1.7 - Lise Valriez

[Mardi 8 septembre, 00h30]

Je parviens difficilement à ravaler mes larmes de colère et de honte jusqu’aux chemins menant aux dortoirs. Mais une fois seule, uniquement baignée par les lueurs blafardes des lampadaires des jardins, je ne peux empêcher mon trop plein d’émotions d’exploser. Cette soirée était un désastre… Un pur désastre. J’essuie d’un revers de bras mes yeux gonflés par la fatigue et accélère le pas. Avec l’arrivée de l’hiver, le froid est insoutenable et je ne tarde pas à frissonner tout en remontant le sentier caillouteux.

Je perçois le crissement d’un pas de course avant qu’une voix féminine ne m’interpelle. Un instant, je frissonne à l’idée qu’Emily ou Alison aient pu me suivre. Comment réagiraient-elles en me voyant ainsi ? Me prendraient-elles pour une gamine fragile et sentimentale ? Daigneraient-elles seulement m’accorder une parole ?

Je secoue la tête et augmente encore la cadence afin de mettre le plus de distance possible entre ma poursuivante et moi.

- Hé, attends ! S’il te plaît !

J’avise un espace totalement dénué de lumière afin de m’y arrêter. Peut-être qu’ainsi, en partie dissimulée par l’obscurité, je parviendrai à les duper. La jeune femme s’arrête à côté de moi, essoufflée. Et je suis surprise par les traits de son visage. Il ne s’agit ni d’Emily ou d’Alison mais de la jeune métisse qui accompagnait le propriétaire du verre renversé à la soirée. Elle m’adresse un large sourire à l’aspect immédiatement sympathique.

- Est-ce que ça va ?

Je sais que sa question ne partait que d’une bonne intention mais à ce moment-là, la seule chose dont je me souvienne, c’est que je commençais à en avoir sérieusement marre que tout le monde me le demande.

- Oui, bougonné-je, j'ai un peu trop bu c'est tout.

- Tu n'es pas habituée hein ?

Je me retiens de ricaner. Putain mais tout est-il donc inscrit sur mon visage ?

- Ça doit être ça oui...

- Y a pas de mal, moi non plus je supporte mal l'alcool.

Je la regarde sans comprendre. Cette fille, que je ne connais ni d’Eve ni d’Adam, semble me parler comme si nous nous connaissions depuis toujours. Je prends un instant pour l’observer plus en détails. Elle a des traits plutôt gracieux, de jolis yeux légèrement bridés sur les bords et un sourire doux, agréable, rassurant.

- Samantha, mais tout le monde m’appelle Sam. Et toi ?

La façon dont elle se présente, tendant une main nonchalante devant elle en attendant que je veuille bien la serrer en retour m’arrache à mon tour un sourire. Mes épaules se détendent instantanément.

- Lise.

- Enchanté Lise.

Je lui rends sa poignée de mains en étouffant un éclat de rire.

- Je comptais rentrer me coucher, annonce Sam en observant le chemin restant à parcourir jusqu’aux dortoirs. De toute façon, mon cavalier pour la soirée m’a lamentablement faussé compagnie et je commençais à m’ennuyer toute seule. Est-ce que ça te dit de m’accompagner ?

Je secoue la tête, amusée. J’aime bien cette fille. Prenant ma réaction comme une réponse positive à sa demande, elle passe un bras autour de mes épaules et nous reprenons tranquillement notre chemin.

- Tu as fait forte impression là-bas. Si tu me racontais ce qu’il s’est passé ?

Les traits de mon visage s’affaissent brusquement. Je sens les larmes recommencer à affluer dangereusement.

- Je… je préfère ne pas en parler pour l’instant si ça ne te dérange pas.

- Pas du tout, répond-elle en haussant les épaules, c’est comme tu veux. Si tu ne te sens pas prête, ça peut attendre… Ta chambre est à quel étage ?

- Au premier. Et toi ?

- Pareil.

Je souris doucement. Pour mon plus grand bonheur, la jeune femme n'insiste pas et se contente de me soutenir tandis que nous regagnons nos chambres respectives. Je ne prends pas la peine d'allumer la lumière de la mienne et enfile rapidement un pyjama avant de coiffer mes cheveux et brosser mes dents dans la salle d'eau commune. J'ai à peine glissé mes pieds sous la couverture que je sombre aussitôt dans des rêves agités.

