I

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D’une main, Kélima couvrit son visage. Sur le pas de la grande porte du château, elle grimaça. Entre les douloureux rayons du soleil qui lui brûlaient les yeux et la brise fraîche qui venait de lui effleurer les bras, elle songeait plus que jamais à retourner se coucher. Si d’ordinaire elle adorait sa balade matinale, sa courte nuit parsemée de cauchemars en tout genre lui donnait envie de se blottir sous sa couverture.

Pour ne pas perdre le peu de motivation qu’il lui restait, elle trottina vers le portail menant à la cité. Les soldats qui gardaient la sortie lui adressèrent un salut respectueux lorsqu’elle passa devant eux.

Kélima descendit la route pavée qui menait vers les premières maisons de Klairmonta, la plus grande cité des sorciers du pays de Saeit. Plus elle approchait, et plus elle pouvait entendre les sons enjoués des habitants. Chaque matin, depuis plus de cinquante ans, un marché se tenait sur la grande place de la ville. Et comme chaque matin, elle le traversait. Voir les étals remplis, les sourires joyeux et l’agitation lui apportait la bonne humeur dont elle avait besoin pour tenir le reste de la journée enfermée dans un château ennuyeux.

D’un pas plus léger qu’à son réveil, l’adolescente parcourut quelques rues avant d’arriver sur la grande place de Klairmonta. De nombreux marchands installaient des tables en bois qu’ils recouvraient de toutes sortes de marchandises. Des fruits et légumes à l’épée en passant par des jouets en bois, les habitants comme les voyageurs pouvaient trouver sans problème tout ce qu’ils désiraient.

Avec un sourire, Kélima traversa la place en jetant des coups d’œil aux étals. Elle respira l’air délicieusement parfumé par les effluves de pains et de viennoiseries qui s’échappaient des fours des boulangers. Sans attendre, elle se dirigea vers la table recouverte de bonnes choses à manger. Elle adressa un sourire au vendeur qui le lui rendit, accompagné d’une courbette.

— Qu’est-ce qui vous ferait plaisir ? demanda l’homme.

— Deux pains de pomme, s’il vous plaît.

Le vendeur attrapa deux pains fumants qu’il enroula dans un carré de tissu avant de le tendre à Kélima. Celle-ci s’en saisit d’une main avant de fouiller dans la poche de sa robe de l’autre.

— Trois Kârs, précisa l’homme.

Kélima sortit trois pièces d’argent décorées de roseaux et les donna au vendeur. Après un dernier sourire, elle s’éloigna et quitta la grande place. D’un pas assuré, elle se dirigea vers la sortie de la ville. Tandis qu’elle approchait, elle jeta un œil aux remparts. Visibles au-dessus des toits des maisons, ils brillaient au soleil comme s’ils étaient faits de pierres précieuses. Ces hauts murs, en pierre des montagnes, résistante à la magie, avaient été construits une vingtaine d’années auparavant, suite à une attaque de créatures ayant décimé près de la moitié des habitants de Klairmonta. Du moins, c’est ce que les cours d’Histoire avaient appris à Kélima. Celle-ci avait ri sous cape en songeant à ces remparts censés protéger la cité alors que le port, lui ne l’était pas. Cependant, avec le caractère de son professeur, elle s’était bien gardée de faire la moindre réflexion. Un frisson d’angoisse la parcourut en se rappelant le tout premier cours qu’elle avait suivi en arrivant au château. L’adolescente chassa ce souvenir en secouant la tête et soudain, un grand sourire fit son apparition sur son visage.

Elle se mit à courir vers l’immense porte en bois qui bloquait l’accès à Klairmonta. Un groupe de jeunes soldats s’en approchaient en chahutant. Quelques-uns se retournèrent en entendant les pas précipités et éclatèrent de rire en voyant la furie blonde foncer sur l’un d’entre eux.

— Oh ! s’écria le soldat sur lequel Kélima venait de sauter.

Sur son dos, elle lui entoura la taille de ses jambes. Tenant toujours ses viennoiseries dans une main, elle lui ébouriffa les cheveux de l’autre. L’homme tenta faiblement de se défendre en riant tandis que les autres soldats reprenaient leur chemin, hilares.

Lorsque enfin Kélima se décida à relâcher son emprise, il reprit le dessus et la chatouilla jusqu’aux larmes. S’écartant vivement de lui, elle tendit les bras devant elle pour l’empêcher d’approcher.

— Arrête, arrête, arrête ! s’exclama-t-elle à bout de souffle.

— C’est toi qui as commencé ! contra-t-il en recoiffant ses mèches blondes. Bon, alors, que me vaut la visite de notre « presque » princesse ?

— Très amusant Démerss, ironisa-t-elle. Moi qui venais te proposer quelque chose dont tu as toujours rêvé.

Le soldat lui arracha l’un des pains de pomme qu’elle tenait encore et mordit dedans.

— Eh ! Qui te dit que c’était pour toi ? s’écria-t-elle.

— Ch’était pas pour moi ? demanda-t-il la bouche pleine.

Kélima fit la moue et il retint un rire.

— Alors ? Pourquoi tu es là ? reprit Démerss.

