Elle ne voulait pas faire toute une scène durant ses derniers moments et elle désirait écouter ce qu'il avait à lui transmettre.
— Il est petit pour elle, expliqua Turion qui s'était repointé le bout du nez, mais cette fois, de façon plus chaleureuse. Vous êtes précieux.
Une larme roula le long de la joue de l'archère qui ne put s'empêcher de la retenir. Pourtant, elle se sentait assez stable pour ne pas pleurer, pour l'instant. Elle réalisa que c'était le grand dragon légendaire qui s'était échappé. Elle se souvint qu'il avait déjà vécu la perte de son partenaire dans le passé, il y a bien longtemps. C'était sûrement douloureux de revoir une telle scène.
— Merci Turion, lui dit-elle en approchant sa conscience de la sienne comme pour essayer de le réconforté.
Elle n'était pas certaine de se qu'elle faisait, mais ça semblait fonctionné. Les émotions qui s'écoulaient hors de l'esprit du wyrm s'apaisait doucement. Ça l'aidait à se concentrer sur son père.
Elle n'était pas certaine de se qu'elle faisait, mais ça semblait fonctionné. Les émotions qui s'écoulaient hors de l'esprit du wyrm s'apaisait doucement. Ça l'aidait à se concentrer sur son père.
— Azéna écoutes-moi bien, souffla Eldarytzan, sa voix brisant par moments. Écoutes Mania... Elle va te guider à Nymia après... après... Je ne suis pas qui je sembles être.
Il fit une pause, grimaçant et son corps tressaillant légèrement.
— Trouves Arièlla et partez. Partez d'ici ! Les Guerriers d'Aerinda... j'ai perdu une grande majorité de ma vie à leurs services... J'ai sacrifié bien trop pour eux... Arièlla a grandi dans un camp militaire glorifié et elle méritait mieux. Mieux que... que de se faire laver le cerveau... Tu méritais mieux... bien mieux... Tu méritais que tes parents te guident, soient là pour te chérir et te couvrir d'amour. Ne les laisse pas tout prendre. Tu ne leurs dois rien. Tu m'entends ? Rien ! Lorsque Tyrath t'a choisi, cela n'était pas l'équivalant à ce que... à ce que tu doives devenir un soldat-esclave pour le Haut-Roi. Ce monstre n'est qu'un tyran...
Azéna remémora les rares fois où Zorn avait fait une apparition et c'était souvent au détriment du royaume de Daigorn. Quoi que Bayrne méritait qu'on le punisse, ce n'était pas au peuple entier d'en souffrir les conséquences.
Elle soupira, réalisant qu'elle était entièrement d'accord avec son père. Elle s'était posé des questions similaires tout au long de sa vie et elle s'était retrouvée dans une illusion de liberté. Elle avait tant savouré de pouvoir s'échapper de l'emprise infernal de son père adoptif qu'elle n'avait jamais réalisée qu'elle s'était embarquée volontairement dans une autre prison, celle-ci entièrement différente. Elle baissa le regard, rassemblant son courage pour briser son serment avec les Guerriers d'Aerinda pour de bon.
— Nous sommes nés pour être libres, approuva Tyrath.
— Ce n'est pas vivre de se recroqueviller sous un autre, rugit Mania en signe de défiance.
— Sois qui tu veux être, continua Eldarytzan avec une expression autant délicate que déterminé. Suis qui tu veux tant que ça te plaise et tant qu'on te traite comme une personne qui a droit à sa vie personnelle. Comprends-moi bien... Lorsque Nymia t'en... dira plus à mon sujet, souviens-toi que je ne désirais que nous sortir d'ici... que l'on puisse vivre à notre bonheur. C'était tout simplement cela.
Sa voix s'affaiblit soudainement, mais il s'efforça de continuer. Il serra la main d'Azéna avec une force improbable pour un être dans son péril. Il plongea son regard dans le sien, mais ses yeux étaient mats et semblaient loin.
— Plus... plus de restrictions. Plus... de restrictions... ma fille...
Sa pogne faiblit aussi rapidement et il se laissa affaisser. C'était la fin. Il n'avait plus les forces de continuer.
Son entourage demeura à ses côtés jusqu'à son dernier souffle.
Non loin, le combat faisait toujours rage. Les attaques élémentaires illuminaient la voûte célestielle et offrait un spectacle coloré. À première vue, on aurait trouvé le tout magnifique, digne du plus grand festival jusqu'à ce qu'on mette de l'emphase sur les hurlements agonisants et les claquements des armes qui s'entrechoquaient. Azéna essayait de l'ignorer et d'apprécier la fin de la vie de son père, mais plus le temps passait, plus elle sentait une rage indomptable s'élever en elle.
Lorsqu'Eldarytzan quitta enfin, elle leva les yeux larmoyants vers la scène à la fois féérique et horrifiante. Elle sentit un tremblement secouer son subconscient et à ce moment, quelque chose en elle se brisa, une dernière chaîne qui la retenait. Un vaste esprit, aussi envieux qu'elle de se venger et d'explorer, se présenta à côté de la sienne. Ensemble, ils se tenaient droit dans son subconscient.
— Libération ! beugla autant elle que Turion. L'esprit du vent, de la liberté ne se laissera pas contrôler !
Elle baissa les yeux sur le corps de l'hydromancien tombé et elle leva un bras droit et fière.
— Nous allons nous battre pour vivre ! Réellement vivre ! Plus de cages, qu'elles soient physiques ou mentales !
— Plus de cages ! clamèrent Tyrath et Mania.
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