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Un temps lourd marque cette dernière journée de fac, ciel gris et nuages bas. Ce soir Juliane dîne à la maison pour la première fois. Ensuite il est prévu que Clotilde, accompagnée de son jules, passe nous prendre en voiture et nous emmène à l'Arc-en-Ciel. Ça va faire plaisir de la revoir, les occasions manquent depuis ce resto il y a quelques semaines.
Pendant que j'y pense, je vais vite réserver le bungalow pour nos prochaines vacances en amoureux. En Camargue. Juliane affectionne cette région qu'elle n'a jamais visitée, elle adore les flamands roses et la culture gypsy. Sa grand-mère, bien que sédentaire, avait des origines gitanes. Elle lui a souvent parlé de son enfance passée sur les routes d'un terrain à l'autre, du culte de la Vierge Noire. Le temps que je retrouve le numéro dans le répertoire...
Je me demande ce que mijote cet individu qui surveille les environs. Il fait sérieux avec sa raie sur le côté et son style sobre : maillot à col roulé porté près du corps, pantalon classique et lunettes rondes genre Ray Ban, le tout en noir. Il distribue des tracts, s'apprête à m'en donner un. Mondialisation piège à cons écrit en lettres capitales au-dessus d'un logo McDonald's barré dans une parodie de panneau signalétique. J'adhère au slogan. La malbouffe est un fléau. J'ai une petite demi-heure de disponible avant de rejoindre mon train, je vais ouvrir une discussion. J'ai toujours aimé échanger, peu importe les opinions de l'interlocuteur, du moment qu'il est correct...
— Je suis d'accord, McDo c'est bien pourri...
Il ne s'attendait visiblement pas à m'entendre.
— Ravi que tu partages mon opinion ! Y en a marre de se faire bouffer par les Yankees, ça fait soixante ans que ça dure...
— Soixante ans ?
— Oui. En 45 ils sont pas venus nous sauver pour nos beaux yeux mais pour nous occuper, pour imposer toutes leurs saloperies qui gangrènent notre culture : coca, chewing-gum, sous-culture MTV...
Sûrement... Cela dit, j'ose espérer qu'il a autant de ressentiment à l'égard de ceux qui nous occupaient avant l'arrivée de ces Yankees.
— T'as pas complètement tort... En même temps la mondialisation ne se résume pas aux fast-foods et à des mauvaises sitcoms. Elle favorise aussi les échanges culturels, permet à un Français, grâce à Internet, de faire connaissance avec des Américains, des Russes, des Brésiliens ou quiconque sur le globe... D'autant que ce processus me semble inévitable avec les progrès techniques...
— Ouais mais là tu prends que les bons côtés. Moi je pense à cette politique mondialiste, perpétrée en premier lieu par les Américains à travers leur présence militaire sur toute la surface terrestre, qui tend à homogénéiser le monde, le transformer en une grande masse uniforme, sans frontières, peuplée d'apatrides, de citoyens du monde, de déracinés. Notre planète est en voie de transformation en un troupeau de bétail tenu en esclavage par la finance mondialiste. Le dieu Dollar est et sera le seul culte autorisé, dans un monde grisâtre, indifférencié, où dans un égalitarisme mortifère tout se vaudra : le beau comme le laid, le fort comme le faible, l'homme comme la femme...
— T'as raison sur certains points, mais malgré cette hégémonie qui s'impose au monde à coup de musiques pop aseptisées et de cinéma hollywoodien, les cultures locales existent toujours. Les Basques par exemple n'ont jamais perdu la conscience de leur identité spécifique. Idem pour les Corses. Autrement dit, la culture mondialisée – dissociable de la véritable culture américaine – ne fait que se superposer aux cultures nationales et régionales. Puis il faut bien admettre que cette hégémonie s'impose mais est aussi voulue par les individus. Je suis sûr que t'as déjà apprécié un blockbuster américain, ou un film de Disney. La plupart des gens aiment cette culture facile d'accès, sont plus ou moins fascinés par toutes ces mégalopoles américaines : New-York, Los Angeles, San Francisco... Même s'ils en ont une image idyllique.