-

Je suis tellement excitée à l'idée de cette nouvelle matinée que je suis réveillée bien avant la sonnerie de mon téléphone portable. J'en profite donc pour prendre une douche tonifiante afin de me débarrasser des dernières traces de fatigue de la veille, lisser convenablement l'uniforme rouge et blanc - aux couleurs de la Suisse – de l’université avant de l’enfiler et arranger mes cheveux indisciplinés en une queue-de-cheval impeccable. Mon planning est si bien organisé que je suis fin prête bien avant l’arrivée d’Amber ce qui me permet d’étudier un peu l’organisation de ma future journée.

La jeune femme se présente comme prévu à neuf heures devant la porte de ma chambre et nous passons récupérer un café et un pain au chocolat à la cafétéria avant de nous rendre jusqu’au stade jouxtant les immenses gymnases du campus. Ma chance a voulu que notre premier cours de la matinée – et en l’occurrence de cette journée – soit deux heures de remise en forme. Amber a l’amabilité de ne pas me questionner sur la soirée de la veille tandis que nous changeons de vêtements et je lui en suis extrêmement reconnaissante. Au lieu de ça, j’apprends qu’elle et sa famille sont de confession juive et que ses parents tiennent une petite épicerie familiale près d’Oxford. Comme ma sœur cinq ans auparavant, elle s’est illustrée assez tôt dans les études et a ainsi pu bénéficier d’une bourse académique pour venir continuer sa formation à Genève. Un bel exploit pour une fille de sa condition que je suis forcée de saluer.

Le campus n’a pas lésiné sur les frais à engager pour s’offrir son propre complexe sportif : pas moins de trois bâtiments regroupant piscines, patinoires et terrains d’entraînements, sans compter un stade immense, deux pistes de courses et quelques terrains d’extérieur aux utilisations diverses. Ce matin-là, séance badminton et tennis pour les plus valeureux car le doux soleil matinal n’a pas encore eu le temps de réchauffer l’atmosphère autour de nous.

Tandis que nous nous avançons vers l’une des premières pistes de course, où s’est déjà réunie une bonne partie des étudiants, je sens l’expresso me laisser un goût amer dans la bouche et achever ma conviction de plutôt tenter un thé la prochaine fois même s’il est déjà trop tard pour revenir en arrière. Je retiens donc un long frisson en emboîtant le pas à Amber sur l’impressionnant complexe sportif, frictionnant mes avant-bras engourdis.

Mon regard dérive sur un groupe de garçons au même jogging rouge qui engagent en riant un énième tour de piste puis sur les terrains de tennis au centre et parmi lesquels je crois apercevoir la chevelure blonde de Caleb. Je secoue la tête. Non, je dois avoir rêvé. Je reprends mon inspection des lieux et ne ne peux empêcher mes yeux de s’arrêter sur une silhouette châtain en tenue bleue marine et blanche, absorbé par la préparation de son service. Lorsque ses iris noisette croisent les miens, je suis parcourue d’une décharge électrique. Zach… Merde…

Je détourne précipitamment la tête en trottinant pour gagner le groupe. Encore une fois, j’espère me fondre dans la masse pour disparaître… Mais c’est sans compter sur le regard perçant du jeune homme qui continue de me fixer un long moment malgré mes tentatives désespérées pour passer inaperçue. J’en viens même à espérer – chose vraiment aberrante me connaissant – que notre coach ne tarde pas trop, craignant que Zach ne fasse une nouvelle tentative pour me parler après le fiasco de la veille au soir.

Je manque un arrêt cardiaque en sentant une main se poser sur mon épaule. Non ! Pitié ! Amber me lance un regard inquisiteur. Je dissimule un soupir de soulagement.

- Ok, ok, ok ! Fermez-la un peu les jeunes ! C’est un cours d’éducation sportive, pas d’entretien de votre joli bouche fleurie, alors on ferme son clapet et on se met à courir ! Allez, hop, hop, hop ! On s’échauffe, ALLEZ !

Malgré sa taille moyenne, son physique un peu passé et l’expression de son visage où se mêle à la fois exaspération et incrédulité, le ton employé par le coach ne laisse pas de place aux contestations. Il porte un petit sifflet noir à ses lèvres et émet plusieurs sons stridents afin de nous inciter à nous mettre en mouvement.

- J’ai dit hop, hop, hop ! Bougez-vous ! Et pas d’entourloupes les jeunes ! nous prévient-il, je vous ai à l’œil ! TOUS !

Je retiens un soupir. Amber me lance un sourire amusé en engageant le rythme. Je prends le temps de dérouiller un peu mes pauvres muscles frigorifiés et m’élance à sa suite.

