IV

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Assise sur son lit, Kélima tentait avec difficulté de retrouver son souffle. Le corps humide de sueur, les yeux écarquillés et le pouls rapide, l’adolescente gardait une main sur le cœur tandis qu’une autre s’appuyait sur son front. Les images terrifiantes de son cauchemar défilaient dans son esprit encore embrumé par le sommeil.

Des mains glacées attrapant ses bras et ses jambes, une cellule sombre aux barreaux de métal brûlants et ensanglantés, le visage d’un homme. Ses yeux remplis d’une méchanceté sans limite, sa bouche couverte de sang.

Kélima se leva et se dirigea vers la baignoire. Elle ouvrit le robinet de cuivre et laissa couler l’eau sans se soucier de l’heure tardive. Une fois l’immense vasque de marbre suffisamment remplie, l’adolescente entra, sans même se donner la peine d’enlever le pyjama de soie qu’elle portait. L’esprit encore perdu dans sa terreur nocturne, elle s’allongea et plongea la tête sous l’eau. Se forçant à l’apnée, son visage prit rapidement une teinte rouge avant de virer bleue à mesure que le besoin d’oxygène grandissait. Sentant sa détermination la quitter, elle lutta contre le désir de respirer et se maintint sous l’eau.

« KÉLIMA ! »

Remontant à la surface, Kélima ouvrit les yeux instantanément. Par réflexe, elle inspira profondément. Une brûlure lui meurtrit la gorge, mais la douleur qui survint quand l’air arriva jusqu’à ses poumons fut bien plus terrible. Lorsqu’enfin la sensation s’atténua, celle-ci laissa place à une incontrôlable nausée. Un goût métallique s’insinua sur la langue de l’adolescente qui s’aperçut qu’elle s’était mordu la lèvre. Un filet de sang glissa le long de son menton et Kélima l’essuya du revers de sa main. Elle tenta de s’extirper de la baignoire, mais glissa en posant son premier pied au sol. Atterrissant avec dureté sur le carrelage qui entourait le bain, elle sentit des larmes s’ajouter aux gouttes ruisselantes sur son visage. Elle jeta un œil apeuré autour d’elle, mais la pièce était vide. Elle était pourtant certaine d’avoir entendu quelqu’un crier son nom.

Reprenant enfin ses esprits, Kélima réalisa ce qu’elle avait failli faire. Ses larmes redoublèrent dans un sanglot bruyant. Elle se leva et s’éloigna en titubant de la baignoire. La gorge serrée, ses jambes la portant à peine et ses bras serrant sa poitrine, elle se dirigea vers la fenêtre. Elle tendit une main et l’ouvrit à la volée. Elle se précipita sur le balcon et l’air frais de la nuit sur son visage eut l’effet escompté. Sa respiration se calma et lentement Kélima s’apaisa. S’adossant à la rambarde, elle se laissa glisser sur le sol et prit une grande respiration.

Le reste de la nuit de Kélima ne fut qu’un sommeil peu réparateur entrecoupé de réveils en sursaut. Chaque fois que ses yeux s’ouvraient, elle tentait de contenir ses larmes en espérant que les images de ses cauchemars disparaissent de sa mémoire. L’adolescente n’avait pas ressenti une telle angoisse depuis près de deux ans. Même si les souvenirs douloureux n’étaient jamais loin, l’adolescente n’aurait jamais pensé y faire face à nouveau avec une telle violence.

Au matin, Kélima n’alla pas prendre son petit-déjeuner. Ce n’est que pour son cours de maîtrise de son don qu’elle se décida à quitter sa chambre. Après une matinée à tenter de faire apparaître des objets en tous genres, ses angoisses ne s’étaient toujours pas atténuées. À l’heure du repas, lorsque Kélima fit face à Malika Amendi, elle se sentit honteuse. Elle fut toutefois soulagée de voir que la lady ne mentionna pas une seule fois son comportement de la veille. La femme ne lui accorda d’ailleurs pas un mot. Le roi, lui, s’inquiéta de ne pas l’avoir vu au petit-déjeuner.

— Je… Fatiguée… marmonna vaguement l’adolescente en baissant la tête.

