Mourir pour gagner
Avertissement : ce chapitre comportera des passages décrivant brièvement des blessures, avec sang, chair et os.
Une semaine est passée depuis le grand sprint. Aujourd'hui, une nouvelle épreuve attend les prétendants au poste de Leader. Une épreuve redoutée et terrible. Il est question de mesurer la vitesse d'autoguérison des participants. La meilleure méthode restant la mutilation. Pour ne pas subir de remarques désobligeantes sur l'aspect sadique, la meilleure solution reste de demander aux candidats de le faire eux-mêmes. La force mentale sera aussi évaluée.
À l'intérieur d'une immense salle, diverses armes tranchantes et outils sont mis à disposition sur de longues tables à l'entrée. La pièce est grande, environ cinq cents mètres carrés. Le plafond fait de verre trouble et de poutres en métal laisse entrer la lumière du jour qui se reflète sur les murs blancs éclatants. De grands traits bleus délimitent les espaces réservés à chacun. Les adversaires ont environ trente mètres carrés pour bouger et accomplir leur épreuve.
Pour l'instant, ils réfléchissent à leur stratégie et jaugent chaque arme. Ils savent qu'au besoin, chaque candidat peut faire appel à une personne de confiance qui attend dans une autre pièce. Un nombre similaire d'observateurs s'installent sur une chaise dans chaque espace. Armés d'une tablette de notation, ils s'apprêtent à juger de manière impartiale.
Selon un codex précis, un observateur neutre va noter le type de mutilation, la méthode utilisée, la supposée douleur engendrée, l'importance de la blessure, la rapidité d'exécution et la vitesse de guérison. Tout cela va être transmis en temps réel à un ordinateur qui centralisera les notes. Au fur et à mesure du déroulé, chaque candidat verra son nombre de points et celui de ses adversaires s'afficher sur un écran géant. La somme de chaque blessure et le nombre total de blessures sera également pris en compte pour la note finale.
La porte est fermée, de manière à ce qu'il soit impossible pour les personnes extérieures de voir ce qui se passe à l'intérieur. Dans un sac opaque, chaque candidat tire au sort un numéro qui lui désigne sa place pour le concours. Un par un, ils prennent leurs outils et vont se placer devant leur futur juge.
Chaque adversaire est recouvert de capteurs sans fil sur le crâne et le corps. Leur rythme cardiaque, leur respiration et surtout le ressenti nerveux des douleurs va être enregistré en temps réel afin d'aider à la notation par l'observateur présent, mais aussi par un second, dans une autre salle, qui ignore de qui il analyse l'écran. Ils n'ont qu'un chiffre d'attribution et les numéros ont été tirés au hasard.
Zachariel respire profondément pour se calmer. Il retire doucement ses chaussures, sa chemise et aussi son pantalon et les pose soigneusement sur une chaise. Il déambule dans la pièce, en boxer, indifférent aux regards. Il sait qu'il doit frapper fort et vite pour remporter la victoire. Ce sera douloureux, horrible. Il ne souhaite pas à son pire ennemi ce qu'il va faire subir à son corps par lui-même. Regardant ses concurrents se préparer, il sourit de les voir avec des couteaux ou des ciseaux. Ils veulent commencer soft. Ce n'est pas son cas. Son père l'a prévenu que c'était à lui de placer la barre dès le départ, pour asseoir son autorité et montrer qu'il ne plaisante pas.
Son voisin, un petit blond d'à peine un mètre soixante-dix se prépare à s'ouvrir le bras avec un scalpel. Il attend la sonnerie du départ, comme les autres. Très mince sans être maigre, Dimitri ne présente pas une musculature développée. Ses cheveux soyeux descendent jusqu'au bas de son dos. Sa très faible pilosité faciale et ses mouvements lents et doux font que beaucoup de gens se trompent sur son genre la première fois qu'il le voit. Bien qu'il soit âgé de presque quarante-cinq ans, on lui en donne à peine trente.
Ce ne sera pas lui qui gagnera cette épreuve s'il débute aussi bas. Zachariel sourit et regarde les autres afin de jauger ses adversaires, particulièrement les trois filles qui sont soutenues son rythme lors de la dernière épreuve. Très rapidement, il est satisfait de son inspection. La plupart sont des petits joueurs, un couteau sur le ventre comme Bintou.