— Tout d’abord, je veux aller faire un tour dans le bois, expliqua-t-elle. Mais, je voulais aussi te voir parce que… accroche-toi !

Le jeune homme plia les genoux et serra son pain entre ses mains.

— C’est bon, vas-y !

Kélima sourit avant de reprendre :

— Je connais ton plus grand rêve, à savoir, visiter le château. Je sais aussi que tu n’en as pas le droit, parce que tu es un soldat de grade trois et que tu n’es donc pas autorisé à franchir les portes de la cour principale. Mais ! Le bal de l’union est pour la semaine prochaine et apparemment il me faut un cavalier. Alors, bien évidemment, dans mon immense générosité, j’ai pensé à toi, le pauvre, pauvre soldat et j’ai demandé l’autorisation pour que tu sois mon cavalier.

Démerss posa la main sur son cœur avec une expression faussement émue.

— Alors là ! Tu es une personne en or, pas de doute. Moi le pauvre, pauvre soldat, je vais pouvoir entrer au château pour un bal. Un vrai bal ! Je ne sais pas quoi dire…

Il fit mine d’essuyer des larmes invisibles sur ses joues et Kélima lui donna une tape sur l’épaule.

— Hum, et si tu disais… Merci, Kélima, lui suggéra-t-elle.

— Merci… « presque » princesse, lui murmura Démerss avec un sourire provocateur.

Kélima plissa les yeux et il éclata de rire.

— Allez, ce n’est pas tout, mais moi j’ai du travail ! déclara-t-il en reprenant sa route, l’adolescente sur les talons.

— Je t’accompagne, je sors de toute façon, annonça-t-elle.

— C’est ce que j’ai cru comprendre. J’ai encore du mal à croire qu’il te laisse sortir comme ça sans surveillance.

Kélima haussa les épaules.

— Aucune idée, mais moi ça me va.

— Je veux bien te croire.

Lorsqu’ils arrivèrent devant la grande porte, Kélima fit de grands signes aux soldats, amis de Démerss, qui venaient de prendre leur poste.

— Tu ne devrais pas faire ça, la prévint son ami. Ils vont penser qu’ils ont une chance avec toi.

— Et alors ?

— Et alors, je sais bien que tu n’as d’yeux que pour moi, ce serait méchant de les laisser s’imaginer des choses.

Kélima secoua la tête en grimaçant et se dirigea vers la sortie de la cité.

— Eh ! l’appela Démerss.

Elle se retourna et attendit qu’il parle.

— Ton pain de pomme, tu vas le manger en entier ?

L’adolescente soupira bruyamment. Elle rompit le pain en deux avant de lui en lancer un bout.

— Merci !

Elle balaya ses remerciements d’un geste de la main et courut vers la porte. Les soldats firent moult courbettes et elle éclata de rire. Sortant de Klairmonta, elle avança sur la route et parcourut une vingtaine de mètres avant de bifurquer sur sa gauche. Elle se glissa entre les buissons, les arbres et les ronces en veillant à ne pas abîmer sa robe. Ses demoiselles de compagnie ne lui pardonneraient pas de devoir jeter d’autres vêtements à cause de ses envies d’aventures. Dans le sous-bois, elle avançait avec aisance. L’abri que formaient les branches était réconfortant. Comme une cachette secrète où elle pouvait être en sécurité.

Elle s’enfonça plus profondément entre les arbres et arriva enfin dans une petite clairière fleurie. L’herbe humide tacha le bas de sa robe aussi colorée que le tapis de fleurs. Elle la souleva, la remonta jusqu’au-dessus de ses genoux et fit un nœud pour l’empêcher de redescendre. Elle retira ses chaussures et les tint dans sa main libre. Avec un grand sourire, elle s’élança dans la clairière. Courant à vive allure et pieds nus, elle manqua de tomber à plusieurs reprises, mais elle s’en moquait. La sensation de liberté que lui procurait l’exercice valait bien une chute ou deux. Même si, le bras levé, elle préservait la moitié de pain de pomme qu’il lui restait.

Lorsque Kélima s’arrêta de courir, le souffle court, elle se laissa tomber sur l’herbe tendre et confortable. Ses boucles blondes s’étalèrent et s’emmêlèrent avec les tiges des fleurs. Des abeilles bourdonnaient à côté d’elle et elle sourit lorsque l’une d’entre elles vint tourner autour de sa viennoiserie. Elle la chassa doucement de la main et mordit dans le pain moelleux. Le bon goût de la pomme et du romarin emplit sa bouche. Elle ne put retenir un bruit de contentement tandis qu’elle avalait son premier repas de la journée. Elle en savoura chaque bouchée. Lorsqu’elle eut terminé, elle lâcha un juron en songeant à la moitié qu’elle avait cédée à Démerss.

Des oiseaux se chamaillant lui firent tourner la tête et elle les observa tandis qu’ils s’envolaient. Lorsqu’ils disparurent de son champ de vision, elle ferma les yeux et se laissa bercer par les sons du vent, des insectes et des animaux et le bruit des vagues qu’elle entendait se jeter contre les rochers de l’autre côté du bois. Rien ne pourrait venir briser sa tranquillité.

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