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     — Depuis tout à l'heure t'as rien touché Jason, même pas une petite binouze...

     — Normal je suis en sèche.

    Ah oui c'est vrai... Il fait fondre son gras pour faire saillir ses muscles. À la plage on se sent ridicule à ses côtés, quand il pénètre l'eau, les pectoraux gonflés, les tablettes sculptées comme une carapace de tortue et le teint plus hâlé qu'en hiver.

     — Tu comptes manger quelques merguez ?

    — Peut-être une ou deux... De toute manière j'ai déjà acheté ma bouffe à la supérette.

    En effet je l'ai vu acheter son blanc de poulet, ses flocons d'avoine, son fromage blanc zéro pourcent et ses amandes décortiquées. Ce soir il va sûrement se préparer lui-même ses pâtes et ses légumes. Qu'est-ce qu'il est allé chercher dans son sac ? Je rêve... Il a ramené son shaker et son gros pot de Whey Protein...

     — Tu fais chier Jason à rien faire comme tout le monde !

    — Et oui Ludo, c'est ça la vie des balèzes ! N'est-ce pas ma crevette ?

     Jason tape le dos rouge de Roubine.

    — Aïe ! Mon coup de soleil !

    — Petite fiotte... Sinon ce soir on fait quoi ? Fête foraine ? Le bar Sur Les Quais ?

    — Ah non y a que des beaufs dans ce bar !

    J'approuve Roubine. Le karaoké années 80 m'a plombé hier soir. Jason enchaîne...

    — Et pourquoi pas le Mojo ? On est passés devant hier, des petites salopes à petit cul serré faisaient la queue...

    Le groupe reste dubitatif, seul Ludo approuve mollement.

    — Putain les mecs on passe nos premières vacances ensemble au bord de la mer, et vous vous réagissez pas quand je propose des trucs !

    — C'est bon t'énerve pas Jason...

    Je suggère à tous d'en reparler après le repas en sortant les merguez cuites à point du barbecue. Tout le monde se sert, sauf bien sûr Jason. Roubine demande à William s'il se régale, lequel approuve en rajoutant de la moutarde dans son hot-dog.

    — William est discret et se vante pas mais tout à l'heure il s'est fait une copine sur la plage.

    — Ta gueule Arthur !

    Ah bon ! Intéressant... Jason, tout sourire, les yeux malicieux, demande des détails. Ludo semble dans le même état d'esprit. Roubine développe...

    — Fais pas ton timide. Dis-leur que tu t'es fait aborder par une petite de douze ans aux mèches bleues qui fredonnait du Evanescence. T'avais des goûts musicaux en commun avec elle.

    — Je crois pas non...

     Cette conversation va conduire Jason à aborder un sujet que j'aimerais éviter.

    — Tu la vois encore ta copine d'Arnas Dany ?

    Dans le mille. Le gosier embrasé par les merguez, je descends une demi-bouteille de Despe déjà tiède en préparant ma réponse.

    — Oui un petit peu. Mais faut que j'arrête, surtout que depuis juin je suis majeur.

    — Bah si elle a quinze ans t'as pas de mouron à te faire.

    — C'est ce qu'elle a toujours dit. Mais j'ai de bonnes raisons d'en douter...

   — Ouais tu m'as déjà dit... Mais tu sais qu'il existe des gens qui paraissent plus jeunes que leur âge, qui font très gamin.

    — Oui mais chez elle ça m'étonnerait. C'est surtout sa façon de parler qui la trahit, en plus de son physique. Franchement je lui donne pas plus de treize ans. Puis d'autres éléments abondent dans mon sens : la dernière fois que je lui ai rendu visite, elle tchattait avec un couple d'amis qui s'exhibait devant la cam, et eux n'avaient pas quinze ans, j'en suis quasiment sûr. J'en étais mal à l'aise. Ils prennent tous une mine choquée et intriguée.

    — Qui faisait quoi devant la cam ?