D'autres sont plus audacieux à l'instar de Tomoé qui envisage de se briser le bras avec un marteau. La plus dangereuse est Naissa. C'est la seule qui prévoit de se couper un doigt avec un couperet de boucher. Tous vont utiliser des armes. Cela va leur faire perdre des points. En souriant, Zachariel va s'asseoir, le mollet droit sur la cuisse gauche. Il place lentement ses mains sur sa cheville droite.
Ses adversaires le regardent avec surprise. Ils ne comprennent pas ses intentions. La colérique Naissa ouvre des yeux rond, car elle a deviné ce qu'il va ce passe et ne croit pas que le rouquin en soit capable. Cela nécessite de la force physique, mais également de la force mentale. Si le garçon réussit, il va placer la barre si haut qu'il sera difficile de l'égaler.
Calmement, il attend lui aussi le signal. Il défie du regard ses adversaires, du moins ceux qui ont fini par comprendre. À chaque inspiration, il se donne du courage. À chaque expiration, il abaisse son rythme cardiaque qui commence à s'emballer. Zach se met dans sa bulle, indifférent à ce qui l'entoure, concentré et serein.
— DONG !
C'est parti. Aussitôt, chacun commence son œuvre. Le sang gicle aussitôt sur la plupart des candidats. Dimitri a ouvert son avant-bras sur plusieurs centimètres de profondeur. Il tire le scalpel vers le coude, laissant un trou béant. Quelques gouttes de sang perlent et coulent sur le côté pour finir sur le sol. Une petite flaque aussi grosse d'un cookie se forme. Ce n'est pas la peau qui saigne, mais le muscle entaillé.
L'épiderme auparavant rosé, forme maintenant une couche blanchâtre de quelques millimètres qui se détache facilement du reste de la chair. Des minuscules boules entre le rose et le jaune sont visibles juste en dessous. Dimitri a très peu de graisse dans l'avant-bras. Le muscle rouge est à vif, tel un steak bien frais. Le sang se fraye un chemin vers le sol, goutte par goutte. Les minuscules capillaires qui l'irriguent sont ouverts et se vident. Quelques fils blancs sont visibles sur les côtés du fléchisseur. Il s'agit des ligaments et des tendons qui attachent les muscles aux os. À peine le scalpel sorti de la peau, celle-ci se referme couche par couche, de l'intérieur vers l'extérieur.
De son côté, Tomoé passe l'embout de l'échographe pour montrer son os cassé. Sur l'image, on voit clairement le cubitus et le radius séparés en deux gros morceaux et des tas de petits à côté. La marque sanglante du marteau est encore visible à l'endroit de l'impact. Les os se ressoudent en temps réel. On les voit bouger au travers de la machine. La femme serre les dents pour ne pas montrer sa douleur. Les différents observateurs chronomètrent le temps de guérison nécessaire à chacun.
Un hurlement déchire le silence. Naissa qui s'est coupé le doigt, le montre à son observateur. Il ressemble à un morceau de saucisse inerte qui pâlit au fur et à mesure des secondes et de l'hémoglobine qui le quitte. De la main coule une forte quantité de sang. En grimaçant, la femme aux longues boucles châtain replace rapidement le morceau sur son corps. Elle a crié de douleur et son visage est déformé. Sa souffrance est trop visible. En l'exprimant ainsi, elle va perdre les précieux points que son audace lui avait donnés. C'est cependant la candidate la plus sérieuse après Zach. Elle prend la tête du classement pour quelques secondes.
Zach met plus de temps de plus que ses camarades pour parvenir à son but. Séparer son pied du reste de son corps à mains nues demande une bonne minute. La douleur est immense. Enfin, il y parvient. Sans un cri, les dents serrées, il a séparé le bas du tibia et du péroné des os calcanéum et du talus. Les chairs sont déchiquetées et le sang coule à flots. Les os sortent à la fois du bout de la jambe et du morceau de pied dans sa main. D'un air triomphant et malgré la douleur, Zach exhibe son pied à l'assistance.
