13 Veillée d'armes

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Le lendemain soir le lieutenant Dautun arriva chez moi vers dix neuf heures. Je m'affolais un peu de la voir si tôt mais elle me rassura. Elle en avait assez d'attendre seule chez elle et avait pensé que nous pourrions passer ensemble cette « veillée d'armes » avant de lancer notre raid en milieu de nuit.

Elle refusa un verre d'alcool et me le déconseilla avec insistance. Nous devions bénéficier de toute notre lucidité. Par contre elle accepta du coca afin que le sucre nous donne des forces et la caféine chasse le sommeil.

Nous nous étions installés comme d'habitude c'est à dire elle dans le fauteuil et moi en face sur le canapé. Cela me fait drôle d'employer l'expression « comme d'habitude » qui fait pense à un vieux couple.

Elle dut sentir l'angoisse monter en moi car elle s'efforça de me faire penser à autre chose en m'interrogeant sur ma vie passée.

- Finalement je ne connais pas grand chose de vous. Les dossiers que j'ai consultés parlaient de vos études, de votre travail, de votre casier judiciaire même, mais finalement ce qui fait ce que vous êtes englobe bien plus de choses. Par exemple aimez-vous faire du sport, écouter de la musique, lire ou faire la cuisine ?

Au restaurant elle avait déjà essayé de m'interroger ainsi mais à ce moment là je n'étais pas prêt à me dévoilé et j'avais éludé ses questions. Aujourd'hui j'avais envie d'être sincère, je ne sais pas trop pourquoi. Peut-être pour oublier ce qui nous attendait, peut-être pour instaurer un climat de confiance voire de complicité entre nous.

- Très bonnes questions. La cuisine d'abord. Je suis le roi des petits-pois/carottes mais attention, pas n'importe lesquels ! Uniquement bios et en bocal de verre.

Elle éclata de rire ce qui m'enchanta mais je continuais mon jeu en mimant l'indignation.

- Que veux dire ce rire ? Vous vous moquez de moi ! Je vous assure que je suis sérieux.

J'avais posé une main sur mon cœur pour renforcer mon propos. J'enchaînais par :

- Et vous qui riez, que faites vous comme cuisine ?

- Heu... sandwichs jambon-beurre, chips, steaks haché lorsque j'ai envie de bien faire.

Ce fut mon tour de rire.

- Je le savais. Un enquêteur qui passe longtemps en planque ne peut que se nourrir de sandwichs et de bière.

- Je proteste doublement. D'abord les planques n'occupent pas tout notre temps même si elles sont parfois nécessaires. Le « régal » pour nous c'est l'enquête de voisinage. Extorquer des renseignements de voisins du suspect qui n'ont jamais rien vu ou qui estiment certainement qu'il est dangereux de se mêler des affaires des autres, je vous assure que c'est un boulot pour lequel on se bat... pour le laisser aux collègues. Enfin je ne suis pas fan de la bière. Je préfère un verre de bon vin mais jamais pendant le service bien entendu.

- Il n’empêche, je me rappelle une voiture garée devant chez moi...

Elle me coupa la parole.

- Ça n'a rien à voir, on ne se cachait pas, on vous attendait tout simplement.

- Oui, bien sûr. Je suis désolé de m'être fait désirer mais j'ignorais que des visiteurs patientaient. A propos, je fais une association d'idées avec la bière, entre nous, ne me dites pas que l'officier Gomez la déteste.

- Il l'adore, même pendant le service.

Elle avait poussé un soupir avant de répondre. Je décidais de creuser un peu le sujet.

- D'ailleurs, compte tenu de sa silhouette un peu... enveloppée est-il capable de courir après les délinquants?

La question la fit sourire.

- A vrai dire il prétend que rien ne sert de courir il faut partir à point, prévoir la réaction de la personne interpellée et lui couper les itinéraires de fuite.

- Ah d'accord, c'est un fin tacticien. Mais si cette personne se sauve quand même ?

- A ce moment là il compte sur sa coéquipière.

Nous rimes tous les deux. Je ne pus m'empêcher une petite réflexion perfide.

- Je dois quand même reconnaître que son flair m'a beaucoup impressionné. Me poser des questions embarrassantes devant lesquelles je bafouillais lamentablement et décréter immédiatement qu'il perdait son temps à m'interroger, quelle efficacité ! Ce n'est pas comme sa collègue sans gène qui visitait l'appartement comme si elle voulait l'acheter et qui pinaillait pour un petit trou dans un mur...

Ma réflexion l'amusa à nouveau mais elle évita quand même de critiquer ouvertement son partenaire devant moi. Il est vrai que j'avais fais le tour du problème, de son problème pourrais-je dire, car en plus des remarques formulées précédemment, j'avais aussi remarqué l'attitude suffisante et macho de l'officier Gomez vis à vis d'elle.Ce devait lui être pénible de le supporter alors que, j'en avais l'intime conviction, elle était un policier bien plus perspicace que lui. L'horloge tournait au ralenti ce qui m'amena à l'interroger à mon tour.

- Vous avez pu constater que j'ai répondu à vos questions. Il se trouve que, pour mon compte, je ne connais presque rien de vous. Que fait le lieutenant Dautun en dehors de son travail et en exceptant sa vendetta personnelle ?

Son visage redevint sérieux, presque triste lorsqu'elle me répondit.

- Le lieutenant Dautun est très occupé, trop peut-être. L'officier Gomez lui dit souvent qu'il y a une vie en dehors du travail, mais...

Elle hésita à poursuivre. J'avais remarqué son passage à la troisième personne comme si elle parlait de quelqu'un d'autre. Elle se décida à continuer.

- Par contre Mademoiselle Dautun n'a pas vraiment d'existence. Elle vit pour son travail. Si elle pouvait, elle y consacrerait tout son temps personnel. Sa vie est vide de sens lorsqu'elle ne porte pas l'uniforme.

Je l'interrogeai d'une voie douce.

- Et elle ne fait rien pour changer les choses ?

Elle me jeta un petit coup d’œil par en dessous avant de répondre.

- Disons que ses tentatives n'ont pas eu l'effet escompté. Mais je vous ennuie avec mes états d'âme personnels.

- Ne croyez pas ça. Je vous comprends très bien.

Je regardais avec tristesse mon appartement. Mon refuge. Mon exil. Je l'aimais et le détestais tout à la fois. Il me protégeait du monde extérieur mais en même temps il m'isolait de plus en plus. Havre et prison tout à la fois. Et moi non plus je ne faisais pas beaucoup d'efforts pour que ça change.

Le silence s'installa naturellement, chacun plongé dans sa mélancolie. Maintenant que nous avions vidé notre sac le silence n'était plus gênant, nous n'avions plus besoin de mots pour nous comprendre.

Elle se leva brusquement ce qui me fit sursauter. L'heure de l'action était arrivée alors que j'avais réussi à oublier le but de sa visite. Mon angoisse me reprit immédiatement mais je sentis en moi une détermination nouvelle. Peu m'importait les trafiquants, peu importait même les raisons de la vendetta du lieutenant Dautun. J'avais une mission. J'allais donner un sens à ma vie. Je me sentais vivant et je n'avais pas éprouvé ce sentiment depuis longtemps.

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