Relevant les yeux pour apercevoir la réaction de son père, elle croisa le regard de Camélys. Les yeux rivés sur elle, elle fronçait les sourcils d’un air tourmenté. Kélima l’interrogea du regard, mais sa jeune sœur recommença à manger sans y répondre.

Durant l’après-midi, Kélima tenta de se reposer, mais ses pensées toujours engluées dans son cauchemar, elle n’y parvint qu’à peine. Elle se rendit d’un pas traînant à son cours de défense. Comme la veille, Maricaus paraissait sur les nerfs. Lorsque l’adolescente le questionna, il se montra sur la défensive avant de déclarer brusquement que le cours était terminé. Peu désireuse de reproduire le schéma de la veille, la princesse rentra au château rapidement. Elle prit le temps d’aller à sa chambre se changer avant de rejoindre sa sœur qui l’attendait en bas des escaliers pour se rendre au cours de bienséance.

Camélys se plaignit durant tout le trajet vers la salle de cours. Les lamentations, qui étaient devenues plus qu’agaçantes pour toutes personnes que les deux princesses croisaient, calmaient étrangement Kélima. Pour elle, les jérémiades de sa sœur étaient devenues habituelles et réconfortantes. La tension, présente depuis son cauchemar, commençait à s'estomper, et même s’il restait encore quelques traces de sa nuit agitée, Kélima décida de faire abstraction et focalisa toute son attention sur Camélys.

Arrivant enfin devant la pièce où avaient lieu la plupart de leurs cours, Camélys souffla d’agacement. Dérterus, le conseiller, les attendait en tapant du pied.

— Mesdemoiselles, vous allez devoir travailler dur ! s’exclama-t-il tandis que les deux sœurs entraient. Le bal de l’union permet aux différentes espèces de se réunir pour s’amuser, mais avant tout pour garantir, par les festivités, l’entente entre nos peuples. elfes, humains et bien entendu notre espèce, les sorciers, seront présents. Par conséquent, tout doit être parfait et vous devrez être absolument présentables, charmantes, souriantes et chaleureuses avec chacun des convives même si vous n’en avez aucune envie.

Son regard resta appuyé longuement sur Kélima et l’intéressée fronça légèrement les sourcils.

— Excusez-moi… Mais vous êtes conseiller non, pourquoi est-ce vous qui nous donnez ces cours ?

Camélys venait de s’exprimer en souriant avec un air totalement innocent.

« L’innocence d’un serpent. » pensa Kélima alors qu’un léger sourire s’installait sur ses lèvres.

— La raison pour laquelle personne n’a souhaité vous apprendre la bienséance, c’est parce que personne ne veut donner ce cours à une capricieuse.

— Oh ! Vous me faites tellement de peine…

Des larmes se formèrent dans les yeux de Camélys.

— Ce n’est même pas la peine d’essayer ! s’exclama-t-il. Je ne me ferais pas avoir par des larmes aussi peu crédibles. Asseyez-vous et taisez-vous !

— Je suis votre princesse ! Ne me parlez pas sur ce ton, répliqua la jeune fille en essuyant les larmes de crocodile qui commençaient à perler de son menton.

— Princesse, princesse… Enfant gâtée, oui ! maugréa-t-il en leur tournant le dos.

Kélima se retint de rire. Les joutes entre le conseiller et sa sœur étaient toujours divertissantes.

— Bien, je vous demande de vous concentrer, reprit-il rapidement comme si rien ne s’était passé. Nous allons d’abord revoir la démarche, mademoiselle Kélima, vous ne la maîtrisez absolument pas et vous, mademoiselle Camélys, vous vous êtes relâchée. Votre dos n’est plus droit et vous marchez trop vite. Vous suivez l’allure de votre sœur et ce n’est pas tolérable.

Camélys attendit qu’il ait de nouveau le dos tourné pour lui faire une grimace.

— Jeunes filles, levez-vous. Positionnez-vous et faites quelques pas, ordonna Dérterus.

Les deux sœurs s’exécutèrent en silence.

— Mademoiselle Kélima, vous devez impérativement garder votre menton vers le haut et même si vous n’en avez pas envie vous devrez sourire aux personnes présentes, expliqua le conseiller.