Dimitri se met à vomir face à cette vision dégoutante. Le hurlement de Naissa avait fait lever les têtes. Les hauts le cœur du blondinet attirent également l'attention de la salle. Tous découvrent la performance du rouquin. En faisant le tour visuel de ses concurrents pour bien leur montrer qu'il n'est pas venu en touriste, Zach s'attarde sur leurs performances. Tous ceux qui ont fait des petites écorchures ont déjà cicatrisé et s'apprêtaient à recommencer comme Dimitri et Bintou. Ils perdent du temps à regarder le rouquin, choqués.
Ceux plus téméraires comme Tomoé achèvent presque leur guérison. Ils attendent le signal de leur observateur pour continuer. Tous laissent de précieuses secondes s'envoler en pâlissant à la vue de la chair déchiquetée exposée à leurs yeux. Ils viennent enfin de comprendre à quel point le combat sera rude. Rares sont ceux qui restent impassibles et concentrés comme Naissa.
Le sol de toute la pièce est maculé de sang, particulièrement dans la zone de Zach. Les murs blancs montrent des traces de projections. Le grand roux replace son pied lentement. Se montrer indifférent alors qu'il souffre horriblement va lui permettre d'augmenter fortement son score. Sa cicatrisation complète est rapide. Le jeune homme s'est bourré de vitamines et de protéines depuis plusieurs jours afin que son corps dispose de tous les éléments nécessaires à la régénération. Dès que l'observateur lui donne le signe indiquant la fin de la réparation, Zach se prépare à recommencer à un autre emplacement.
Cette fois, ses adversaires font monter les enjeux. Les doigts ou orteils coupés sont leur second choix, parfois la main ou le pied, mais toujours avec des outils. Aucun ne se risque à un acte aussi long et barbare qu'un démembrement à mains nues. Même si cela rapporte plus de points. Le rouquin doit en faire plus. Il choisit donc son genou comme seconde victime. Cette fois, il va devoir stopper le flot de sang très rapidement s'il ne veut pas tomber dans les vapes. Alors, il ne fanfaronnera pas, montrant juste les dégâts à son observateur.
Inspirant un grand coup pour se redonner du courage, il continue. En bloquant sa respiration, il parvient à ses fins. Il expire quand enfin, il s'est arraché le genou gauche. Il montre son bout de viande de sa main droite pendant qu'il serre de son mieux son artère fémorale pour limiter la perte de sang. Le sang est une mare de sang. Au pouce de validation, il replace immédiatement son moignon sans un mot et relève enfin les yeux tandis que la douleur s'atténue rapidement.
Ses adversaires ont enfin compris qu'il va falloir frapper plus fort au vu des points qui s'affichent. Zachariel domine de cinq cents points la seconde Naissa, de mille points le dernier Dimitri. Ils font enfin appel à la personne de confiance qui les assiste. Les individus rentrent tous ensemble. Certains vont se faire écraser des os. Naissa tente l'arrachement de l'épaule par son petit frère pour rattraper son retard.
Ronald chemine tranquillement. À l'aide de postiches, il a totalement transformé son visage et s'est affublé de vêtements des jeunes de l'âge de Zacharial. Il ne faut pas que qui que ce soit le reconnaisse. Fort heureusement, tous ceux qui étaient présents lors de l'épreuve de Ludwig sont morts. Le vieux vampire sait ce qui va devoir faire. Il a apporté le nécessaire au cas où les organisateurs n'auraient pas prévu. Le jeune homme se prépare lui aussi.
Le garçon aux cheveux feu s'allonge sur un mini lit de camp apporté par Ronald, ce qui surprend l'assistance. Pourtant, s'ils avaient lu les archives, ils sauraient ce que s'apprête à faire le jeune homme. Ce que font les Dobrovnik pour gagner depuis des générations. Le vieux vampire remet au plus jeune un sabre, court et effilé, de la longueur d'un avant-bras. Zachariel le place au niveau de sa poitrine puis l'enfonce profondément. Il vient de se transpercer mortellement. Sans état d'âme, il vient de se donner la mort volontairement. L'observateur regarde une machine sur l'index de Zachariel pour contrôler le pouls. La machine siffle. Le cœur a cessé de battre. L'observateur valide du pouce.
