- "Dans un utilitaire, trônent quinze appeaux, mais un seul possède la vertu mercatique de flouer le toucan royal et pour le modique prix d’une barquette de margarine, ma bonne dame !" Alors ? Brillant, hein ?

- Hum, hum…

Jean-Marc est perplexe. Dubitatif, même. Secoué par l’effervescence du bureau paysagé, il fait son possible pour trouver un quelconque intérêt à l’accroche d’Aubin. En qualité de manager, il lui doit bien ça. Un minimum syndical d’attention. Juste assez pour louer sa créativité, sans franchir le cap de la transmutation.

- Et… on parle de quoi exactement là-dedans ? D’un appeau à gogo ?

- Nan ! Du toucan ! La future mascotte d’une boisson tropicale. Mate ça ! s’exclame Aubin d’un clic vindicatif sur l’écran d’iMac, dégueulant de couleurs. Ça vient d’Holànatura, une boite assez récente, mais avec une mascotte. Cloclaw qu’il l’appelle. T’en pense quoi ?

Ce qu’il en pense, Jean-Marc se garde bien de le dire. Devant la palette de pigments, il fronce les sourcils et grimace à pleine lèvre. C’est horrible, immonde. Un déluge de gouache, quinze nuances de clinquant autour d’un toucan tangerine jouant du sifflet entre son bec fuchsia.

- C’est coloré, articule-t-il enfin.

- N’est-ce pas ? Et évidemment, on a pensé à moi tout de suite. Du coup, tu me donnes ton aval, hein ?

- Heu…

- OUAAAAAAIIIIS !

Autour, le monde est en ébullition. Entre les tables, on crie et se tape dans le dos devant la dernière transmutation d’Elias : un magnifique carnosaure à pois pirouettant entre des cerceaux. Malgré la taille, le Finlandais l’avait d’un adjectif, rendu aussi docile qu’un caniche, de sorte que le spot fusse finalement aisé à tourner.

Aubin n’y accorde cependant pas plus d’attention qu’à une plante en pot. D’un pincement sur la manche, il ramène Jean-Marc à son affaire. Pas question de se laisser flouer. Il attend, il faut dire, ce moment depuis sa prise de fonction et compte bien arracher un petit “oui” à son mentor circonstancié.

- Alors ? insiste-t-il, les yeux brillants.

- Eh bien… Il faut revoir des trucs. La tournure déjà. Perso, je ne vois pas le rapport entre la margarine et la boisson, qui n’est d’ailleurs même pas mentionnée. Et puis… mercatique ?

- Pour le côté, franchouillard.

- Supprime. Et “l’utilitaire” ?

- Il me fallait un lieu de tournage original. J’ai déjà la mise en scène en tête…

- Non.

Aubin se fige. Jean-Marc se redresse, craquant des lombaires. C’est que ça pète le dos de rester vouter ainsi pour un marketeux de seconde zone.

- Je ne peux pas donner mon aval pour un truc pareil, explique-t-il. T’as vu cette horreur ? A quel moment, tu t’es dit que ce serait de l’ordre du possible sans perdre la face ?

- Parce qu’un tyrannosaure multicolore, c'est plus crédible ? rétorque froidement Aubin.

- Pour une application Netto, oui. Supprime-moi tout ça et concentre-toi sur le dossier Cameron. J’ai du travail.

- C’est déjà dans les tubes de la prod’.

- Quoi ?

Jean-Marc manque d’ingérer son mulet. En prod’ ? Ce truc ?!

Il jette un œil à la date. Non, on est bien le 21 février, pas un 1er avril surprise. Emmêlé dans le jargon ou l’amorce d’une pluie de noms d’oiseaux, Aubin lui grille l’herbe sous les pieds.

- J’ai vu Magalie et elle adore, elle. Du coup, on a décidé de passer ça en force, exactement comme Elias l’a fait, le trimestre dernier.

- Co… comme Elias ? Mais… vous êtes marteau ?! Je vais me faire virer !

- Pourquoi ? Les transmuteurs sont d’accord, eux.

- Ils n’y connaissent rien !

- Ça, c’est ce que l’avenir nous dira.

- Il est tout écrit. Clair comme du cristal, crétin !

- Hé ! Du calme ! C’est ma faute si t’es frileux dans l’innovation ?

- L’innovation !

La voix du manager s’étrangle. Un mot de plus et Aubin passe par la fenêtre. La table aussi. Peut-être même le palmier et le drone aspirateur en plus. À la place, il se mord le poing et se contente d’un regard noir, assassin.

C’est une catastrophe et l’autre, ce grand con, sourit, fier de lui ! Fier de sa poubelle volante ! Ah, des têtes vont sauter cette semaine.

Et il ne croit pas si bien dire.