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    Rarement une balade en bord de Saône ne m'a été si nécessaire. J'étais au bord de l'explosion, l'ambiance à la maison m'étouffait. Je profite de la douceur d'une nuit d'été en dégustant une Leffe brune.

    Cette sortie nocturne me calme. J'ai toujours apprécié cette promenade en cette zone isolée, à l'opposé de la plage, dans un lieu paisible qui m'éloigne du quotidien le temps d'une balade. Un havre de paix, un genre de paradis. J'ai néanmoins conscience, comme à chaque fois, que c'est provisoire. Et je sais que mon désir de violence va monter crescendo. Je glisse dans une spirale infernale. Une spirale dans laquelle j'ai plongé il y a huit ans. Ça passe... C'était la fin du vingtième siècle. J'ai ouvert les yeux sur une partie de moi que je n'aurais jamais du regarder. Mon feu intérieur finira tôt ou tard de me consumer. Mais mon embrasement aura éclaboussé le monde de flammèches, ce sera ma consolation.

    Cette promenade près du plan d'eau a un goût différent des autres. Bien sûr grâce à la nuit qui me plonge dans un noir absolu. Rien n'éclaire mon chemin, pas même la pleine lune que je trouve très basse ce soir. Je sens l'herbe se froisser sous mes pas. J'entends couler la Saône, chanter les cygnes et striduler les criquets. Encore ce chant sifflant, toujours aussi intrigant. Et mes yeux ne voient que du noir, du noir partout, dans le ciel, sur la terre, partout autour de moi. Je me sens seul. Presque seul, car la nuit m'observe toujours. Assez seul pour assouvir mon insatiable besoin de réveiller ma part sombre. Et vu à quel point j'étais nerveux avant de sortir, je m'effraye à imaginer ce que pourrait être cette nouvelle manifestation, dans le cas où quelqu'un passerait dans ce coin isolé, chose peu probable...

    Qu'est-ce que c'est que ce bruit ? Ça chahute. J'entends deux ou trois voix... Plutôt deux... Un mec et une fille. La voix féminine ne m'est pas étrangère. Ça se passe là-bas, à l'arrière du plan d'eau. J'approche doucement. Le mec tient une lampe-torche, et met ainsi un peu de lumière sur cette scène étrange en cet endroit où jamais personne ne s'aventure de nuit. Il lève la lampe vers son visage durant une fraction de seconde. C'est fou ! Je crois reconnaître ce type, malgré sa capuche. Il était dans mon collège, puis faisait partie de cette bande qui accompagnait le mec que j'avais battu par un soir de Fête de la musique. Je n'ai jamais oublié ce regard glaçant.

    La fille geint, le supplie de ne pas la tuer. La lumière ne révèle que son corps. Le type vocifère, parle de trahison, lui répète qu'elle mérite la mort. Il tient sa lampe mais aussi un deuxième objet dans l'autre main, non identifiable dans l'obscurité. Je reste assez éloigné pour ne pas être visible. Ça brûle en moi, ça monte jusqu'à la gorge. Le destin m'offre ces deux personnes dans un lieu inattendu. Je ne peux pas rester inactif devant toutes ces conditions favorables : le lieu isolé, deux personnes, ma rage à évacuer. J'entends un clic. La fille pleure plus intensément, l'implore de ne pas faire ça. J'approche. Un grand frisson me traverse. J'aimerais jubiler, extérioriser ma transe, mais je dois encore rester discret, avant l'instant fatidique. Je ne m'appartiens plus vraiment, je me laisse guider, enivré par le champ stridulant des insectes, ce chant provenant de la verdure qui longe la Saône, que j'imagine sortir de la bouche d'un serpent tapi dans l'ombre, m'invitant à poursuivre mon chemin...

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