Chapitre I : L’éclipse de l’innocence
Dans les couloirs du temps, là où le crépuscule de l’espoir rencontre l’aube de la désolation, j’ai découvert une vérité, effilée comme l’épée d’un chevalier, sombre comme les recoins inexplorés d’un château ancien.
« Ô Mort, Grande Faucheuse de l’obscurité, Reine des Ombres et Maitresse des Heures funestes, tu ne me terrifies plus comme autrefois. Ta lueur glaciale, aussi tranchante que le vent d’hiver, ne fait qu’effleurer les confins de mon âme. Autrefois, je t’ai crainte, t’imaginant cachée dans chaque recoin, chaque ombre, chaque soupir. Mais à présent, alors que ton regard acéré se pose sur moi, déchirant les voiles tissés de ma destinée, je trouve une étrange sérénité.
Je suis désormais le voyageur solitaire de ton navire spectral, voguant à travers les eaux tumultueuses de l’inconnu. La barque de l’oubli m’emporte, et bien que je ne l’ai pas choisie, je l’accueille comme une vieille amie. Ton ombre majestueuse se dresse, scrutant chaque moment, chaque tic-tac du cadran de notre existence, fauchant sans remords, mais avec une précision qui force l’admiration, les âmes audacieuses qui osent s’éloigner de leur destin.
Me voici à l’aube d’une nouvelle existence, prisonnier volontaire de ta valse mélancolique, reconnaissant ta présence, non comme une fin, mais comme le commencement d’un mystère éternel. Car, en cette heure sombre, je comprends que chaque créature, qu’elle soit roi ou roturier, devra, lorsque sonnera son heure, accepter ton invitation à cette danse éternelle. »
Là, au cœur des antiques bois de Kornlir, où les légendes avaient pris racine et les chants des bardes étaient nés, la forêt semblait retenir son souffle, car le fragile équilibre entre l’homme et la bête venait d’être rompu.
Les arbres ancestraux, gardiens silencieux de secrets immémoriaux, frémissaient sous le vent léger qui portait avec lui des effluves printaniers, mêlant fleurs naissantes et sève fraîche. Au loin, le bruissement des feuilles devenait une symphonie, un chœur sylvestre en l’honneur de la vie qui renaissait.
Le patriarche, Rofrid, était un homme de la vieille école, rompu aux méthodes traditionnelles de chasse, enseignées par ses ancêtres, forgées dans les feux des mythes et des batailles passées. Sa carrure, sculptée par les années de lutte contre les éléments, trahissait une force tranquille, héritage de la lignée des premiers hommes de Dangharie. À ses côtés, Jaal, son unique fils, était encore en phase d’apprentissage, son visage juvénile dépourvu de la barbe typique des hommes de sa région. Ses yeux, d’un bleu profond, reflétaient à la fois la fougue de la jeunesse et le respect inébranlable pour son père.
Mais le monde ne leur accorda que peu de temps pour ces considérations. Car l’ours, ce monarque sauvage de la forêt, sentant sa royauté contestée, se prépara à défendre son domaine. Ses yeux, deux gemmes d’ambre, fixèrent les intrus avec une intensité qui glaça le sang de Jaal.
Chaque seconde était un éternité, un délicat ballet entre prédateur et proie. Rofrid, sentant l’inévitable tension, entama une mélodie douce, presque imperceptible, un chant ancestral destiné à apaiser la bête, mais aussi à rassurer son fils. Leurs respirations se synchronisèrent, les battements de leurs cœurs résonnant en harmonie.
Mais l’impétuosité de la jeunesse est souvent un double tranchant. L’arme, qui n’aurait dû être qu’un dernier recours, devint un appel irrésistible pour le jeune Jaal. En se déplaçant vers la lance, le monde autour de lui parut ralentir. Un oiseau suspendit son vol, un rayon de soleil sembla s’attarder sur une goutte de rosée, et la bête... la bête perçut l’intention avant même que le mouvement ne soit complété.
Alors que l’ours rugissait, un cri d’avertissement autant qu’une proclamation de sa puissance, d’autres sons remplirent la forêt : le hululement lointain d’un hibou, le hurlement aigu d’un loup, le pépiement effrayé des oiseaux. La forêt de Kornlir était en éveil, et tous ses habitants savaient qu’un drame se jouait en son cœur. Le destin de Rofrid, de Jaal, et de l’ours serait scellé avant le coucher du soleil.
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Perchée à la limite des vastes étendues d’eau émeraude, où les reflets célestes dansaient à la surface telle une danseuse éphémère, la demeure se dressait, solitaire et pittoresque, comme un mémorial silencieux aux jours passés. L’édifice, une fusion d’ingénierie humaine et des trésors de la nature, portait en lui les histoires et les chansons des générations qui l’avaient précédé. Les rondins, taillés à la main par des artisans habiles, et les pierres, minutieusement choisies pour leur robustesse, faisaient écho à la pérennité de la vie en ces lieux.
Au-delà de l’architecture, le domaine s’animait de vie : le grognement mélodieux des porcs, le doux bavardage de l’eau et le sifflement presque musical du vent à travers les arbres. L’enceinte des porcs était plus qu’un simple enclos ; c’était un festin visuel de créatures s’ébattant dans la boue, libres et insouciantes.