Il ne s'attendait certainement pas à ce genre de remarques en distribuant ses tracts. Il hausse les épaules, comme s'il m'approuvait, bien sûr sans l'avouer de vive voix, et cherche sa réponse en retirant ses lunettes. Ses yeux rejettent cette lueur qui ne m'est pas inconnue. Ceux de Guizmo, l'anarchiste des vendanges, dégageaient la même. Une lueur particulière, contenue, un peu comme des rayons prisonniers d'une couche de glace. Un mélange de certitude et de répulsion. Comme s'il souffrait d'élucider, éclairé d'une lumière naissante, un mystère atroce.
— Bah... Oui. Comme tout le monde, j'ai grandi avec Mickey, les Simpsons, les films avec Schwarzenegger... Mais en grandissant, j'ai pris conscience que dès notre enfance, le Système, à l'aide des médias qu'il détient, met tout en place pour qu'on se détourne de nos racines helléno-chrétiennes, des traditions transmises par nos ancêtres de pères en fils. Parce que toutes ces intrusions américaines ne font pas que répandre dans les cerveaux européens une culture US. Le pire est l'idéologie qui plane derrière tout ça : apologie du métissage, destruction de notre héritage, libéralisme, normalisation des déviances sexuelles sous couvert de libération des mœurs...
— Et pourquoi les médias feraient ça ?
— Je l'ai dis... Parce qu'ils sont dans les mains du Système.
— Et quel est l'intérêt de ce Système dans tout ça ?
— Disons que le Système est constitué d'individus voués à détruire la civilisation occidentale.
Carrément...
— Sauf que ces individus – je suppose que tu fais allusion aux patrons de presse, aux personnalités en vue sur les plateaux télés, aux hommes politiques... – font partie de cette civilisation. Et selon toi, ces gens agiraient contre leur civilisation...
— C'est délicat à expliquer...
J'ai surtout l'impression qu'il craint de me choquer. Il poursuit...
— En fait, t'as l'impression qu'ils sont comme nous, parce que physiquement, ils sont à peu près comme nous. Sauf qu'en vérité ils viennent d'une caste différente de la nôtre...
Il voulait préciser sa pensée mais s'est autocensuré. Je vais tenter d'en savoir plus...
— Tu parles de caste différente... J'ai envie de te dire que ces gens du Système possèdent des grandes fortunes, donc oui évidemment il y a une caste de super-riches qui défend ses intérêts de classe dans les médias...
— Par caste, je veux dire tribu... ou même, pour être plus clair... je parle de peuple.
Son dernier mot est sorti de sa bouche comme s'il venait de lâcher un billet de cinq-cent. Il roule des yeux de gauche à droite, méfiant. Je crains d'avoir compris ce à quoi il fait allusion. Je vais essayer de lui faire préciser sa pensée...
— De quel peuple tu parles ? Parmi les personnes qui semblent faire vivre ce système, j'en vois de toutes les origines, et particulièrement des blancs... enfin je veux dire des Européens, des gens du même type que toi et moi.
— Et non... Ils nous ressemblent, mais ne font pas partie de notre peuple. Et c'est ce qui les rend dangereux... Leur peuple est celui qui depuis des millénaires s'installe un peu partout dans le monde – surtout là où ils peuvent s'enrichir – et pille la terre d'accueil jusqu'à se faire chasser par les autochtones.
J'y ai mis du temps, mais je commence à comprendre. Il pense que les Juifs sont la source des problèmes de ce monde. Il m'effraie de plus en plus, cet étudiant à l'allure pourtant sympathique, au visage assez enfantin et – avouons-le – qui semble intelligent dans sa façon de s'exprimer, ou du moins semble structuré, à des années lumières du cliché hooligan/crâne rasé/batte de base-ball. Normalement, je devrais abréger cette conversation dès à présent. Un ami de Clotilde, lors d'une manif, me disait de ne pas discuter avec ces gens-là, car les convaincre serait impossible, leur logiciel étant trop déréglé par leur idéologie. Aussi parce qu'eux n'éprouveraient aucune pitié à écraser leurs ennemis s'ils le pouvaient. Mais j'ai quant même envie d'enfreindre la consigne, car j'ai comme l'impression que ne pas le laisser extérioriser ses idées pourrait le rendre encore plus dangereux. Je vais poursuivre la discussion sous un autre angle...
