Partie I - Déni (1.3)

7 minutes de lecture

1.3 - Lise Valriez

[Dimanche 6 Septembre, veille de la rentrée scolaire, 16h10 PM]

Malgré nos nombreux passages par la frontière suisse lorsque nous allions voir petites nos grands-parents, je ne crois pas avoir un jour mis réellement les pieds à Genève. Une ville que l'on dit magnifique, avec une vue imprenable sur les splendeurs bleutées du célèbre lac Léman. Je suis donc presque déçue en voyant l'amas bas et grisâtre de nuages menaçant le ciel à notre arrivée.

- Il est temps pour moi de vous laisser, annonce Jade avec un sourire qui me fend le cœur tout en consultant la montre à son poignet. Mon train part dans dix minutes, je vais essayer de trouver le quai. [Elle redresse la tête dans notre direction] Il y a une navette de bus prévue entre le campus et la gare, vous trouverez les arrêts dehors, juste à côté de ceux des bus de ville.

La jeune femme me couve un instant de son regard maternel. La présence d'Amber à mes côtés m'empêche de me précipiter dans ses bras pour la serrer contre moi alors je me contente d'un « Tu vas me manquer » auquel elle répond par un « Toi aussi » tout en déposant un léger baiser sur ma tempe.

- J'essaierai de passer vous voir pour Halloween si ça vous va ?

Je hoche la tête.

- En attendant, essayez au moins de faire semblant de vous amuser ok ?

Amber et moi échangeons un rapide regard complice. Dans un dernier sourire, je regarde ma sœur aînée traîner ses valises dans les longs couloirs de la gare puis disparaître dans un tournant, happée par la foule de voyageurs pressés de rejoindre les berges en béton d'embarquement. Je retiens un long soupir.

Un fin crachin glacé nous accueille à la sortie de la petite gare de Genève. Je frissonne sous mon simple sweat, n'ayant pas prévu de manteau plus chaud pour mon départ. Sous son trench noir, Amber semble également avoir été prise au dépourvue. Il nous faut presque dix minutes - deux refus polis à des taxis un peu aguicheurs et une excuse lancée à la volée à une voiture qui manque nous renverser sur le passage piéton tandis que nous trottinons sous la pluie - pour atteindre enfin les lieux.

Nous avons beau courir à toutes jambes en traînant derrière nous nos lourdes valises de voyage, nous loupons néanmoins la navette pour le campus. Amber retient un mouvement de rage à l'encontre du chauffeur tandis que je lance rapidement un coup d'œil aux horaires inscrits sur le panneau.

- Le prochain est à 16h40, on ne sera jamais à l'heure à la cérémonie ! fais-je remarquer.

Mon amie lève les yeux au ciel, d'un air désolé.

Lorsqu'enfin la navette suivante arrive à quai, nous sommes trempées et frigorifiées. Nous chargeons docilement nos bagages avant de grimper rapidement dans l'habitacle gorgé des odeurs de cigarettes et de poussière des vieux bus de campagne. Le chauffeur, un homme à la cinquantaine bien mouillée, au menton mal rasé et au regard suspicieux, nous demande rapidement notre destination avant de nous laisser prendre place. Instinctivement, nous avançons jusqu'aux tréfonds du véhicule. Je viens me laisser tomber sur le siège à côté d'Amber, exténuée. Ses longs cheveux d'un brun sombre lui collent au visage et viennent mouiller le haut de sa chemise d'uniforme mais ses yeux pétillent de malice.

- Quoi ? demandé-je, intriguée, à son intention, alors qu'elle me dévisage.

- Rien, fait-elle remarquer avec un large sourire, je me disais juste que... pour une première en Suisse, on ne s'en sort pas trop mal...

Je souris à mon tour. On ne pouvait pourtant pas faire pire...

-

L'horloge numérique au-dessus du gymnase affiche 17h06 lorsque nous franchissons les doubles portes de l'entrée. La plupart des étudiants sont déjà tous réunis sur les gradins, écoutant le discours d'inauguration et les vœux de bievenue du directeur universitaire, Monsieur Gütner. Amber avise du regard le tas formé par les bagages des autres étudiants et nous déposons les nôtres rapidement les nôtres afin de tenter de prendre place sur un banc sans être aperçues mais c'était sans compter sur le regard avisé de l'adjointe de direction qui nous fustige de ses yeux sombres soulignés d'eye-liner. Nous nous mordons la lèvre inférieure en prenant place au hasard au milieu de la foule d'étudiants en uniforme. Je me surprends à prier intérieurement pour me fondre dans la masse. C'est la première fois de ma vie que je suis en retard et il a bien sûr fallu que ce soit à l'une des cérémonies les plus importantes de mon existence.

J'essaie d'oublier momentanément l'angoisse qui me noue les tripes mais même le passage de micro entre le directeur Gütner et le président du campus, monsieur Carraux, ne parvient pas à contenir mes pensées. Le discours du président me semble interminable et nous accueillons sa fin d'une salve d'applaudissements polis avant que chacun ne se lève de son emplacement en s'étirant, les muscles endoloris par l'immobilisation, et n'aille retrouver ses affaires.

Nous sommes occupées à passer nos sacs de voyage par-dessus nos épaules lorsqu'une jeune femme à la chevelure flamboyante et au regard sévère s'avance jusqu'à nous.

- Mais où est-ce que vous étiez bordel ? demande-t-elle sans préambule en fustigeant Amber du regard. Se faire remarquer dès le discours d'inauguration...