Le coach marque notre premier tour d’un nouveau sifflement aigu. Un vrai miracle. Le souffle déjà court, je tente tant bien que mal de dissimuler mon évident manque d’endurance. Mes poumons souffrent de cette course dans l’humidité et le froid glacial. J’ai beau ralentir un peu le rythme afin de me laisser un peu de temps pour retrouver une respiration convenable – forçant Amber à freiner également son élan -, force est de constater que je ne suis pas aussi sportive que tous les autres.

Rapidement, les quelques mètres qui nous séparaient des premiers coureurs deviennent des dizaines et je les vois nous distancer à vue d’œil. Je sais que, quelque part sur ce foutu stade, Zach continue de me tenir à l’œil et je ne veux pas passer pour la pire sportive du campus alors je presse un peu le rythme mais à peine quelques mètres plus loin, un point de côté commence lentement à m’arracher le flanc gauche, me forçant à ralentir à nouveau.

- Souffle, me conseille Amber, concentre-toi sur ta respiration. Cela prendra le temps que cela prendra mais on finira ses dix tours va.

- Non, soufflé-je, éreintée, en venant me poser sur le bas-côté de la piste. Vas-y toi, termine ! Rattrape les autres ! Je te rejoins !

La jeune femme semble hésiter.

- Tu es sûre que tout va bien ? demande-t-elle, inquiète.

- Oui, oui, assuré-je entre deux respirations saccadées, vas-y je te dis.

Amber n’insiste pas mais me lance un dernier coup d’œil avant d’entamer le virage. Je tente quelques pas tranquilles pour calmer les battements fous de mon cœur. Je sens ma poitrine m’oppresser subitement. Une douleur insupportable, insoutenable, qui se répercute jusque dans le bas de mon ventre. Respirer devient subitement une vraie torture et chaque seconde supplémentaire aggrave la douleur déjà présente. Je m’arrête en étreignant mon tee-shirt détrempé par la sueur.

- On court là-bas ! Pas d’arrêt avant la fin des dix tours ! hurle le coach.

Je plisse les paupières. Bordel, c’est quoi ça ? Je n’avais encore jamais ressenti une crise pareille. Ou du moins, jamais aussi intensément. Je plonge la main dans la poche de ma veste à la recherche de mon inhalateur de secours. Rien. Merde, j’ai dû le laisser dans ma chambre. Je lève la tête afin de dégager mes voies respiratoires en titubant sur le gazon bordant le terrain. Il fait si chaud tout à coup. Le soleil brûle mes lèvres, ma gorge, jusqu’à mes poumons. Mon corps est secoué d’un frisson. Quelle conne… Comment j’ai pu oublier de prendre mon inhalateur ?

Des voix s’approchent un peu partout autour de moi. Je crois que j’ai réussi à attirer l’attention de tous les étudiants du complexe. J’entends le coach demander ce qu’il se passe et une personne en bousculer d’autres afin de se frayer un passage au pas de course jusqu’à moi. Je vacille jusqu’à trouver le grillage délimitant l’extrémité du terrain de course sous ma main. Mes doigts accrochent l’enchevêtrement de métal afin de me garder consciente.

Une main se pose sur mon épaule, une voix m’ordonne de respirer. Comment lui dire que j’en suis incapable hein ? Je tente d’inspirer puis expirer profondément sans succès.

- Elle fait une crise ! annonce la même voix, suave et délicate à mon oreille. Appelez l’infirmerie !

L’infirmerie ? Oh là là…

- Non… Non, ça va… articulé-je avec peine. Ça va… Ça va passer…

- Oui bien sûr. Prends ça.

Une main me tend une sorte de petit appareil en plastique muni d’une cartouche métallique. Un inhalateur ! Je penche la tête sur le côté afin de dévisager le mystérieux détenteur de mon petit miracle. Zach. Evidemment.

- Comment… commencé-je, surprise.

- T’occupes. Prends je t’ai dit ou on n’aura bientôt plus d’autre choix que de te porter à l’infirmerie.

Je hoche la tête silencieusement et attrape le dispositif entre mes doigts tremblants. Je sens mon cœur s’emballer dans ma poitrine en amorçant la dose.

Un sifflement strident retentit au fond de mon crâne, me faisant grimacer.

- Lise ? Lise, est-ce que ça va ?