Il se tourna ensuite vers Camélys.

— Quant à vous, je vous l’ai dit, ralentissez votre allure et maintenez votre dos bien droit. Concernant l’attitude, comme je l’ai mentionné sourire est essentiel. Vous incarnez la descendance, le futur du roi et du continent, en souriant vous montrez un avenir radieux pour tous. Les nobles autant que la population, déclara-t-il avec sérieux.

Kélima eut un haut-le-cœur, mais garda pour elle ses sombres pensées. Elle acquiesça d’un faux sourire entendu en hochant la tête et après l’assentiment de Camélys, le conseiller Dérterus sembla satisfait.

Il leur fit travailler leur démarche ainsi que leurs expressions du visage et leur demanda même d’améliorer leur manière de pencher la tête pour saluer. Un exercice qui fit soupirer Kélima à de nombreuses reprises. L’idiotie de la noblesse lui donnait la nausée.

— Mesdemoiselles, s’annonça une voix douce.

Les deux sœurs, qui sortaient à peine du cours de bienséance, furent surprises de voir Malika Amendi attendre à l’entrée de la salle.

— Bonjour, lady Amendi, la salua Camélys en penchant exagérément la tête sous le regard agacé de Dérterus.

Kélima quant à elle resta muette, ne sachant comment s’adresser à la femme après leur altercation de la veille.

— Kélima ? l’interpella Malika.

— Hum… Oui ? marmonna Kélima.

Le conseiller Dérterus eut une moue désapprobatrice face à cette réponse, mais trop préoccupée l’adolescente ne s’en aperçut même pas.

— Je souhaiterais te parler et en privé. Si cela ne te dérange pas bien évidemment, la sollicita Malika.

Kélima la dévisagea quelques secondes.

— D’accord…

La jeune fille entendit Dérterus pousser un soupir excédé.

— Je veux dire, bien entendu, se reprit-elle plus convenablement.

— Bien, je te suis, lui dit la lady en souriant.

Kélima prit la direction de sa chambre suivie de Malika. Arrivée devant la porte, elle laissa la femme entrer la première. Celle-ci s’assit sur le lit de l’adolescente en souriant tendrement.

— C’est étrange, je ne t’imaginais pas dans ce genre de chambre, lui confia Malika.

Kélima ne répondit pas. Elles se dévisagèrent pendant quelques secondes avant que la lady ne reprenne la parole.

— Je voulais te présenter mes excuses pour mon indiscrétion d’hier, commença-t-elle. Parler de ton passé n’était pas une chose à faire et je n’aurais jamais dû me le permettre. Cela ne concerne que toi et je ne me mêlerai plus de ta vie. Peut-on reprendre juste avant ce malheureux passage ?

Kélima passa nerveusement une main dans ses cheveux. L’étrange sentiment que l’adolescente éprouvait en sa présence la mettait mal à l’aise. Elle ne voulait plus parler de l’incident, elle ne voulait même plus que cette femme ne lui adresse ne serait-ce qu’un mot. Elle retint de justesse une grimace et soupira légèrement. Kélima n’avait pas particulièrement envie de s’excuser. Cependant, elle avait bien conscience que son attitude de la veille était inacceptable. Malika Amendi avait été gentille de ne pas lui en tenir rigueur et l’adolescente ne comptait pas tout gâcher avec l’invitée d’honneur de son père, aussi décida-t-elle de prendre sur elle-même.

— Je… Je vous présente mes excuses également, se força-t-elle à dire. Vous avez voulu vous montrer compatissante et j’ai réagi de manière plus qu’excessive.

— Nous recommençons depuis le début ? demanda la lady.

— Oui, se résigna Kélima.

— Parfait, s’exclama Malika avec un sourire ravi. Je souhaiterais maintenant te proposer une sortie pour apprendre à mieux nous connaître. Que dirais-tu d’aller en ville ?

Kélima lui jeta un œil circonspect.

— Avec plaisir, accepta-t-elle en tentant de cacher sa réserve.