- On a eu quelques soucis avec les bus, la coupe Amber en souriant timidement. Moi aussi je suis heureuse de te revoir Jess.

La jeune femme a un mouvement d'humeur avant de reporter son attention sur moi.

- Je ne crois pas que nous ayons été présentées, fait-elle remarquer à mon intention, tu es ?

- Lise Valriez, déclaré-je en lui tendant une poignée de main amicale.

Elle m'observe des pieds à la tête puis se tourne vers Amber.

- Ne sois pas odieuse s'il te plaît, implore cette dernière, Lise est adorable.

- Si tu le dis...

- Mademoiselle Valriez je suppose ?

Je manque lâcher mes affaires de surprise en pivotant sur moi-même pour faire face à l'adjointe de direction.

- Oui ? demandé-je d'une petite voix.

- Je m'en serais doutée, poursuit-elle sur le même ton, vous ressemblez beaucoup à votre sœur.

Je marmonne quelque chose qui ressemble vaguement à un « si vous le dîtes ».

- Et vous êtes ? questionne-t-elle en fixant Amber de ses yeux sombres.

- Amber. Amber Clark.

- Bien. L'université de Genève est un campus des plus prestigieux, mesdemoiselles. A l'avenir, et pour éviter toute atteinte à notre réputation internationale, je vous demanderai de bien vouloir respecter quelques règles de bonne conduite, à commencer par la ponctualité.

- Cela ne se reproduira plus madame, assure Jessica.

- Je l'espère bien, fait remarquer l'adjointe en plongeant son regard dans celui de la jeune rousse. Sur ce, je vous souhaite de trouver vos futures chambres très agréables. Bonne soirée mesdemoiselles.

Elle s'éloigne en faisant résonner ses talons sur le sol. Jessica hausse les sourcils de façon suggestive à notre intention. Je pourrais presque l'entendre nous annoncer : « Je vous l'avais bien dit ».

-

- Voici votre chambre. Numéro vingt-quatre. La loge conserve toujours un double des clés au cas où mais tâchez de ne pas perdre la vôtre ou elle vous sera facturée.

La concierge, une femme d'un certain âge au teint gris et aux cheveux poussiéreux, dépose sans ménagement la clé de mon nouveau « chez-moi » dans la paume de ma main avant de s'éloigner en braillant dans les couloirs pour réclamer le calme. Difficile un jour de rentrée et de retrouvailles pour la plupart des pensionnaires de l'internat.

J'observe un instant le petit objet au creux de ma main et passe le gras de mon pouce sur le porte-clefs annonçant « Chambre 24 » en lettres manuscrites maladroites. Mon cocon pour les neuf prochains mois. Cette perspective m'arrache un long frisson. Je me décide enfin à franchir le seuil de la chambre, tirant ma valise derrière moi.

Comme on peut s'y attendre d'une chambre étudiante, la pièce est petite, juste assez large pour un lit simple, une petite armoire encastrée et un bureau. Pas de salle de bain, pas de toilettes. Tout est en commun. Je n'apprécie pas franchement l'idée de devoir partager mon espace d'eau avec d'autres et encore moins de devoir circuler dans les couloirs du pensionnat en pyjama mais j'espère pouvoir rapidement m'en accommoder.

J'ai brusquement la sensation d'étouffer ici. Mes yeux arpentent la pièce à la recherche d'une ouverture. La chambre n'est éclairée que par une unique fenêtre dissimulée derrière un store abaissé. Je m'empresse de tirer sur les cordelettes afin d'en ouvrir le battant. L'air frais de fin d'après-midi emplit mes narines des odeurs délicieuses de fleurs et d'herbes fraîchement humidifiées. La vue sur le parc universitaire est splendide et apaisante.

La pluie a cessé, laissant de nouveau place à un splendide coucher de soleil. Quelques étudiants se sont déjà à nouveau réunis sur les pelouses et dans les allées, heureux de pouvoir enfin se serrer dans les bras, échanger les derniers potins ou simplement s'embrasser. Je referme légèrement la vitre et me retourne à nouveau vers ma chambre. A la lumière du soleil, les couleurs chatoyantes des murs et le bois luisant du mobilier donne à la pièce un aspect beaucoup plus agréable.

- Avec une petite touche personnelle, cette chambre devrait être parfaite !

J'entreprends un déballage méthodique de mes affaires, en commençant par mes vêtements, que je range soigneusement sur les étagères de mon placard. Lorsque mes doigts rencontrent la couverture abîmée par les nombreuses lectures de mon ouvrage préféré, enveloppé dans mon plaid rappelant les longues soirées d'hiver passées en famille près du feu de la cheminée, je sens mon cœur s'étreindre à nouveau et quelques larmes affluer malgré moi au coin de mes yeux.

J'attrape mon portable dans la poche arrière de mon jean et vérifie le réseau. Il n'est pas très important, le campus doit bénéficier de brouilleurs. En consultant mes messages, je constate que ma mère doit être morte d'inquiétude de ne pas avoir eu de mes nouvelles car elle n'en est pas moins à une dizaine de sms à mon intention dont la plupart demandent simplement « Tout va bien ? ».

Je commence à composer une réponse, effaçant et réécrivant de nombreux passages afin de ne pas l'inquiéter inutilement sur mon état de solitude absolu. C'est la première soirée que je vais passer ici, seule, loin des miens, et cette perspective me tire un nouveau pincement au cœur. J'espère que les prochains jours se passeront pour le mieux...

***

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