Non. Non, ça ne va pas ! Je resserre ma poigne autour du grillage en serrant les dents. Le paysage autour de moi n’est plus qu’une peinture délavée aux contours flous. La seule chose que je parviens encore à sentir est le souffle chaud de Zacharia contre ma nuque. Et sa voix inquiète, tandis qu’il passe un bras sous mon ventre afin de me retenir. Me retenir de tomber. Me retenir de sombrer. Puis c’est le vide. Le néant. L’obscurité. Et l’inconscient.

-

Lorsque j’ouvre les yeux, une affreuse lumière blanche accueille mon réveil. Je grogne en posant un bras devant mon visage. Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Les dernières minutes précédant ma chute me reviennent en mémoire et je suis parcourue de nouveaux frissons glacés. Faire une crise au beau milieu de centaines d’étudiants non plus ne faisait pas partie de mes projets…

J’entends ce que je devine être l’infirmière près de moi arracher quelque chose et dire, simplement :

- Rien de grave, juste un petit malaise hypoglycémique sans doute.

Elle apparaît dans mon champ de vision et claque des doigts devant mes yeux embués.

- Mademoiselle ? Mademoiselle Valriez, vous m’entendez ?

Je grogne une nouvelle fois en me redressant pour échapper à ses horribles claquements.

- Oui, oui… je vous entends, c’est bon.

- Parfait, vous êtes revenue parmi nous je crois.

Elle se retourne en direction de son chariot de matériel de premiers soins, cherchant visiblement quelque chose avec attention. J’en profite pour détailler la pièce dans laquelle je me trouve, et suis surprise d’y trouver Zacharia, encore en short et tee-shirt, assis sur une chaise, les mains croisées devant lui.

- Qu’est-ce que tu fais ici ? chuchoté-je à son intention.

Mais il n’a pas le temps de répondre, l’infirmière revient en me tendant une barre chocolatée.

- Zacharia a gentiment proposé de vous porter jusqu’ici, vous avez de la chance, croit-elle nécessaire de souligner. Tenez, mangez donc ceci, ça vous fera du bien.

De la chance ? Sans blague… J’attrape la barre qu’elle me tend sans rien dire mais ne l’ouvre pas.

- Bon, puisque vous êtes réveillée, je vous laisse reprendre un peu vos esprits. Je tiens juste à vous prévenir [ajoute-t-elle en gagnant l’encadrement de la porte] : ne cherchez pas à vous lever trop vite ou vous risquez de tourner de l’œil à nouveau !

Elle m’adresse un large sourire avant de repousser le battant derrière elle. Pour qui elle se prend celle-là ?

Je pose la barre chocolatée sur la table de nuit et passe mes jambes par-dessus le lit. Foutaise ! Si elle croit que je vais gentiment rester allongée là, sur ce lit, en attendant que les heures défilent…

- Qu’est-ce que tu penses faire au juste ? demande tranquillement Zach.

- Me lever, annoncé-je en me hissant jusqu’au bord du matelas, puis sortir d’ici.

Je pose mes pieds sur le sol froid et carrelé de blanc de l’infirmerie et tente un redressement stratégique. Mes jambes se dérobent sous moi avant que j’ai eu le temps d’analyser la situation et Zacharia a tout juste le temps de me rattraper pour me reposer sur le lit.

- Okay… soufflé-je en me massant les tempes, peut-être pas aussi rapidement en fait…

Zach hausse les sourcils en se rasseyant sur son fauteuil, les mains à nouveau croisées et posées sur ses genoux. Il n’a rien besoin de dire, son regard parle pour lui.

- Ça va, grommelé-je en prenant soin d’éviter de croiser ses yeux clairs et furieux, ce n’est rien… juste une petite hypoglycémie passagère…

- On sait très bien, toi et moi, que ce n’est pas juste un problème de sucre.

Je braque mon regard sur lui, soudain suspicieuse.

- De quoi est-ce que tu parles ?

Zach soutient mon regard sans ciller.

- Depuis quand est-ce que tu manques à ce point de souffle quand tu cours ? Il n’y a que deux possibilités à cela mais je suppose qu’il n’est pas nécessaire de te faire un dessin sur le sujet, non ?

Je fais mine d’ignorer sa question, trouvant soudain la contemplation de mes ongles bien plus intéressante que cette étrange conversation.

- N’est-ce pas ? répète-t-il d’une voix plus forte, insistant sur chaque mot avec soin.

- Je ne vois pas de quoi tu veux parler Zach. Je manque souvent de souffle, oui, mais je ne comprends pas en quoi cela te concerne ? Je dois être un peu asthmatique, voilà tout. J’ai quelques antécédents dans la fam…

- Oh ! me coupe-t-il en se redressant, faussement étonné, et depuis quand cet « asthme » te fait-il tomber dans les pommes ? Où est ton inhalateur ? Je ne l’ai pas trouvé sur toi…

Je fronce les sourcils, hors de moi.