En marchant, Kélima observait Malika. Elle fit plus attention à son visage, à son attitude. Quelque chose avait changé. Quelque chose qui renforçait le sentiment de déjà-vu de l’adolescente. La robe beige à bretelles, d’une simplicité étonnante pour le rang de celle qui la portait, aurait pu faire passer la femme pour une simple habitante de la cité. Ses cheveux blonds rayonnaient au soleil comme des volutes de fumée dorée se mouvant sur ses épaules dénudées. Ses yeux, si tristes au château, s’illuminaient à chaque étal de marchand. C’est alors que Kélima remarqua un détail inattendu. Aucun de ses gestes n’était « noble ». Ses mouvements si gracieux devant le roi avaient disparu. Et désormais, Kélima pouvait presque se reconnaître en elle. Son attitude mensongère pour se conformer à un monde qui n’était pas le sien.

— Vous n’êtes pas noble de naissance, laissa soudain échapper l’adolescente.

La lady se tourna vers elle, surprise.

— Je… Euh je ne voulais pas vous manquer de respect, s’excusa Kélima mal à l’aise.

— Tu ne l’as pas fait, la rassura Malika. Effectivement, je ne suis pas née chez les nobles. J’en ai épousé un.

Elles continuèrent d’avancer durant plusieurs minutes sans prononcer un seul mot, laissant le soin aux habitants de Klairmonta de combler le silence.

— Vous l’aimez ? demanda soudain Kélima qui regretta instantanément de ne pas savoir maîtriser sa curiosité.

La femme continua de marcher silencieusement et après d’interminables secondes, prit la parole d’une voix douce, mais empreinte d’une certaine tristesse.

— Non, je ne suis pas amoureuse de l’homme que j’ai épousé. J’ai pris cette décision dans une mauvaise période de ma vie et je la regrette chaque jour. J’ai bien sûr une très belle vie, mais parfois je me demande… Et si… tout s’était passé autrement.

— Moi aussi…

Malika lui sourit tendrement.

— Parfois, je me demande ce qui se serait passé si… murmura Kélima.

La princesse cligna plusieurs fois des yeux et se ressaisit. Elle se rendit compte qu’elles avaient arrêté de marcher et se remit en route. La lady la suivit et Kélima fut soulagée qu’elle ne lui demande pas de finir sa phrase.

— Magnifique !

La jeune fille leva la tête en entendant l’exclamation. Malika regardait avec émerveillement l’immense fontaine au centre de la place de la ville. Dans une sorte de marbre blanc aux reflets argentés, elle représentait le légendaire dragon de cristal. Sa gueule ouverte crachant des jets d’eau translucide, elle faisait un peu moins de vingt mètres de diamètre et près de dix-sept mètres de hauteur.

— Cette fontaine est splendide. On ne m’avait pas menti, c’est une véritable merveille, s’extasia Malika.

— C’est l’œuvre de Parcles Dermin, raconta Kélima. Le roi Arthes IV lui a demandé de créer quelque chose capable de faire s’ébahir n’importe qui. Quelque chose qui représenterait parfaitement Saeit, Klairmonta et le peuple.

— Je crois bien que c’est réussi, murmura la lady toujours subjuguée par la fontaine.

Elle la fixa quelques instants avant de se tourner vers Kélima.

— On m’a parlé de tes talents, mais pas de celui-là. Tu sembles douée en Histoire. Tu aimes ça ? demanda Malika.

— Pas vraiment, mais j’ai une bonne mémoire donc je retiens beaucoup de choses, expliqua l’adolescente.

— Et si tu me parlais du dragon, demanda soudain Malika.

— Il s’agit plus d’une légende que de l’Histoire. Vous ne la connaissez pas ?

— Si bien sûr, mais comme chacun à sa propre version… Je crois que j’aimerais entendre la tienne.

Kélima hésita avant de commencer. La lady se dirigea vers la fontaine et s’assit sur le rebord avant de tapoter la place à côté d’elle pour inviter la jeune fille à la rejoindre. La princesse s’exécuta et s’installa à distance raisonnable.

— Je t’écoute, l’incita Malika.