En son centre se trouvait elle, cette beauté solaire aux mèches d’or, dont la présence semblait lier chaque élément du paysage. Elle était le cœur palpitant de ce domaine, la gardienne silencieuse des secrets que la terre chuchotait à l’oreille des initiés.
Mais alors que la brise taquinait sa chevelure, l’harmonie fut soudainement brisée. Le cri, à la fois distant et étrangement proche, était celui d’une bête, ou peut-être d’un homme, porté par le vent comme un présage sinistre. Cette interruption sonore était une intrusion, une menace voilée à la tranquillité de ce lieu idyllique. Son sourire, bien qu’amusé, trahissait une familiarité avec ces sons, une connaissance de ces interruptions sporadiques dans le rythme de la nature.
Ces deux-là, toujours à jouer les va-t-en-guerre, pensa-t-elle, son rire perlant comme une douce mélodie dans l’air.
Se déplaçant avec la grâce d’une chatte sauvage, elle revint à la demeure, son sanctuaire, la porte de bois grinçant doucement à son approche. Mais alors qu’elle avançait, une ombre de préoccupation voilait son visage radieux. Car au-delà de la clairière, dans les profondeurs ombragées de la forêt, se cachaient des mystères et des dangers que même elle, dans toute sa sagesse, ne pouvait anticiper. Et cette inconnue, cet élément d’incertitude, était la seule chose qui pouvait vraiment l’effrayer.
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Au cœur des bois anciens de Kornlir, les Chênes-Noirs imposaient leur présence avec une noblesse séculaire, dominant le paysage comme des monarques de la sylve. Leurs troncs puissants portaient les marques du temps, et les premiers bourgeons de la saison leur offraient une couronne d’or, tandis que les feuilles frémissantes jouaient avec les mélodies des vents de l’ouest, offrant un spectacle d’une beauté presque surnaturelle.
Cependant, la magnificence de la forêt était mise en veille par l’obscurité prédatrice qui filtrait à travers la dense canopée, chaque éclat de lumière devenant un joyau précieux parmi l’ombre. Mais cette tranquillité fut brutalement rompue. Le bruit précipité des pas, les respirations essoufflées et les cris d’oiseaux effrayés révélaient l’intrusion d’une chasse acharnée.
Le père et son fils fendaient la forêt à une vitesse effrénée, chaque souffle dévoilant une peur viscérale. Les images fugaces des moments de quiétude passés hantaient l’esprit du père, son cœur lourd du souvenir de l’instant où il avait dû abandonner sa précieuse lame dans une mêlée précédente. Les obstacles, tels que les racines tentaculaires et les tas de feuilles mortes, semblaient se multiplier à chaque pas, rendant leur évasion presque impossible.
Le fils, la jeunesse se lisant encore dans les éclats naïfs de ses yeux, lançait des regards désespérés en arrière, espérant que son protecteur, son roc, serait toujours à ses côtés. Les souvenirs des contes de son enfance, des monstres cachés dans l’ombre, devenaient soudainement bien trop réels.
Mais alors que l’étreinte glaciale de la peur menaçait de l’engloutir, une silhouette imposante émergea de l’obscurité. Un monstre des légendes, une bête titanesque dont le seul regard pouvait glacer le sang. Ses yeux, profonds et sauvages, fixaient le jeune garçon. Tout semblait perdu. Mais soudain, un cri guerrier, le son d’un choc brutal, et la bête s’effondra.
Lorsque le nuage de poussière retomba, le père se tenait là, héroïque et imperturbable, sa hache encore tintante du coup fatal qu’il avait porté. Il se pencha vers son fils, le visage grave et les yeux emplis d’une tendresse mêlée de fierté. Ses paroles, bien que dures, étaient imprégnées de sagesse et d’amour.
La tâche qui suivit fut un rituel ancestral, une leçon sur la dure réalité de la survie. Chaque geste, chaque coup de couteau, était un hommage à la nature et à la chaîne de la vie.
Alors que le jour naissait sur Kornlir, le duo repartait, marchant côte à côte, un lien renforcé par cette épreuve. Le père, avec la gravité de quelqu’un qui a trop vu, partageait ses souvenirs, tandis que le fils écoutait avec admiration, emmagasinant chaque histoire, chaque leçon, pour le jour où il devrait, à son tour, protéger sa propre progéniture dans le théâtre sauvage et impitoyable de la vie.
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Dans l’immensité austère des montagnes de Kornlir, les premiers rayons du jour baignaient le monde d’une lumière opaline. Ils effleuraient les flancs escarpés des pics, révélant des nuances cachées, les éclats dorés et argentés de leurs aspérités. Le paysage, autrefois baigné dans le voile obscur de la nuit, s’éveillait dans une splendeur inégalée.