— Et pourquoi ce peuple ferait ça ? Ils vivent dans le même monde que nous. Puis en quoi les intentions que tu leur prêtes seraient nocives ?
— Tout est écrit dans l'Ancien Testament, le Talmud, le Zohar, les textes kabbalistiques, le Protocole des Sages de Sion...
— Le faux document inventé par un Russe il y a un siècle ?
— Un faux document qui relate avec précision ce qui se passe aujourd'hui dans le monde, et c'est là l'essentiel... Mais revenons-en aux écrits... Le plan est énoncé noir sur blanc dans l'Ancien Testament, plus exactement dans le Livre d'Esaïe qui s'adresse aux enfants d'Israël : Tu suceras le lait des nations, tu suceras la mamelle des rois. Quant au Talmud et au Zohar, ils sont remplis de messages virulents à l'égard de Jésus, de la Vierge Marie, des chrétiens, des goys...
— Des quoi ?
— Des goys. Les non-Juifs... En bref ces livres invitent clairement les Juifs à tromper les goys, les considérer comme du bétail...
— Tu les as lus tous ces livres ?
— Non. Mais j'ai des sources sûres. Sur Internet on peut trouver ce qu'on veut si on sait chercher...
Oui... Ce qui nous arrange surtout. Je le sens prendre confiance, il commence à clarifier les choses en parlant explicitement de Juifs...
— En admettant que tout cela soit écrit... Il y a peut-être un contexte à prendre en compte. Ces livres sont anciens, donc écrits à une époque où la guerre était plus présente, où les rapports entre les peuples étaient plus conflictuels. Il peut donc s'agir de réponses violentes face à des persécutions. Peut-être aussi que ces propos ne sont pas à prendre au pied de la lettre ?
— Crois ce que tu veux, pour moi ces mots n'ont rien d'anodin, il s'agit clairement d'un plan de domination mondiale qui se met en place année après année. La Révolution dite Française en était une étape, l'Union Européenne en est une autre avant l'arrivée d'un gouvernement mondial...
— La Révolution n'a rien de négatif...
— Elle marque le début de la prolifération du virus libéral dans les sociétés occidentales, et est le terreau fertile d'idéologies mortifères telles que le droit-de-l'hommisme, le capitalisme libéral et son frère ennemi le marxisme. Elle est largement orchestrée par la Franc-Maçonnerie, une secte anticléricale qui œuvre pour la mort du monde chrétien. De plus, cet évènement jamais réclamé par le peuple n'a profité qu'à la bourgeoisie.
— Là t'exagères. Car même si la bourgeoisie et les intellectuels ont eu un rôle dans les évènements de 1789, le peuple y a aussi largement participé, motivé par la faim et un désir de mettre fin aux privilèges que la monarchie accordait aux nobles au détriment d'un peuple opprimé. De plus tu te trompes sur la Franc-Maçonnerie, elle a compté de nombreux chrétiens dans ses rangs, y compris des contre-révolutionnaires, et n'a quasiment pas influencé la Révolution. Au contraire, les Francs-Maçons ont été persécutés par la Terreur en 1793, quand la Révolution a pris un tournant socialiste. Puis 1789 a apporté du positif : abolition des anciens privilèges, liberté de conscience, liberté d'opinion, entrée du peuple dans la vie politique grâce au vote... Et que la bourgeoisie en ait profité, c'est bien possible, mais ça reste une évolution par rapport au monde d'avant...
Celle-là il ne l'a pas vue venir... J'ai appris certaines choses lors de mes longues séances de lecture.
— Pour le coup je te trouve bien naïf... La République – née avec la Révolution – n'admet la liberté d'opinion que quand elle va dans son sens... Puis je suis pas sûr que laisser le peuple voter était une bonne idée... Après tout, un capitaine de bateau ne demande pas l'avis à son équipage pour décider du cap à prendre. De la même manière, le peuple n'est pas apte à prendre les décisions, la preuve : ça fait quarante ans qu'il met au pouvoir des dirigeants qui mettent la France en ruines. La démocratie donne la possibilité à n'importe quel traître motivé par l'appât du gain de se faire élire. Puis les révolutions ont toujours été l'œuvre d'une élite éclairée, pas des masses lobotomisées...