— Hum et bien… commença Kélima d’une voix tremblante. On dit qu’il y a environ trois mille ans, alors que les sorciers n’existaient pas encore, le continent de Basïan était dirigé par les créatures et les mages. Ces êtres en majorité malfaisants détruisaient tout. Les forêts, les villages et même les montagnes. Les humains, qui subissaient sans cesse les crimes de ces monstres, en eurent assez et tentèrent de se rebeller. Malheureusement, l’absence de magie les condamnait à rester sous la coupe des créatures. Ils essayèrent alors d’obtenir le soutien des elfes cependant, malgré leur volonté d’aider, leur pacifisme les empêchait de tuer. Désespérés, les humains décidèrent de se tourner vers les dragons qui vivaient autrefois sur le continent de Migrâr, aujourd’hui disparu.

Concentrée, Kélima tentait de réciter avec exactitude ce qu’elle savait de la légende.

— Les dragons étaient les êtres les plus puissants. Ils possédaient des pouvoirs incroyables, mais n’appréciaient pas vraiment les humains. Ils refusèrent de les aider. C’est après les supplications d’un homme que le dragon de cristal prit en pitié l’humanité. Il sacrifia une partie de sa magie pour l’offrir à près de la moitié des humains. De nombreux dons virent le jour chez eux, créant ainsi la race des sorciers.

« Accompagnés des elfes et des humains restants, ils combattirent ardemment ces êtres dévastateurs. Ils n’obtinrent pas le génocide qu’ils avaient tant souhaité, mais ils parvinrent à les repousser sur le continent voisin, Zaïrim. Le continent de Basïan, sauvé de la tyrannie des mages et des créatures, fut réparti entre les elfes, les sorciers et les Humains restants. Chez les sorciers, un roi fut choisi et sa descendance gouverne encore aujourd’hui sur la totalité du continent. Si l’on excepte bien entendu les elfes qui n’ont jamais voulu se conformer et qui ont opté pour l’exil dans les montagnes.

La lady sourit.

— Ma version est différente, lui dit-elle. De peu de chose, mais différente. Qui te l’a raconté ?

— Mon père, murmura Kélima.

— Ah, c’est la version du roi alors ? demanda-t-elle.

— Non, souffla la jeune fille.

Malika observa tristement le visage de Kélima s’assombrir subitement.

— Et bien en tout cas, je t’ai découvert un autre talent, s’exclama-t-elle.

L’adolescente leva des yeux interrogateurs vers la lady.

— Tu es une incroyable conteuse, dit-elle en souriant. Dis-moi, que penses-tu de cette histoire ?

— Je n’y crois pas, affirma Kélima.

— Pour quelle raison ? l’interrogea Malika.

— Je n’ai jamais vu de dragons, déclara l’adolescente très sérieuse.

Malika lui jeta un œil amusé, mais n’ajouta rien. Kélima, elle, restait de marbre. Soudain, un sourire ravi détendit ses traits. La femme l’observa curieusement et suivit son regard. Un jeune homme approchait.

— Bonjour, presque princesse, s’exclama-t-il en s’inclinant, un sourire aux lèvres.

— Démerss ! s’exclama-t-elle en se levant à son arrivée.

Kélima remarqua qu’il ne portait pas son uniforme, signe qu’il avait terminé son service.

— Comment va ma presque princesse préférée ? demanda Démerss en lui ébouriffant les cheveux.

— Bien ! répondit-elle, sa bonne humeur retrouvée.

— Parfait, déclara le jeune homme tout sourire.

Il tourna la tête vers Malika et Kélima reprit conscience de la présence de la femme à leur côté. L’adolescente se rassit lentement.

— Démerss, je te présente lady Amendi. Elle est l’invitée…

Kélima fit une pause en fronçant les sourcils.

— L’invitée d’honneur au bal de l’union, se reprit-elle.

— Ravie de vous rencontrer, le salua Malika.

Démerss dévisagea la lady en silence, avec une expression que la princesse ne parvint pas à identifier.

— Moi de même, répondit-il finalement.

Le jeune homme se tourna vers Kélima.

— Tu n’es pas venue hier, dit-il sur un faux ton de reproche.