Au cœur de cette toile grandiose, un père et son fils émergeaient, tels deux guerriers revenant d’un autre monde. Leur destination ? Une clairière, abritée par les montagnes, où se miroitait l’eau claire d’un lac qui renvoyait l’éclat céleste comme un miroir des dieux. Et au bord de cette merveille naturelle, la silhouette élégante de la maîtresse des lieux s’esquissait. Sa robe de lin, aussi pure que la première neige, flottait telle une voile autour d’elle, créant un contraste frappant avec le vert profond de la forêt environnante.
Siv, la beauté de la vallée, posa délicatement sa main à son front, protégeant ses yeux d’émeraude de l’intensité du soleil. Elle distingua, non sans une pointe d’impatience et d’émotion, les deux voyageurs approchant à travers la brume matinale. Comme guidée par une force invisible, elle descendit d’un pas léger le sentier menant au gué, où le chant de la rivière murmurait des histoires anciennes. Sa vision s’affinant, elle perçut leur trophée, une proie encore chaude. Un doux rire, empreint d’une pointe d’ironie, s’échappa de ses lèvres.
L’homme, au port noble et à l’allure d’un chef, descendit de sa monture et s’approcha.
— Siv, déclara Rofrid, il semble que notre fils ait hérité de ton audace.
Les yeux de Siv pétillèrent.
— Il me semble plutôt qu’il a hérité de ton impétuosité, rétorqua-t-elle avec un sourire malicieux.
Leurs regards s’accrochèrent, électriques, avant de céder à la douceur d’un baiser aussi passionné qu’un souffle de vent du nord.
Jaal, écoutant avec fierté l’échange entre ses parents, sentait le poids du sang de la bête sur ses mains, témoignage de son courage naissant. Le jeune guerrier aux prémices de sa gloire se tenait droit, ses yeux brillants de mille feux. Siv l’accueillit avec une solennité rituelle, proclamant :
— Jaal, fils de Rofrid Asgeïr, tu es marqué par le sang de la chasse, et le sang des ancêtres coule dans tes veines.
La fierté dans les yeux du garçon rayonnait comme une torche enflammée. Il retraça les détails de leur aventure avec un enthousiasme contagieux, les exploits de son père rendus presque mythiques par ses mots.
Mais alors que l’euphorie de Jaal illuminait le paysage, un voile d’inquiétude assombrissait le visage de Siv.
— Rofrid, interrogea-t-elle d’une voix où se mêlaient amour et reproche, as-tu considéré les dangers que tu fais courir à notre fils, à notre unique héritier ?
Il y eut une tension palpable, l’air semblait se cristalliser. Rofrid, surpris par l’intensité de la question, cherchait ses mots, tandis que Siv attendait, la force tranquille de sa conviction évidente. Et alors que les montagnes de Kornlir restaient impassibles, les trois âmes entamèrent une danse délicate, celle de l’amour, de la responsabilité et du destin.
À l’orée de l’aube, alors que la lumière pâle émergeait timidement des montagnes de Kornlir, la silhouette de Jaal, jeune et fragile, se tenait en contraste avec le paysage sombre. Ses traits, marqués par l’indignation, se froissaient sous l’emprise d’une émotion brûlante. Au sein de cette toile matinale, son timbre juvénile, presque hésitant, vint rompre le silence monastique qui enveloppait les monts et les vallées.
— Mais la découpe..., osa-t-il, une flamme rebelle illuminant son regard, défiant l’autorité maternelle.
La mère, Siv, se dressait telle une reine du Nord, froide, impériale, l’autorité suintant de chaque pore.
— Maintenant ! commanda-t-elle, sa voix ciselée dans l’acier, mettant fin à toute rébellion potentielle.
À l’écart, Rofrid, le père, semblait éreinté par l’effervescence qui montait. Il porta sa main robuste sur son front, sentant le poids du conflit imminent. D’un simple signe de tête, il implorait la compréhension de son fils, espérant éteindre la mèche avant l’explosion.
Les remontrances de Siv se déversèrent comme une avalanche, chaque mot trahissant une inquiétude abyssale.
— Imagine, Jaal, pris dans les crocs de ce monstre, son haleine fétide le paralysant. L’animal l’avait déjà à sa merci.
Rofrid, cherchant à apaiser la situation, répondit d’une voix oscillant entre la fatigue et l’irritation.
— L’ours n’a pas attaqué. Tout était sous contrôle.
Il chercha à dissiper les ombres qui voilaient leur complicité habituelle, mais son sourire narquois, loin d’être une solution, semblait plutôt aggraver la situation.
Elle s’emporta, une mère en furie, protégeant son unique progéniture.
— Il est encore trop jeune pour affronter une telle menace ! Et si, Rofrid, et si ton intervention avait été trop tardive ? Un battement de cil et Jaal aurait pu y laisser sa vie.
Le père, gardant un flegme inébranlable, rétorqua :
— C’est un « si », Siv. Un simple « si ».
Son regard scrutait celui de sa femme, y cherchant de la compréhension, un signe qu’elle pouvait lui accorder son pardon.
Il approcha, évoquant la tendresse des jours passés, essayant de briser la glace qui avait envahi le cœur de sa femme. Mais elle demeurait inébranlable, comme si son dos voûté formait un bouclier contre ses avances.