— Même si le peuple peut parfois faire des mauvais choix, c'est moralement normal qu'il ait le droit de choisir...
— C'est pas ce que je pense. Tu sembles accorder une grande importance aux libertés individuelles. Or pour moi elles sont un poison, car elles placent l'individu au-dessus de toute notion transcendante telle que Dieu, la patrie, la communauté, la famille... Sauf qu'il n'est rien sans la collectivité. Et cet individu roi, n'étant plus soudé à un tout, se retrouve atomisé dans une société individualiste, matérialiste, où il n'a pas d'autre but que travailler, consommer et jouir. Une telle société produit des êtres instables, dépressifs, aliénés, sans racines, pour qui la consommation sert d'antidépresseur, pour qui le centre commercial sert de temple. Autrefois les gens se réunissaient autour de valeurs communes, se sentaient appartenir à une nation qu'ils défendaient quand elle était attaquée.
Je suis peut-être naïf, mais pas au point d'idéaliser un passé durant lequel un fils de paysan ne pouvait pas quitter la paysannerie. Aujourd'hui la mobilité sociale est compliquée mais possible...
— La liberté, pour moi, est une valeur essentielle. J'estime que chaque individu doit pouvoir croire en ce qu'il veut tant qu'il ne l'impose pas à autrui, choisir ses représentants même s'il le fait mal. Si le monde tend vers cet enfer que tu décris où l'individu n'est bon qu'à consommer et enrichir les puissants, la faute n'est pas à rejeter sur la liberté...
Les cinq heures approchent, je vais devoir rejoindre la gare sous peine de rater mon train. Il s'apprête à me répondre, d'un air consciencieux, presque contrarié.
— Ta conception individualiste te mène dans l'erreur... Je suis un peu plus vieux que toi, et moi aussi, à ton âge, j'accordais beaucoup d'importance à nos libertés individuelles qui ne sont que des libertés bourgeoises. Je fumais des joints, trouvais cool d'avoir un pote gay, soutenais les filles qui voulaient avorter, me moquais des cathos réacs de ma classe avec leurs pantalons beiges et leurs chèches autour du cou... Mais après le divorce de mes parents, j'ai fait une dépression. Et de cette dépression a découlé une introspection, une remise en cause du monde qui m'entoure. J'ai alors compris que cette liberté – un caprice d'Occidentaux aisés – n'apporte pas le bonheur, n'apporte rien de bon aux hommes. Trop de liberté pour le peuple entraîne sa chute, l'Empire Romain nous sert d'exemple.
Là il me touche. Lui c'est sa haine du monde qui le mène dans l'erreur.
— C'est cette introspection qui a fait de toi le militant que t'es aujourd'hui ?
— Oui mais pas que. C'est aussi mon vécu qui m'a poussé vers le nationalisme. Avoir grandi à Bron jusqu'à mes quatorze ans m'a forcément influencé. L'odeur des voitures brûlées qui remontaient jusqu'au balcon, les boîtes aux lettres défoncées, les poubelles balancées par les fenêtres, les allogènes qui dealaient en bas des tours, agressaient dans les écoles... Et pendant ce temps-là au collège : les petites bandes dessinées contre la xénophobie distribuées en cours d'éducation civique, les petits bourgeois qui distribuaient des tracts SOS Racisme en méprisant le prolo qui vote FN... Toute une ambiance qui m'a révélé le vrai visage de la France multiculturelle voulue par la gauche.
— Je peux comprendre... J'ai déjà vu des gamins d'origine étrangère intimider les gens dans la rue, les mépriser, parfois les agresser, mais j'en ai vu d'autres être exemplaires, travailleurs, et même, pour certains d'entre eux, avoir une haine farouche contre cette racaille qui salit l'image de leur communauté. En gros, il ne faut pas mettre tout le monde dans le même sac...
— Tu retombes encore une fois dans l'individualisme... Quand les Américains ont bombardé Dresde, ils se sont pas demandés si les victimes étaient toutes partisanes de Hitler. Ils ont tué hommes, femmes et enfants sans se préoccuper des amalgames, chaque Allemand était coupable.
