III

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Kélima, peu pressée, retournait au château avec la lenteur d’un escargot. Elle traversait les jardins en sens inverse, tout en regardant le soleil disparaître à l’horizon, quand elle croisa Malika Amendi. La lady admirait les fleurs dans la partie du jardin interdite d’accès. À seulement quelques mètres de la femme, Kélima en profita pour l’observer plus en détail. Les cheveux blonds de la femme descendaient en cascades de boucles jusqu’à la moitié de son dos. D’un geste incontrôlé, Kélima passa sa main dans ses propres boucles, bien plus courtes, mais d’une couleur presque identique. Elle garda les yeux rivés sur Malika, qui caressait doucement les fleurs. Ses gestes d’une souplesse et d’une douceur sans pareilles réveillèrent le sentiment de déjà-vu de leur première rencontre. Kélima fronça les sourcils, cherchant d’où pouvait venir cette étrange sensation. Se souvenant finalement du regard si soudainement haineux de la lady, elle tenta d’apercevoir ses yeux. Qu’est-ce qui pouvait la pousser à détester autant la famille royale. Certes ce n’était pas le roi le plus qualifié, elle en savait quelque chose, mais de là à le haïr. Soudain, Malika leva la tête. Comme prise en flagrant délit, l’adolescente baissa la sienne en rougissant.

— Kélima ? C’est bien ça, je ne me trompe pas ? demanda la lady d’une voix douce.

— Non, vous ne vous trompez pas Lady Amendi, acquiesça Kélima en relevant la tête.

— Oh là, là, pas de « lady » entre nous ! Appelle-moi Malika !

— D’accord… murmura l’adolescente d’une voix hésitante.

Malika s’approcha d’une fleur haute de presque cinquante centimètres. Elle observa, sous toutes les coutures, les larges pétales de couleur bleue aux reflets verts, puis sourit en se tournant vers Kélima.

— Sais-tu quelle est cette fleur ? l’interrogea-t-elle.

— Une Calystéa, répondit Kélima.

— Exact. Cette fleur est incroyable. Tu ne trouves pas ? continua la lady.

— Oui, mais j’ai interdiction de l’approcher, l’informa Kélima.

— Heureusement ! s’exclama Malika. Cette fleur est justement incroyable pour cette raison. Sa beauté pousse les gens à la cultiver alors qu’elle est non seulement recouverte d’épines, mais qu’en plus ses épines sont empoisonnées et à peine visibles. Bien entendu, il y a des traitements, mais il faut être rapide sinon c’est la mort assurée.

— Je trouve stupide de vouloir la cultiver alors qu’elle est dangereuse, déclara Kélima en fronçant les sourcils.

— Les gens aiment le danger depuis toujours, murmura la femme d’un air amusé en approchant son doigt de la fleur.

— Qu’est-ce que vous faites ? s’inquiéta Kélima.

Du bout d’un ongle long et parfaitement entretenu, elle effleura l’un des pétales. Un souffle glacé traversa Kélima et se dirigea vers la fleur. Le pétale se mit à trembler et en l’espace de seulement quelques secondes, il gela. Le givre brûlant de froid s’étendit et Malika assena une simple pichenette qui brisa en milliers de morceaux le pétale bleu.

— Vous… Vous êtes une Geleuse, réalisa Kélima.

La jeune fille avait entendu parler de ce don. Possédant une capacité « cousine » des élémentaux – maîtres des éléments –, les geleurs avaient la faculté de condenser l’humidité présente naturellement dans l’air puis de la refroidir à des températures extrêmes.

— Oui, lui répondit Malika en souriant devant la mine stupéfaite de Kélima. Toi, tu es une Créatrice d’après ce que j’ai entendu. Créer des objets et les faire apparaître dans tes mains, un pouvoir plutôt rare et très utile. Il paraît que tu as appris très vite. Personne ne tarit d’éloges à ton sujet dans ce Château.

— Ah oui ? s’étonna l’adolescente.

— Oui et d’ailleurs je t’ai vu t’entraîner au combat tout à l’heure, l’informa la lady.

— Vous ne deviez pas assister au cours d’équitation de Camélys ?

— Si, ce que j’ai fait. J’ai ensuite décidé de visiter un peu les jardins et je t’ai vu. Tu t’entraînais dur.

