86
J'attends depuis une heure, installé sur la terrasse d'un café de la rue d'Anse. Le ciel s'assombrissait à mon arrivée dans le bar. Maintenant il a atteint son plus haut potentiel de noirceur, accompagné d'une pleine lune frôlant l'horizon. C'est la première fois que j'en vois une de cette couleur, d'un roux flamboyant.
Ophélie est censée me rejoindre. Elle sort un peu plus depuis quelques temps, malgré ses craintes. On a prévu de fêter l'obtention de ma licence. C'est Ophélie qui tenait à la fêter, moi je n'avais pas le cœur à ça. J'ai quant même cédé, du coup on a prévu une tournée des bars. Elle sait que l'alcool et moi ça ne se passe bien qu'avec modération, mais elle a m'a promis qu'on ne finira pas trop tard, puis qu'elle ne fera pas d'excès vu qu'elle devra me ramener à Montmerle. J'ai appris récemment qu'elle a le permis de conduire. C'est en tout cas ce qu'elle m'a dit, de toute manière elle conduit très bien, je l'ai vu à l'œuvre l'autre jour. Son retard m'inquiète.
Le téléphone sonne. C'est Boris...
— Allô Florent ? J'ai un très mauvais pressentiment. C'est Ophélie... Je viens de passer par l'avenue de la Plage, celle qui longe la Saône vers le plan d'eau, et je l'ai vue se faire emmener de force par un mec à capuche !
— Hein ? Il ressemble à quoi le type ?
— Comme je t'ai dit il porte une capuche. Un sweat à capuche. J'ai pas plus de détails à cause de la nuit. Mais j'ai bien reconnu Ophélie.
— Ça peut être que Diego... T'as vu où il l'emmenait ?
— Ils passaient pas loin du camping, certainement pour rejoindre l'arrière du plan d'eau.
Je me trouve maintenant face au mur. C'est mon devoir d'y aller, quelles qu'en soient les conséquences. J'agirai du mieux possible à l'instant fatidique, quand je me retrouverai face à Diego.
— T'es toujours là Florent ?
— Oui oui je suis là ! Je me dépêche d'y aller, ça va me faire un peu de chemin...
— Tu veux pas qu'on appelle les flics ?
— Non ! Surtout pas. Ne me demande pas pourquoi, ce serait long à expliquer.
— Du coup tu fais quoi ?
— Bah j'y vais !
— Tu veux que j'aille te chercher en voiture ?
— Euh... Je veux bien mais ne te force pas, ça risque d'être dangereux.
— Je viens avec toi, je vais pas te laisser y aller tout seul...
— D'accord... Là j'ai déjà quitté le bar pendant qu'on se parlait, je vais bientôt passer devant la gare.
— Allez j'arrive !
Il a raccroché. Je ne le vois pas souvent mais Boris est resté un bon pote. Je n'ai jamais ressenti une telle peur, j'en ai même oublié de payer les consos. L'angoisse me tiraille dans le bas du ventre, un point de côté me pique sous le poumon, mon cœur palpite intensément, mes jambes flageolent et je contiens mes larmes. J'appréhende déjà le moment où nous allons atteindre le plan d'eau, à partir de là je peine à imaginer la suite des évènements. Je cours vers l'inconnu, un inconnu terrifiant, car cette nuit est peut-être la dernière...
Annotations