La comparaison est douteuse, puis je n'ai rien d'un individualiste, je me préoccupe bien plus du sort d'autrui que la majorité de mes semblables, mais j'ai la flemme de lui expliquer, et l'heure tourne.
— Je tiens aussi à rajouter que mon combat pour le nationalisme n'est pas du qu'à une rancœur envers les immigrés. J'ai toujours été attiré par le Beau, le Grand, l'héroïsme, la transcendance, des valeurs défendues par mon camp. Or ce monde ne valorise que les médiocres. Le Laid est omniprésent. Puis la grandeur n'existe plus. Nos ancêtres mouraient sur des champs de bataille. Aujourd'hui on meurt à quatre-vingt ans d'un cancer du colon, abandonné dans une maison de retraite, après avoir bien suivi son petit plan de carrière, payé le crédit de sa maison, cotisé pour son assurance décès. Plus nous sommes libres, plus nous sommes médiocres. Nos ancêtres soi-disant opprimés en des temps dits obscurantistes ont bâti des cathédrales. Les hommes libres d'aujourd'hui n'ont construit que d'ignobles gratte-ciel et des lotissements. Ce monde uniformisé vers le bas, entièrement voué à la matière au détriment du spirituel, où tous les hommes se valent tels de vulgaires marchandises sorties d'une usine, me répugne, m'asphyxie. Il n'y a plus rien à découvrir dans ce monde qui semble être le dernier de l'Histoire. Nous vivons un âge sombre. Une époque perçue comme une fatalité sans issue. Conséquence de tout ça : les peuples se jettent dans un consumérisme abject, dans la drogue, l'alcool, la télé-réalité, ne savent plus s'émerveiller, méprisent l'Ordre et l'Honneur... Tu comprends donc que la liberté telle qu'elle est définie aujourd'hui ne représente rien à mes yeux, la seule liberté valable étant celle d'être un peuple ne vivant que par lui-même et pour lui-même, débarrassé de tout ce qui menace son intégrité et son indépendance...
Le tonnerre annonce un orage imminent. Mon interlocuteur aussi semble pressé par le temps, alors nous nous quittons, poliment et froidement. Encore une fois il me rappelle Guizmo, dans sa façon de s'accrocher à une vision du monde pour mieux appréhender sa vie. De premier abord, rien ne les relie, pourtant lui et Guizmo défendaient leurs idées irréconciliables avec le même naturel, la même force de conviction. Un fanatisme contenu les animait. Tous les deux ont soif de révolte, d'un monde plus juste selon leur conception de la justice, bien que leurs solutions antagoniques les divisent, les placent sur les deux points opposés de l'échiquier politique, les engagent ainsi dans une lutte destructrice, l'un contre l'autre. Et le monde, pendant ce temps-là, continue de tourner. Moi aussi je suis révolté, mais l’extrémisme m'a toujours paru contre-productif, même assez effrayant je dois dire... J'essaye simplement de changer le monde à mon niveau, dans mon quotidien, à défaut de le renverser brutalement, me méfiant des effets encore plus nocifs que pourrait amener un changement trop radical.
Le tonnerre gronde à nouveau. Le ciel déverse ses premières gouttes. Je poursuis la marche et quitte la rue de Condé pour rejoindre la gare. Cette place Carnot aux abords de la gare me rappelle des souvenirs avec Clotilde et son pote portugais. Ma première manif... C'était il y a trois ans. Je voyais Clotilde chaque semaine. Je ne savais pas encore dans quelle école j'allais étudier deux ans plus tard. Juliane n'existait pas dans mon esprit, elle n'était qu'une inconnue parmi d'autres dans un lycée de Saint-Genis-Laval. Le monde n'a pas tant changé depuis, des groupes de mendiants occupent toujours la place Carnot. Peut-être pas des mendiants mais certainement des sans-papiers. Ils s'abritent sous des arbres, leurs têtes enfoncées dans les capuches de leurs parkas. La pluie se densifie, des bourrasques secouent les feuillages, et je cours vers la gare, pressé de relire les derniers messages de Juliane, au sec sur une banquette...
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