— Oui, je… voulais savoir me défendre, j’ai donc demandé à mon pè… au Roi, de me trouver un professeur quand il m’a recueillie, expliqua Kélima.

— Ta vie n’a pas dû être facile tous les jours, murmura Malika avec une pointe de tristesse dans la voix.

Le visage de Kélima se ferma.

— Que voulez-vous dire ? demanda-t-elle la mâchoire serrée.

— Si tu as souhaité apprendre à te défendre, c’est que tu as vécu un évènement qui t’y pousse, non ? Je pense savoir ce que tu as pu traverser et j’imagine que tu as eu besoin d’un sentiment de contrôle.

Une douleur sourde se logea dans la poitrine de la jeune fille.

— J’ai souhaité apprendre pour mes raisons qui n’ont rien à voir avec mon passé. Passé qui ne regarde que moi et dont je ne parlerai pas avec une inconnue, s’emporta-t-elle.

Kélima sentit ses yeux la piquer alors que sa vue commençait à se brouiller. Elle détestait par-dessus tout qu’on lui parle de son passé et encore moins quand une personne pensait la connaître et pensait prétendre savoir ce qu’elle avait vécu. Sans pouvoir se contrôler, l’adolescente laissa la colère parler.

— Vous ne me connaissez pas, vous ne connaissez pas mon passé. Je vous demanderai de ne pas me parler à l’avenir si c’est pour exprimer une quelconque pitié ou même de la compassion alors que vous ne savez rien, absolument rien.

Sur ces mots, elle fit volte-face et partit en courant.

— Kélima ! l’appela Malika.

La voix de la femme retentit derrière elle, mais elle ne s’arrêta qu’une fois à l’intérieur du château. Elle prit une profonde inspiration, se précipita dans les escaliers et s’engouffra dans sa chambre. Une fois à l’abri des regards, les larmes coulèrent sur ses joues. L’adolescente attrapa la première chose à porter de main, un vase et le jeta de toutes ses forces contre le mur. En entendant la porcelaine se briser et s’éparpiller sur le sol carrelé, sa colère s’apaisa. La jeune fille cessa d’entendre le bourdonnement dans ses oreilles et les battements de son cœur ralentirent. Les larmes, elles, continuèrent de couler.

Elles avaient recommencé. Ces crises, qui survenaient lorsque l’on parlait de son passé, de ce qui lui était arrivé avant d’être adoptée. Ses pensées se bousculaient. Elle voulait oublier, ne plus y penser. Et surtout, que personne ne mentionne plus jamais qu’elle avait un passé.

Kélima se dirigea vers sa coiffeuse et s’assit en regardant le miroir, des bruits de pas rapides se firent entendre. Elle essuya rapidement ses joues humides du revers de la main. Une femme entra à la volée suivie d’un garde.

— Mademoiselle Kélima ? Vous allez bien ? demanda la femme en s’agenouillant près d’elle.

— Que s’est-il passé ? questionna le garde en voyant le vase brisé.

L’adolescente fixait son reflet dans le miroir. La haine présente dans ses yeux la perturbait. Comme chaque fois qu’elle repensait à sa vie d’avant, cette rage ressurgissait, sans qu’elle n’ait aucun contrôle.

— Il est tombé, murmura-t-elle.

Le garde fronça les sourcils, mais ne fit aucun commentaire.

— Puis-je vérifier que vous allez bien ? lui demanda-t-il.

— Ce n’est pas la peine.

— Mademoiselle, je me permets d’insister.

Kélima se recroquevilla.

— Et moi je ne vous permets pas. Sortez ! ordonna-t-elle plus sèchement qu’elle ne l’aurait voulu.

— Bien mademoiselle, maugréa le garde.

Il s’inclina légèrement puis sortit d’un pas bruyant. La femme, qui était toujours agenouillée, se releva et commença à ramasser les débris. Une fois tout nettoyé, elle sortit, non sans lancer un dernier regard empreint de compassion à l’adolescente prostrée. Quand la porte fut fermée, Kélima se redressa.

— Contrôle-toi, tu es plus forte que ça, souffla-t-elle doucement.

Elle posa une main sur le miroir, une dernière larme roula sur sa joue. Sa voix se brisa sur sa dernière phrase.

— Bien plus forte.

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