Rofrid, cependant, ne renonçait pas si facilement. En murmurant, il évoqua la promesse d’un confort futur, la perspective de chausser les plus fines bottes d’hiver, confectionnées à partir de la peau de leur prise, laissant entendre que même dans l’adversité, il cherchait toujours à lui offrir le meilleur.
Les dernières teintes pourpres et or de l’horizon se faisaient engloutir par la clarté grandissante. Au cœur de cette pénombre mourante, les deux figures se faisaient face dans une danse silencieuse, presque rituelle. Siv, avec son allure altière, semblait surgir de la terre même, s’imposant telle une reine médiévale régnant sur son domaine, ses yeux plongeant dans ceux de son époux avec une intensité qui semblait défier les lois de la nature.
— Penses-tu vraiment, Rofrid, déclara-t-elle avec une voix où perlaient à la fois la passion et le mépris, que ton art de séduction saura éteindre le feu de ma colère ? Que des promesses matérielles effaceront tes écarts de jugement ?
Lui, gardant un flegme digne des seigneurs des romans, lui répondit sur un ton où se mêlaient l’amusement et la conviction :
— Je promets, chère Siv, de prendre soin de toi, de la tête aux pieds, et cela chaque soir que cette terre verra passer.
Malgré elle, un sourire narquois éclaira le visage de Siv, qui, tout en restant distante, ne put cacher cette lueur d’amusement dans ses yeux. Rofrid, connaisseur des moindres nuances de son épouse, s’empressa d’utiliser cette ouverture pour se rapprocher, l’enveloppant de ses bras puissants et la couvrant de baisers doux et langoureux, rappelant les tendres caresses d’une mère à son enfant.
Mais Siv, indomptable, repoussa son assaut avec une force surprenante.
— N’oublions pas, mon cher, que nous n’avons pas terminé de parler des bottes, fit-elle remarquer, levant un sourcil interrogateur.
Là, dans le silence qui s’installa entre eux, Rofrid laissa échapper un soupir d’acquiescement, mais il ne put cacher le sourire en coin qui se dessina sur ses lèvres. Il savait que chaque bataille avec Siv, aussi minuscule soit-elle, se transformait en un jeu d’échecs où chaque mouvement était calculé.
Elle reprit, le mettant à l’épreuve avec ses exigences, comme si elle pesait chaque parole qu’elle prononçait, mesurant leur impact.
— Elles seront hautes, Rofrid. Et pas n’importe lesquelles : jusqu’aux genoux. Je veux choisir le morceau de peau, la nuance exacte de la fourrure.
La proximité de leur visage était telle qu’on aurait cru les voir fusionner, chaque respiration, chaque battement de cil chargé de tension et de désir. Rofrid, reconnaissant la détermination dans ses yeux, capitula, levant ses mains en un geste d’apaisement.
— Que ta volonté soit faite, déclara-t-il, sa voix profonde résonnant comme un chant mélodieux.
La tiédeur du matin s’insinuait entre eux, faisant frémir les cheveux ébène de Rofrid et caressant le visage de Siv. Mais c’était lui, avec sa force tranquille, qui la rapprocha doucement, l’embrassant avec une passion contenue. Elle, bien qu’au cœur de la tourmente émotionnelle, se laissa aller dans ses bras, mais imposa une dernière condition, promettant des soirs de douceur et de soins.
La demande tomba telle une pierre lourde dans un étang paisible, créant des vagues de surprise qui balayaient le visage de Rofrid. Les murmures de la forêt, rythmés par le chant des grillons et les souffles du vent, semblaient se taire pour un instant, attendant sa réponse.
— Trois lunes ? Me prends-tu pour une relique oubliée, pour l’un de ces anciens Dieux-Guérisseurs dont les légendes ne parlent pas ?
Sa voix, rauque et profonde, portait l’indignation, évoquant le cri lointain des loups qui hantaient les profondeurs boisées de la forêt de Kornlir. Il recula d’un pas, son visage marqué par l’ombre de la trahison, comme si une dague invisible avait percuté son cœur.
Siv, dans la lumière douce et changeante du soleil sous les nuages, laissa échapper un rire triomphant, une mélodie qui rappelait le chant séduisant d’une sirène.
— Mon tendre époux, commença-t-elle, chaque mot tracé d’une douce ironie, il me semble que pendant ces trois prochaines lunes, ta main guerrière, celle-là même qui a terrassé des monstres et brandi des haches, sera ta seule compagne d’intimité.
Son sourire, illuminé d’un éclat malicieux, semblait plus brillant que jamais, contrastant avec la gravité de ses paroles.
Avec le temps, la dame de la maison avait appris l’art subtil de manier les mots comme des épées, affûtant chaque phrase pour atteindre sa cible. Elle se dressait devant lui, majestueuse, chaque fibre de son être criant sa détermination. Sa déclaration portait la force d’une tempête, la promesse d’une pluie torrentielle. Elle s’approcha de Rofrid, ses lèvres frôlant son oreille :
— Peut-être, guerrier, sauras-tu manier cet outil avec autant d’adresse que ton épée.
Sans lui accorder un autre regard, Siv tourna les talons, sa démarche évoquant la grâce d’une feuille flottant au gré d’une brise automnale. La lueur de la lune faisait briller ses cheveux, créant une aura presque surnaturelle autour d’elle.
