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Raphaël, ça doit bien faire un an et demi que nous travaillons ensemble maintenant. Et pendant un temps, il m’a semblé que nous nous apprécions. J’ai cru à une certaine complicité. Il y a eu quelques regards, quelques frôlements, juste de quoi émoustiller mon imagination. Juste de quoi rêver de ses mains, de ses épaules carrées et d’une belle déclaration enflammée.
Attention, me surplombant d’une bonne tête, il a toujours été un sale con prétentieux et exigeant, sa bouche ourlée se fait souvent dédaigneuse mais ses yeux bleu lagon… J’ai cru y lire, une faiblesse, une tristesse, une tendresse.
Ce soir-là, à peu près trois semaines avant Noël, nous avons travaillé tard sur un dossier client compliqué qui voulait légalement faire disparaître de l’argent. Mon boulot ? Faire de super magouilles compliquées et légales pour que les gens très, très, riches paient le moins d’impôt possible. A défaut d’assouvir mes rêves d’ailleurs, je pratique l’évasion fiscale en toute légalité. Je flirte avec l’amoralité plus souvent qu’avec des spécimens masculins intéressants.
Nous étions donc en plein montage financier, dans le bureau de Raphaël, une pizza froide sur la table basse. Oui, Monsieur le patron, a dans son bureau une table basse et un canapé pour que les gens très riches, puissent savourer un café ou une petite eau gazeuse et que la vie continue à être douce pour eux.
Assise à même le sol, accoudée à la table basse, perdue dans mes chiffres et calculs je ne l’ai pas vu s’asseoir à mes côtés. Il a humé mes cheveux, j’ai tressailli. Il m’a dit qu’il avait besoin de moi et de ses doigts a écarté mes cheveux pour venir me mordiller la nuque. Un nouveau frisson m’a parcouru l’échine. Ses doigts ont dévalé mon dos pour finalement remonter vers mon cou. Il m’a fait pivoter vers lui. Nos regards se sont croisés. Ses iris se sont accrochées aux miens. Son souffle s’est fait plus intense, sa bouche s’est approchée de moi pour venir s’échouer au croisement de mon cou et de ma clavicule. Ses mains ont commencé à déboutonner mon chemisier. Et je n’ai pas réussi à émettre la moindre résistance. Fascinée par ses yeux je l’ai laissé prendre possession de mes lèvres. Sa langue a trouvé la mienne et elles ont commencé à danser ensemble. Ses mains ont tracé des arabesques sur ma poitrine.
J’ai déboutonné sa chemise, effleuré du bout de mes doigts ses pectoraux, j’ai exploré les contours de ses abdominaux. Un, deux, trois, quatre…Une douce chaleur m’a envahie pendant qu’il se débattait avec mon pantalon et le sien. Il s’est allongé sur moi. Son corps pesant sur le mien m’a surpris. Ce n’était pas un rêve. Et son érection contre ma culotte était belle et bien réelle. Sa bouche a goûté ma peau goulûment, ses dents ont titillé ma chair provoquant des éclairs de surprise et de désirs. Il a retiré ma culotte comme un damné. Sa respiration est devenue erratique. Il m’a murmuré mon prénom à l’oreille et a commencé son mouvement de va-et-vient. Mes doigts ont pris connaissance de ses épaules tant rêvées. Son mouvement s’est accéléré, nos hanches se sont unies et alors qu’une vague de bien être commençait à naître dans mon bas ventre, il a émis un grognement de plaisir. Il a enfoui sa tête dans mes cheveux et est resté contre moi le temps que nos cœurs se calment. Il s’est levé, s’est rhabillé. Il m’a tendu la main pour m’aider à me relever, puis m’a tendu mes vêtements. Ses mains sont passées plusieurs fois sur son visage, comme s’il cherchait à se réveiller d’un cauchemar lui collant à la peau. Alors que l’incompréhension prenait possession de moi, ses yeux sont devenus glaçons, il a posé sa main sur mon épaule, m’a tapoté comme on caresserait un gentil chienchien qui a rapporté les pantoufles de son maître. Il m’a achevé en prononçant ces mots et en passant la porte « C’était une erreur ! Ça n’a jamais eu lieu » Et je suis restée là, mon chemisier entrouvert, les cheveux emmêlés, mon cœur piétiné et mon égo mis à mal.
Un intermède surprenant, décontenançant, frustrant et finalement humiliant. Bien loin des rêves et nuits que Raphael avait peuplés. Néanmoins je lui aurais volontiers pardonné ma frustration et sa rapidité contre l’espoir d’une idylle. J’aurais aimé que ça ne soit qu’une promesse de plaisirs partagés et les prémices d’une relation amoureuse passionnelle et passionnante. Oui ! Rien que ça ! Ava incorrigible rêveuse, je plaide coupable.
Mais ma réalité actuelle est tout autre, Raphaël est irascible, changeant, tour à tour froid et mordant. Et moi ? Je passe toute mon énergie à feindre que je suis bien au-delà de tout ça, que je ne suis pas blessée, pas en colère.
Un mois que je ressasse, que je me remets en cause, que je m’en veux. Je l’ai laissé piétiner mon égo. Et malheureusement ce n’est pas la première fois que je laisse un homme me faire mal. Derrière ma façade de grande fille, je suis en manque d’attention et de confiance en moi…
Pour une miette de considération et d’amour je m’efface, je m’égare. J’ai beau jouer les bravaches, je me sens si perdue dans ce monde. J’évolue sans en avoir toutes les clés, sans en avoir les codes, je suis tétanisée, j’ai peur d’être seule, d’être rejetée, abandonnée, oubliée. Déchirée entre la peur d’être vue telle que je suis et la peur de ne jamais être vue.
Suite à ma prise de conscience du nouvel an et à mon état de transparence et de léger problème de confiance en moi, doux euphémismes, Julie et Cathy ont décidé de me prendre en mains et de faire de moi une femme fatale. Vu la grandeur du chantier j’ai bien besoin de deux marraines les bonnes fées mais elles n’ont aucune idée de la profondeur de mes maux. Je vais rester positive et me laisser porter par leur énergie. La première étape selon elles passe par un relooking. J’espère vraiment y gagner en assurance, et porter ces nouveaux vêtements comme une armure ou un gilet pare-balles qui m’empêcherait de tomber à nouveau sous les assauts d’une paire d’yeux bleu polaire. Ma kryptonite, ma faiblesse.
Ma mère possédait également des yeux d’un bleu cristallin. Une vraie beauté. Elle était tout simplement du genre à couper le souffle à n’importe quel homme quand elle entrait dans une pièce. Un port altier, des pommettes hautes, un joli petit nez fier et droit. Une silhouette de sirène. Combien de fois ai-je pu voir dans ses yeux bleus cette ombre de déception quand elle me regardait ? Parfois les enfants ne surpassent pas leurs parents. Elle restera belle pour l’éternité, décédée avec mon père dans un accident de voiture avant que le temps n’ait d’emprise sur elle. Et moi ? Pauvre petite Ava, orpheline depuis neuf ans, envieuse de mes parents décédés, de leur amour… envieuse de la beauté de ma mère et de son éclat. Ava, pâle copie de ma sculpturale et élégante mère. Je suis un vrai cliché ! Une vraie mauviette ! Difficile de grandir dans son ombre, encore plus difficile de continuer sans elle. Maman, je n’y comprends rien aux hommes, et au monde qui m'entoure, à croire que je ne suis pas câblée comme les autres. Maman…
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