Poursuite au mitard
Aubin court à travers les corridors. Peu habitué à l’exercice, ses petites jambes accusent le coup, tandis que ses bras rondelets, encaissent à grand-peine les portes coupe-feu que son protégé lui envoie en pleine face.
- Bouargh ! Stop ! braille-t-il des suites d’un énième impact. Arrête-toi Cloclaw ! Tu me dois respect et obéissance ! Sans moi, tu ne serais qu’un dessin vectoriel sur… argh !
Dans les courants d’airs, voletant à tire d’ailes, le toucan zonzonne quelque chose, ponctué d’un solide coup d’appeau. L’attache d’un néon saute et celui s’écrase sur la tête d’Aubin. Hilare d’avoir enfin cloué le bec de son insipide créateur, le toucan pirouette et oblique dans une salle de réunion.
Une main se tend brusquement. Cloclaw couaque et, tel un corbeau anonyme, en fait tomber l’appeau. Magalie s’en saisit aussitôt.
- Je l’ai ! crie la jeune femme. Aubin ! Comment ça marche ?
- Comme un pipeau ! Souffle dedans ! Grouille !
- Il aurait jamais dû l’avoir dans le bec si c’est si important…
- C’est pas moi qui l’aie dessiné, maintenant, souffle, vite ! Le bouc arrive !
- Le bouc ? Hé là ! Saloperie !!
Au-dessus de leurs crânes, à présent dégoulinant d’urée rosâtre, le toucan caquète, goguenard. Furieuse, la jeune manageuse s’éponge la permanente et porte l’instrument à ses lèvres, pendant qu’Aubin, tance vertement l’animal.
Hélas, c’est l’instant que choisit le bouc pour enfoncer la porte vitrée de la salle.
- Ah ! Mais qu’est-ce que c’est que ce foutoir !? hurle Magalie, qui, à son tour, laisse tomber l’appeau et saute sur la longue table ovale en milieu de pièce.
- Mademoiselle, il n’est dans mes habitudes d’ainsi prendre la parole durant les présentations. Cependant, puisse mon intervention ne pas solliciter toute forme d’inquiétude dans votre esprit, que j’imagine ô combien féru de lettres, de culture et de patience, au contraire s’il en est, de mon ami ailé ici présent, dont le ramage, loin de se rapporter au plumage, a plombé mon récent réveil, additionné, et là je me permets d’être vulgaire, mademoiselle, d’une touche agressive et allons même jusqu’à dire, belliqueuse, lorsque mes cornes ont, cependant que j’avançais…
- Il est là !
Une belle brochette de jouvenceaux, tout juste démoulés d’un spot strasbourgeois, se télescopent à l’entrée de la salle. Ensemble, ils se jettent sur le bouc philosophe, occupé à ajuster ses besicles. Le pogo logorrhéique qui suit, aussi improbable soit-il, profite à Cloclaw. Sans faillir, l’oiseau pique se saisir de l’appeau et resquille hors de la pièce.
Aubin et Magalie se ruent à sa poursuite.
- C’est pas vrai ! Mais c’est pas vrai ! souffle Magalie, esquivant de justesse une nouvelle giclée de rosé. On va se faire engueuler de ouf ! Et toi, tu pouvais pas faire ton piaf plus docile, bougre d’anus ?!
- C’est ma première fois, j’y peux rien ! pleurniche Aubin. Dégage-toi !
D’un coup d’épaule, il envoie bouler un pèlerin perdu tant dans son chemin, que ses nippes bariolées. Il tombe au sol, manque de s’éborgner sur un extincteur.
- Non, mais dites donc ! Est-ce ainsi que l’on traite le dauphin de Louis XXVII ?! peste-t-il en réponse, mais le duo est déjà loin.
- Qu’est-ce qui se passe ? dit Aubin. Pourquoi les imprimés sont en liberté, comme ça…
- Le voilà !
Cette fois ce ne sont plus des philosophes ou des dinosaures qui déboulent, mais le chef de la sécurité, encadré de toute une meute d’androïdes multicordes, pourvus entre autres de matraques électriques et d’appeaux en plastique.
- Choppez ce piaf ! Et saisissez ces deux imbéciles !
- Hé ! Il parle de nous là, non ?! s’exclame Magalie.
- Non, non, jamais la direction n’oserait…
Une matraque file s’encastrer dans la paroi proche. À deux centimètres au plus de la tronche de l’infortuné rond-de-cuir. Celui crie, Magalie aussi, le chef de sécurité suit. Cloclaw par contre, appeaute du robot. La mélodie est délirante, discordante, à l’image des androïdes mal embouchés, qui dans la foulée, changent de bord.
- C’est une plaisanterie… commence le vigile avant de finir en takoyaki. Argh ! Au… Au secours !
Des clous ! C’est en tout cas ce que pense Aubin, qui d’une main pressée, un rien baladeuse, a entraîné Magalie vers le plus proche bureau. Pour la privauté passagère, la jeune femme lui en retourne une. De sa main valide, elle verrouille la porte.
Si dehors, le pandémonium gagne en puissance, derrière leurs dos, une voix sèche, acide et pleine de colère, leur rappelle qu’ils sont loin d’être tirés d’affaire.
- Je vais vous tuer ! crie Jean-Marc.
Annotations