Rofrid, pris au dépourvu, laissa échapper un soupir résigné.
— Tu as remporté cette manche, admit-il, la déception voilant ses yeux autrefois fiers.
Alors qu’il s’apprêtait à formuler une autre réplique, Siv, sans même le regarder, éleva sa main, brandissant trois doigts avec une élégance provocatrice.
— Trois lunes, je n’oublierai pas, murmura Rofrid, l’amertume teintant sa voix.
Soudain, comme mue par une inspiration soudaine, Siv stoppa sa marche. Son visage, éclairé par les rayons solaires, portait un éclat triomphant.
— Et puisqu’il semble que la compagnie de Jaal soit si précieuse à tes yeux lors de la découpe, je me retirerai de cette tâche. Après tout, qu’ajouterais-je de plus ?
Ses mots, empreints de sarcasme, traçaient un nouveau défi, une autre joute verbale dans leur éternelle danse de pouvoir et de passion.
Rofrid suivit du regard la silhouette gracieuse de Siv qui s’éloignait, la nostalgie des moments ardents qu’ils avaient partagés et des duels enflammés les ayant opposés envahissant son esprit. À côté de lui, Jaal, héritier de leur sang mêlé, semblait comme pétrifié, l’atmosphère électrique de la dispute de ses parents encore palpable dans l’air frais de la soirée. Rofrid, toujours le mentor, remit doucement le couteau de dépeçage à son fils, son regard grave et sage s’attardant un instant sur celui, encore jeune et innocent, de Jaal.
— La bête n’attendra pas. Fais honneur à ton héritage, murmura-t-il.
Puis, son attention fut à nouveau captivée par le reflet lumineux qui émanait de la ferme, où Siv, telle une vision envoûtante, se détachait entre la clarté et le crépuscule. Il pouvait sentir l’intensité de son regard, cette lueur de défi mêlée d’une promesse de passion. Une émotion profonde parcourut son être, rappelant les émois de leurs jeunes années, où chaque confrontation verbale se muait en un tendre rapprochement, une épreuve amoureuse que le temps n’avait su altérer.
Avec un désir irrépressible, il se dirigea vers la chaumière, les souvenirs de leurs étreintes passées se mélangeant à l’anticipation du moment à venir. Dès qu’il franchit le seuil, la chaleur enveloppante de la pièce, chargée de tension et d’attente, le saisit. Leurs retrouvailles furent fiévreuses, comme une pluie d’été après une longue canicule. Les formes délicates de Siv se révélèrent sous les mains affirmées de Rofrid, chaque geste, chaque caresse, témoignant de l’intimité de leurs âmes. Leur amour était une symphonie, tantôt douce et mélodieuse, tantôt ardente et tumultueuse.
La lueur du soleil, filtrant à travers les fenêtres rustiques, baigna la pièce d’une clarté mystique. Leurs souffles apaisés, ils restèrent blottis l’un contre l’autre, les battements de leurs cœurs harmonisés. Cet instant suspendu, loin des tumultes de leur quotidien, était une bulle de quiétude. Dans un monde où la trahison et le danger étaient omniprésents, ils avaient su tisser une histoire d’amour puissante, capable de défier tous les orages. C’était leur lumière dans les ténèbres, leur ancre au milieu des tempêtes. Un amour aussi majestueux que les vieilles chansons des bardes, un amour qui serait chanté à travers les âges.
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Rofrid, perdu dans ses pensées, sentit un frisson étrange parcourir sa colonne vertébrale alors qu’il relevait les yeux pour découvrir la silhouette familière de Siv se découpant à l’entrée de leur demeure. L’obscurité avançait, mais la lueur du foyer, tel un phare, jouait sur ses traits délicats, révélant une femme aussi radieuse et énigmatique que lors de leur première danse sous le ciel étoilé de la cité de Khyrr.
— Le monde pourrait s’effondrer autour de moi, mais ton absence, même passagère, serait le seul séisme capable de briser mon cœur, répondit Rofrid, lâchant sa hache qui se planta profondément dans une souche de chêne, symbole de leur relation ancrée et intemporelle.
Comme un papillon attiré par la lumière, Siv s’approcha de lui, chaque pas révélant l’élégance naturelle qu’elle dégageait. Ses yeux, verts comme les feuilles printanières, semblaient captivés par la danse des flammes sur le bûcher, écho d’un ancien rituel qu’ils perpétuaient.
La voix de Siv était douce, portée par la mélodie de la nature environnante :
— Chaque crépuscule est une page d’histoire que nous écrivons ensemble.
Rofrid, touché par ses mots, s’avança et enlaça sa bien-aimée, leurs deux cœurs battant à l’unisson face à l’éternité de l’instant. La sérénité du lac voisin miroitait leurs silhouettes, renvoyant l’image de deux âmes soudées par un amour immuable.
— À chaque regard que je pose sur toi, je retrouve cette jeune fille que j’ai courtisée au bord du Grand-Lac, avoua-t-il, le souvenir de leurs jeunes années resurgissant avec une intensité bouleversante.