- Tu m’as fouillée ?

- On ne me l’a fait pas à moi Lise.

- Non mais je rêve ! hurlé-je en levant les yeux au ciel.

- Réponds à ma question s’il te plaît !

Le simple haussement de ton dans sa voix suffit à me faire me ratatiner contre la tête en métal du lit de l’infirmerie, les jambes repliés contre mon torse.

- Je l’ai oublié dans ma chambre, cela arrive… Pourquoi est-ce que tu me fliques comme ça ?

- Parce que je crois que tu me mens, se contente-t-il de répondre.

- Pourquoi est-ce que je ferais une chose pareille hein ?

- Peut-être parce que mentir aux autres et à toi-même t’aide à te sentir mieux ? Ou à accepter plus facilement la réalité ?

- La réalité ? Quelle réalité ?

Plus cette discussion sans queue ni tête avance et plus je sens le rouge me monter aux joues. Putain mais à quoi joue-t-il ? S’il cherche à me pousser dans mes retranchements, c’est réussi. Mais ce qui me travaille le plus en cet instant, c’est ce que peut bien savoir Zacharia… Et surtout, COMMENT il l’a su ? Auparavant, jamais personne ne s’était aperçu de rien. J’avais toujours réussi à duper mes proches, qu’il s’agisse de mes professeurs, mes amis, mes ennemis… Alors putain, COMMENT pouvait-il savoir ?

- Tu n’as jamais touché une seule cigarette n’est-ce pas ?

- Quoi ? m’étonné-je.

Cette question est purement et simplement hors sujet !

- Pourquoi ?

- Oh pitié ! Ça n’a strictement rien à voir ! J’ai parfaitement le droit de refuser de fumer, non ?

- Mais tu te pointes à une soirée où tu sais parfaitement que l’on risque de te le proposer… Qu’est-ce que tu cherches à te prouver au juste ?

- Mais rien ! explosé-je, tu délires !

Mon rythme cardiaque fait un bond au fond de ma poitrine. Je sens que mes difficultés à respirer correctement me reprennent et je dois lutter ardemment pour ne pas suffoquer.

- Je ne te crois pas.

- Mais à quoi ça rime à la fin ? Tu te prends pour qui ?

- Je sais que tu fais attention à ce que tu manges et que tu possèdes des comprimés d’antibiotiques dans ton sac de cours.

- Attends… tu as vraiment fouillé toutes mes affaires ? Ce que tu as vu n’étaient pas des antibiotiques mais ma pilule ! J’en ai toujours une réserve dans mon sac au cas où !

- Je connais ce type de médicaments Lise et il ne s’agit pas d’une pilule.

Pour la première fois, je ne trouve rien à redire et me contente de le regarder sans savoir ce qu’il peut bien chercher à me faire dire. Il n’a pas vacillé. Pas un seul instant. Ses yeux continuent de me fixer avec cette même intensité, cette même profondeur, cette même suspicion. Je ne peux m’empêcher de frissonner.

- Pourquoi est-ce que tu me poses toutes ces questions si tu sembles en connaître les moindres réponses ? Fous-moi la paix, Zach !

Je me lève – cette fois de façon plus assurée – afin de me soustraire à ce regard si perturbant, attrape ma veste de jogging et tente de me frayer un passage jusqu’à la porte par laquelle a disparu l’infirmière quelques instants plus tôt. Zach est plus rapide et me saisit le poignet pour me retenir.

- Ecoute Lise, je ne cherche pas à te faire peur ou à te harceler comme tu dois être en train de le penser…

- Tout juste, le coupé-je sèchement.

- J’essaie simplement de t’aider. Je sais ce que c’est, crois-moi, et je connais quelqu’un qui peut te prendre en charge ici. Un très bon médecin, quelqu’un de bien.

- Putain mais c’est pas possible ! hurlé-je en dégageant brusquement mon poignet, je te l’ai dit : je suis ASTH-MA-TIQUE ! Rien d’autre ! La seule chose dont j’ai besoin, là, dans l’immédiat, c’est de sortir d’ici, oublier cette stupide discussion dont je ne comprends strictement rien et prendre une bonne douche ok ? Basta ! Et maintenant, laisse-moi s’il te plaît ! A moins que ce ne soit trop te demander ?

Je soupire de colère et, sans attendre de réponse de sa part, disparais dans le couloir.

***