— J’ai des cours de bienséance toute la semaine, lui expliqua-t-elle en faisant une moue désolée. Je crois que je ne te verrai pas très souvent…

— Ne fais pas cette tête presque princesse, la rassura Démerss. On trouvera un moment et on se verra au bal dans tous les cas.

Il lui fit un clin d’œil qui la fit sourire.

— Kélima ? les interrompit Malika qui s’était levée.

— Oui, lady ? l’interrogea la jeune fille.

Malika haussa un sourcil à l’entente de son titre, mais ne releva pas.

— Il se fait tard, nous devons rentrer ou votre père va s’inquiéter, annonça-t-elle.

— Oh, oui bien sûr, acquiesça Kélima en se levant.

Après un dernier signe à Démerss, elle se dirigea vers le château, suivie de Malika.

Alors qu’elles arrivaient aux portes de la cour principale, Kélima se décida à poser la question qui lui brûlait les lèvres.

— Si je peux me permettre, pour quelle raison êtes-vous l’invitée d’honneur du bal ?

— Étant donné que ton père ne t’en a pas parlé, je ne suis pas sûre d’être en droit de te le dire, répondit Malika.

— Je vois, murmura Kélima en penchant la tête sur le côté.

— Sauf si, bien sûr, tu sais garder un secret, ajouta la femme en souriant.

— Je sais ! s’exclama l’adolescente un peu trop rapidement. Je… Je veux dire, je sais garder des secrets, vous pouvez me faire confiance.

Malika éclata de rire, d’un rire délicat. Effectivement, dès le retour au château, elle avait repris son attitude noble et cela s’entendait même dans son rire.

— Bien ! Si tu t’intéresses un minimum aux questions politiques et économiques, tu dois savoir que lord Amendi, mon mari, est le possesseur de nombreuses terres de culture. Il est le principal fournisseur pour les exportations vers les cités elfiques et humaines. Cependant, de ce que je sais, ton père et lui ont eu un désaccord plutôt important.

— Quel genre de désaccord ? questionna Kélima.

— Ça, je ne le sais malheureusement pas. On me tient souvent en dehors des affaires importantes. Toutefois, je sais une chose. Si le roi n’a plus son fournisseur principal, le pays de Saeit va perdre beaucoup d’argent et principalement la ville de Klairmonta qui ne compte aucun paysan. Le temps de trouver un autre fournisseur, les elfes et les humains ne l’ont pas, par conséquent ils continueront de faire appel à mon mari en laissant notre pays s’effondrer.

— L’exportation est si importante que ça ?

— Notre économie, et je dirais même toute notre société, repose sur l’exportation. Elle fournit le plus gros revenu du pays, elle permet au peuple d’avoir le moins d’impôts possible. Si le pays perd de l’argent, ton père sera obligé de mettre des taxes supplémentaires pour permettre la rénovation des routes, des bâtiments publics et bien d’autres choses.

— Mais quel rapport avec le bal ? demanda l’adolescente perplexe.

— Et bien, au bal, des elfes et des humains seront présents. Je pense que ton père souhaite trouver une solution en ayant tout le monde réuni. Cependant, mon mari est particulièrement malade depuis plusieurs mois, c’est donc moi qui le représente. Il m’a donné des consignes sur les conditions que je dois exposer au roi pour trouver ainsi un accord viable qui satisfera tout le monde.

— Donc c’est très important, murmura Kélima pensive.

— Effectivement, confirma Malika.

— Quelles conditions lord Amendi demande-t-il ? interrogea une nouvelle fois la jeune fille.

— Je ne suis autorisée à en parler qu’au Roi, répondit la lady en secouant la tête, pourtant elle ajouta : cependant… Je te fais confiance.

Kélima observa les yeux de Malika qui avait pris une étrange expression.

— Ce sont des conditions classiques. Un droit de regard sur chacun des exports, une partie des récoltes pour ses ventes personnelles et un pourcentage plus élevé qu’auparavant sur l’argent obtenu.

— Cela ne risque pas de faire augmenter le coût des légumes et céréales ?

— Si, c’est pour cela que la discussion se fera dans la bonne humeur, en présence des représentants elfiques et humains, lors du bal.

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