Le rire cristallin de Siv brisa le silence :
— Tu as toujours eu le don de me faire rougir, malgré les saisons qui ont passé, répondit-elle en nichant sa tête contre son torse robuste.
Elle pouvait sentir le cœur puissant de Rofrid battre, chaque pulsation évoquant un chapitre de leur vie commune.
— Je sens en Jaal la même fierté qui m’habite à ton égard, murmura Siv, faisant allusion à leur fils.
Rofrid sourit, évoquant la chasse de l’après-midi.
— L’ours n’était qu’un détail. C’est dans son regard, lorsqu’il parle de son vieux père, que je vois le respect.
Siv leva un sourcil espiègle :
— Un « vieux père » qui garde la fougue d’un jeune guerrier, et qui est capable d’enflammer le cœur de sa dame comme au premier jour.
Rofrid, touché par la profondeur de ses mots, caressa tendrement le visage de Siv, comme pour mémoriser chaque trait, chaque parcelle de leur amour qui continuait à brûler aussi intensément que le foyer qui les éclairait.
Dans l’ombre grandissante du crépuscule, leurs regards s’entrelacèrent, créant un silence presque palpable, un instant suspendu dans le temps. Siv, délicate comme une rose à l’aube, se pencha légèrement en avant pour observer les bûches empilées avec soin sous le porche ancien de l’étable, leur écorce rugueuse contrastant avec la douceur de ses mains.
— Grâce à ces bûches, le froid ne mordra pas nos os pendant quelques jours, murmura-t-elle, la chaleur de sa main se glissant sur le torse robuste de Rofrid. Viens te reposer auprès du feu, un ragoût aux herbes et aux gibiers que tu aimes tant attend ton retour.
Rofrid, ému par sa prévenance, sourit doucement.
— La faim me tiraille, c’est vrai, mais il n’y a pas que le ventre qui a ses envies.
Dans une étreinte à la fois douce et pleine de promesses, Siv se blottit contre lui. Les parfums de la forêt, de terre humide et de mousse, se mêlaient à celui, plus sauvage, de Rofrid.
— Ton odeur... Celle d’un prédateur qui aurait parcouru des lieues, taquina-t-elle en frôlant sa barbe naissante.
Rofrid, son souffle chaud caressant la tempe de Siv, répondit :
— Chaque jour, tu me rappelles pourquoi je me bats et travaille sans relâche. Ton amour, ta douceur, me donnent des ailes.
Leurs rires fusionnèrent, résonnant dans le silence nocturne. Les doigts de Rofrid glissèrent dans les boucles soyeuses de Siv, la tendresse de l’instant faisant oublier les fardeaux du quotidien.
— Rejoins la demeure, susurra-t-elle en l’éloignant doucement. Je souhaite dire adieu à cette journée près du lac, sentir la fraîcheur de la nuit avant de m’abandonner à Morphée.
Devant l’entrée de leur havre de paix, sous un dais d’étoiles étincelantes, Rofrid se pencha pour cueillir les lèvres de Siv dans un baiser doux, plein d’anticipation.
— Je m’occuperai de Jaal, veillant à ce que ses rêves soient doux. Ensuite, je chercherai ce qui dérange ton nez délicat, déclara-t-il avec un clin d’œil malicieux.
Siv le regarda s’éloigner, un sourire espiègle aux lèvres, avant de tourner son regard vers le ciel nocturne, se perdant dans l’immensité de la voûte étoilée.
Siv s’appuya languissamment contre un pilier de chêne centenaire, la rugosité de son écorce racontant des siècles de défis face aux éléments. Un soupir songeur s’échappa de ses lèvres alors que l’air frais du soir, chargé des mystères du crépuscule, lui caressait le visage. Chaque effluve alpestre semblait l’envelopper, la ramenant vers des souvenirs lointains et oubliés.
À mesure que ses paupières s’alourdissaient, le monde autour d’elle s’estompait, laissant place à un paysage nocturne. L’encre des ténèbres avait noyé le lac, si ce n’était pour le reflet argenté de la lune, qui, tel un phare, guidait la nuit. Les étoiles, tels des joyaux scintillants, parsemaient le voile céleste, créant un miroir étoilé sur les eaux calmes.
Elle se glissa alors dans leur barque, sculptée avec soin par les ancêtres de Rofrid, le bois contant des histoires de batailles épiques et d’amours intemporels. Assise, elle se libéra de la peau de mouton qui l’enserrait, offrant à la lune le spectacle de sa peau diaphane, lumineuse sous le voile de la nuit.
Soudain, le chant d’un hibou ressembla à un oracle, un présage peut-être. Mais ce fut le hennissement inquiet d’un cheval qui brisa sa rêverie. Rofrid, silhouette imposante et mystérieuse, apparut alors, émanant une aura de puissance mêlée à une délicatesse inattendue.
Lorsqu’il la rejoignit dans la barque, le temps sembla s’arrêter. La lueur des étoiles se reflétait dans ses yeux bleu, et la lune semblait jalouse de la beauté de Siv. Un frisson courut le long de l’échine de Siv alors que les doigts de Rofrid s’aventuraient audacieusement sous le tissu de sa robe.
