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— Regarde ! C'est Dany qui me l'a fait ! C'est réussi hein ?
Ophélie me montre un portrait d'elle, debout près d'une fenêtre. Je dois bien avouer que c'est bien exécuté, le coup de crayon est précis.
— Ouais... Pas mal...
— Je vais l'afficher dans ma chambre !
Fais en ce que tu veux... Sinon, pour une fois qu'une permission de sortie m'est accordée, j'aimerais faire participer Boris à cette promenade en vélo. Je suggère cette option à Ophélie.
— Oh non pas lui ! Il est moche !
Inutile d'insister sous peine d'avoir l'impression que deux groupes participent à une même sortie. Ophélie et moi chevauchons nos vélos et nous dirigeons vers les bords de Saône. Je me souviens de ma rencontre avec Ophélie, au centre aéré de Pommiers, il y a deux ans, peu de temps avant de rentrer en sixième. Elle boudait dans son coin, la tête dans les genoux. Une dispute entre filles, rien de bien méchant. Elles comparaient les voitures de leurs parents, et il s'avérait que ceux d'Ophélie roulaient dans une petite Renault 5, ce qui lui a valu les sarcasmes de ses copines. Je lui ai parlé, l'ai réconforté, et depuis ce jour on a passé du temps ensemble. D'abord pendant cette semaine en centre aéré, ensuite au collège, le hasard nous ayant placé dans la même classe. À part quand elle boude, je l'ai toujours vu souriante, enjouée, le rire franc. Enfin presque... Il lui arrive de déprimer, principalement pour des raisons amoureuses, mais la plupart du temps elle rayonne de vie.
Un rien l'amuse, comme là, maintenant, à s'émerveiller devant des cygnes flottant près de la bordure. Nous continuons de longer la Saône, dans une zone déserte à l'exception de deux pêcheurs assis sur leur tabouret de bois et d'osier. Ophélie se retourne et me sourit. Elle et moi sommes inséparables. On se soutient l'un et l'autre. On partage la même conception de l'amitié, malgré nos différences. Elle ne supporte pas la lecture, pas même une bande dessinée. J'ai lu tous les Chairs de poule, tous les Tintin, puis je m'attaque depuis peu à Tolkien et Stephen King. Elle écoute ses stars médiatiques diffusées sur les radios. J'aime ce qu'elle considère comme ringard, à savoir des vieilles cassettes de Depeche Mode, des vinyles des Stones ou encore des musiques de films, le tout emprunté à mon cousin ou à la bibliothèque.
On se chambre beaucoup au sujet de la musique, comme sur d'autres sujets cela dit. Mais toujours gentiment, sans accrochage. Ophélie ne me plantera jamais un coup dans le dos, et réciproquement, on se connaît depuis trop longtemps pour se trahir...
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