    — Oui t'as bien compris Jason. Qui s'exhibait.

    — Tu veux dire à poil, devant toi par écran interposé ?

   — Voilà... Ils se montraient, se caressaient. Ils commençaient à coucher ensemble quand je suis parti.

    Roubine souffle du nez pendant que Jason et Ludo arborent un sourire jaune. Seul le visage de William s'illumine, curieusement.

    — Pas étonnant venant d'une fille qui se fout à poil dès la première rencontre.

    Le genre de détails que William n'oublie pas. Je ne l'avais dit qu'à lui, dans l'idée qu'il ne le répétera pas. Erreur...

   — C'est quoi cette histoire ? Tu me l'as jamais dit salopard...

    Roubine et Ludo partagent l'amusement et la curiosité de Jason, ce qui m'oblige à passer aux confidences.

    — C'était justement lors de cette dernière rencontre. On s'était déjà beaucoup parlés par messagerie. Elle faisait déjà la chaude en virtuel mais je pensais qu'elle en faisait des tonnes pour la frime. Tu parles ! Je débarque chez elle, sonne au portail et là voilà qui vient m'ouvrir en culotte et débardeur...

    J'entends voler les mouches. Ils attendent la suite avec impatience et je poursuis...

    — Plus tard, j'étais sur son canapé, devant la télé grand écran allumée, à l'écouter parler de son projet de mannequinat et si possible de participer à une télé-réalité quand elle sera adulte. À un moment elle s'est plainte d'avoir chaud et a en ni une ni deux retiré son peu d'habits. J'étais sonné, les yeux ronds, le verre de coca coincé entre les lèvres, devant cette fille gambadant à poil dans le grand salon, insouciante, chantonnant le tube à la mode qui passait au même moment sur MTV.

     Ludo et Roubine pouffent de rire. Même William affiche un sourire expressif. Seul Jason joue le mec imperturbable, du genre rien ne m'atteint, pour changer.

    — Y avait personne chez elle ?

    — Personne. Sa mère travaille beaucoup, elle rentre tard le soir quand elle fait des heures supp au bureau. Elle a pas de père, je ne sais pas s'il est mort, s'il s'est barré ou je ne sais quoi, juste qu'elle a pas de père. Puis elle est fille unique.

    — T'as du bien en profiter mon salaud !

    — Je te vois venir Jason mais non je l'ai pas touchée.

   — Rhô l'autre il a une nympho sous les mains et il fait rien ! Arrête ton mytho...

   — Non et tu sais très bien pourquoi.

   — Même si elle a moins de quinze ans elle était consentante. En plus t'étais mineur à l'époque... T'as loupé un truc mec.

    Il a probablement raison. Elle était si facile qu'elle n'a pas éveillé le moindre intérêt en moi. Le frisson ne m'a pas traversé la chair comme en d'autres occasions.

    — Et cette histoire d'exhibition ?

    — J'allais y venir. Elle dansait dans le salon, m'invitait à en faire de même puis s'est posée devant l'ordinateur. Elle s'est connectée au tchat sur lequel nous nous étions rencontrés, a entamé une conversation privée avec ce couple en ligne dont j'ai parlé auparavant. Les deux avaient treize ou quatorze ans, à poil également, se tripotaient l'entrejambe allongés sur un lit.

    — C'est tordu comme histoire...

   — Et oui Ludo... Surtout que juste après elle me sort quoi : Viens on va baiser en cam à cam ! Comme ça, mot à mot. Et je suis parti juste après, en silence et en vitesse, comme un voleur, de peur d'être mêlé à la combine.

   — Sacrée histoire... Y a qu'à toi qu'il en arrive des comme ça.

    Jason n'a pas conscience de la véracité de sa remarque, sachant qu'il ignore les trois quarts de mes expériences, en particulier les plus intenses comme cette soirée chez le rasta lyonnais, ou encore cette Allemande dépressive en avril...

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