— Est-ce là la manière d’un Seigneur de Guerre de traiter sa dame ? murmura-t-elle, ses yeux étincelant d’un défi mutin. Ou me perçois-tu comme une de ces femmes que l’on chante dans les ballades osées des bardes de Khordull ?
Leurs regards se verrouillèrent, intensifiant l’électricité de l’instant.
— Tu es le soleil qui guide mes jours et la lune qui veille sur mes nuits, avoua Rofrid, sa voix rauque trahissant une passion contenue.
Ils se rapprochèrent, leurs lèvres effleurant l’une l’autre avant de s’unir dans un baiser ardent, consumant toute retenue. Les vagues du lac, témoins silencieux, murmuraient des mélodies d’amour alors que leurs corps s’entrelaçaient, se perdant dans la profondeur de la nuit et de leur passion.
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L’aurore, capricieuse et douce, éclatait sur l’horizon, tissant une tapisserie de nuances orange et pourpre à travers le vaste tableau naturel qui s’offrait à leurs yeux. Les montagnes, séparées par des siècles de temps et de contes, présentaient des sommets saupoudrés de neige qui scintillaient tels des diadèmes royaux. En bas, le lac se miroitait, reflétant la beauté majestueuse des cieux, son eau sereine enveloppée par la douce étreinte du brouillard matinal
Le monde semblait être à un point d’équilibre, entre la fin de la nuit et le commencement du jour, entre le rêve et la réalité. Rofrid et Siv se trouvaient en son centre, blottis l’un contre l’autre sous l’épaisse fourrure d’ours, tel deux amants éternels saisis par le marbre dans une sculpture.
La tranquillité fut brusquement perturbée par la lumière crue du jour qui, telle une flèche, trouva son chemin jusqu’aux paupières de Siv. Un grognement d’appréciation lui échappa, cherchant à s’accrocher à ces derniers moments de repos. Mais ce fut l’urgence dans la voix de Rofrid, ce timbre qui ne se manifestait que dans les moments les plus critiques, qui brisa son répit.
Ses yeux, s’ouvrant dans une brume de somnolence, rencontrèrent le regard inquiet de Rofrid. En un éclair de compréhension, elle se hâta à ses côtés, cherchant à décrypter l’énigme qui avait plongé Rofrid dans une telle anxiété. Pourtant, tout semblait paisible, avec les chansons matinales des oiseaux comme seule trame sonore.
Le visage de Rofrid, cependant, était un mélange de tension et de peur, une expression qu’elle n’avait vue que lors des hivers les plus rudes ou des batailles les plus sanglantes. Sans un mot, il pointa le sentier de Kornlir, qui semblait innocent à première vue, mais qui, selon les légendes, avait été témoin de bien des tragédies.
Rofrid se préparait déjà, se revêtant de son plastron de cuir qui avait vu de nombreux combats.
— Va à la maison, protège notre fils. Et quoique tu entendes ou voies, ne sors sous aucun prétexte, murmura-t-il, sa voix empreinte d’une gravité inquiétante
La confusion était palpable dans les yeux de Siv, mais l’urgence dans les paroles de son mari ne laissait pas de place à la discussion. Elle savait que quelque chose de grave se tramait, quelque chose que même Rofrid, le vaillant guerrier des contes, craignait.
Dans la lueur tamisée d’une aube à peine née, Siv avança à pas précipités vers la demeure familiale, où chaque pierre et chaque mur racontaient les histoires d’âges révolus. À mesure qu’elle s’approchait, la porte, marquée par le poids des ans, rendit un grincement mélodieux, presque mélancolique. L’ombre de son fils, Jaal, s’estompait à travers l’ouverture, ses yeux brillant d’une curiosité teintée d’alarme.
— Mère... est-ce toi ? s’interrogea-t-il, chaque mot pesant lourd dans l’air vif du matin.
Alors qu’elle pénétrait à l’intérieur, le souffle erratique et la poitrine oppressée par l’angoisse, elle attrapa Jaal, le pressant contre elle, comme si cette étreinte pouvait effacer les dangers du monde extérieur.
Ses yeux, noyés dans l’inquiétude, scrutèrent la pièce.
— Où est père ? demanda-t-il d’une voix tremblante.
— Habille-toi, Jaal. Il n’y a pas de temps à perdre ! s’exclama-t-elle, chaque syllabe débordante d’une urgence à peine voilée.
Incapable de masquer sa confusion, Jaal s’interrogea à haute voix :
— Quelle ombre a bien pu obscurcir ce jour ?
Elle l’interrompit :
— Monte à la chambre, et ne te montre pas, quoi qu’il arrive.
La curiosité du jeune garçon prit le dessus et, se faufilant vers la porte, il fut accueilli par un panorama inquiétant : une marée de guerriers, leurs destriers noirs fouettant l’air de leurs naseaux, les boucliers arborant fièrement un dragon noir, crachant des flammes d’ébène. Ses yeux élargis se tournèrent vers Siv, cherchant des éclaircissements.