Ronald retire alors le sabre d'un coup sec. Une, deux, trois secondes s'écoulent. La machine se remet à bipper. D'un coup, le garçon inspire profondément et se met à tousser. Ses poumons se sont rétractés durant les quelques secondes de mort. Fort heureusement, la guérison arrive très vite. En moins d'une minute, le roux est prêt à continuer. Son pseudo suicide lui a conféré près de vingt mille points. Il est loin devant les autres, mais pas assez à son goût.
D'un signe de tête, il indique à Ronald de continuer. Le vieil homme saisit vivement le bras droit du jeune homme. Sans lui laisser le temps de respirer, il fait de même avec le second bras, puis les jambes en moins de deux secondes. Zachariel se vide de son sang, démembré, à terre. La machine bippe de plus en plus lentement puis siffle, indiquant une nouvelle fois la mort.
L'observateur ne peut s'empêcher de déglutir. Il a envie de vomir lui aussi. C'est une mare de sang, de chairs et d'os. Un vrai carnage. Plusieurs adversaires se sont arrêtés, soit en s'évanouissant devant le spectacle soit en vomissant de dégoût, le nez rempli de l'odeur métallique caractéristique d'un déversement de sang.
Pâle, l'observateur lève son pouce et Ronald replace les membres contre le torse inerte. Le sang au sol se met à rentrer dans le corps. Les membres se raccrochent. Une minute passe, troublée uniquement par le sifflement strident de l'oxymètre. Tout le monde retient son souffle, y compris Naissa. Ils sont tous figés dans une position de spectateur qui leur fait perdre de précieuses secondes. Le bip revient enfin et les personnes respirent de nouveau. Une seconde minute est nécessaire pour que Zachariel récupère pleinement.
L'épreuve est stoppée. Les dix minutes sont écoulées. Dimitri et Bintou ont sept cent cinquante points. Tomoé, deux mille. Naissa, dix mille cinq cents. Zacharial, cinquante mille points. Il vient de remporter haut la main la seconde épreuve. Au cumulé, il a presque cent mille points, soit une avance de soixante mille points sur Naissa. C'est un bon départ. Il est important de creuser le fossé tout de suite, afin de décourager et d'impressionner les adversaires, mais aussi tous les hauts fonctionnaires vampires. Imposer le respect rapidement.
Zach se rhabille rapidement. Il ne cherche pas à fraterniser avec les autres. Les demoiselles affluent, ayant conscience d'être en présence du meilleur candidat pour le poste de Leader. Elles tentent leur chance en le complimentant pour sa bravoure. Bintou, qui pense que sa grande taille sera un avantage, subit un silence gênant alors qu'elle propose une invitation au restaurant en entendant le ventre du garçon grogner de faim. Il ignore tout le monde, y compris les hommes qui veulent le féliciter.
L'impolitesse froide du rouquin arrache un sourire à Ronald. Le vieux vampire connaît bien le caractère des Dobronik, qui sont d'habitude beaucoup plus chaleureux et sympathiques. Zach a hérité du côté asocial de sa mère. Il est solitaire et fuit au maximum toutes les réunions. Le jeune homme ne tolère et n'aime que la présence d'enfants.
Haussant un sourcil désapprobateur, il indique au jeune homme de prendre au moins le temps de répondre poliment et de féliciter ses adversaires. Il ne faudrait pas s'attirer la jalousie ou la méfiance. À contre-cœur, le rouquin s'exécute et dit un mot aimable à chacun, encourageant même Dimitri qu'il sait être bien meilleur sur les épreuves intellectuelles en lui rappelant un tournoi d'échecs que le blondinet a remporté il y a un an.
Le sourire de remerciement du petit vampire, heureux de ne pas se faire rabaisser au vu de ses piètres scores, vient de permettre à Zachariel de se trouver un potentiel assistant fidèle. La remarque sincère montre à tous que le rouquin a pris le temps de se renseigner sur les autres vampires de niveau 5 et sur leur lignée. Après cet effort de sociabilisation, le jeune homme prend le chemin de la sortie.
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