— Les guerriers du Dragon Noir... Les Hackad..., murmura-t-elle, son étonnement se mélangeant à un profond désespoir. Mais pourquoi foulent-ils nos terres ?
Jaal, ses yeux écarquillés par la découverte, identifia une silhouette familière parmi ces intrus. C’était Garrath, le rejeton royal de Brand, celui-là même dont les histoires de leur survie en forêt étaient entrelacées.
— N’est-ce pas lui qui, autrefois, avait tendu la main à des étrangers perdus, Mère ? interrogea-t-il avec innocence.
Siv soupira profondément :
— Son aide était un double tranchant, mon fils. Ses ambitions dépassent de loin les nôtres, et sa générosité était peut-être empoisonnée.
Le jeune Jaal, avec une maturité surprenante, répondit :
— Les actes du passé pèsent-ils tant que ça sur les affaires présentes ?
Fixant son fils avec une tendresse mêlée d’amertume, Siv avoua :
— Ton père espérait que le temps effacerait nos dettes passées et redorerait notre nom. Mais le passage du temps n’efface pas toujours les ombres du passé.
Jaal, son regard se durcissant, ajouta :
— Alors Garrath est venu réclamer ce qui lui est dû ?
Siv fronça les sourcils :
— Je doute qu’il soit venu personnellement pour une simple dîme. Mais la présence des guerriers des Contrées-du-Sang est plus qu’intrigante, surtout sous sa bannière.
Les deux savaient que les heures à venir seraient critiques, et leur destin se jouerait dans l’ombre du dragon noir.
La lueur crépusculaire du soir venait caresser la vieille demeure aux pierres érodées par le temps, à travers laquelle Siv tentait d’espionner, les sourcils froncés, la conversation entre son époux Rofrid et le mystérieux Garrath. Les murmures des deux hommes se mêlaient aux chuchotements du vent, les rendant inaudibles.
— Les dieux soient maudits, murmura Siv, plissant ses yeux perçant pour mieux voir.
L’éclairage trompeur du soleil masquait les intentions des cavaliers qui, comme des prédateurs, semblaient encercler Rofrid dans un ballet mortel.
La peur l’envahit, son cœur battant au rythme d’une mélodie alarmante. Soudainement, son regard glissa vers le lit de son fils, sous lequel brillait légèrement le reflet métallique de la hache de Rofrid. Sans la moindre hésitation, elle s’élança pour saisir cette arme qui lui semblait être leur unique salut.
— Mère, non ! cria Jaal, se lançant sur elle, ses doigts cherchant à arracher la hache de ses mains frêles mais déterminées. Il faut aider père, mais cette hache... face à leurs épées, c’est du suicide !
Alors qu’ils luttent pour l’arme, les cris de corbeaux à l’extérieur semblaient annoncer un destin funeste. Jaal, dans un mouvement habile, réussit à subtiliser la hache et la déposer sur le lit. Son regard se fixa alors sur un objet caché à sa ceinture - un couteau à dépecer, héritage de leur ancêtre, forgeron du Nord.
— Ce n’est qu’un couteau, Jaal..., commença Siv, son regard inquiet fixé sur la lame.
Mais il la rassura du regard.
— Il suffit d’une égratignure, d’un geste précis. La subtilité est notre alliée.
Ses yeux pétillaient d’une lueur d’intelligence et de ruse, une lueur que Siv avait souvent vue chez Rofrid.
Elle s’avança, ajustant sa tunique, tentant d’évacuer l’angoisse par des mouvements mécaniques. Sa respiration devenait saccadée, ses pensées tourbillonnaient.
Jaal posa ses mains fermement sur les épaules de sa mère.
— C’est à moi de le faire, mère. Les guerriers verront en moi qu’un enfant, et c’est cette sous-estimation qui sera leur perte.
Siv chercha ses mots, son esprit combattant entre la fierté maternelle et la peur. Finalement, les mots lui vinrent :
— Rappelle-toi toujours qui tu es, Jaal. Fils de Rofrid, héritier des Asgeïr, et descendant des légendaires Hulfhendnar¹.
— Et fils de Siv, la flamme du Nord, répondit Jaal, sa voix emplie d’une détermination qui rivalisait avec celle des grands héros des sagas.
Il saisit le couteau, l’intégrité de sa jeunesse mêlée à une bravoure inébranlable, et s’élança hors de la demeure, prêt à affronter le destin qui l’attendait dehors.
La porte se referma dans un grincement lent et sinistre, telle la lourde pierre d’un tombeau. Derrière ce rempart de chêne, Jaal, la chair de sa chair, s’était engouffré dans l’inconnu. Le poids de la séparation semblait faire ployer l’air de la pièce, et l’absence de son fils y résonnait en écho, étouffant le moindre bruit.
Un frisson glacial parcourut l’échine de Siv, la laissant pétrifiée, telle une statue de marbre en proie aux affres de l’angoisse. Pourtant, à l’extérieur, aucune femme ne devait se douter du tumulte qui la tourmentait. C’était son devoir de mère de maintenir cette façade imperturbable, ce masque de dignité que même les vents du Nord ne pourraient briser.
Les doigts tremblants, elle effleura sa bouche, cherchant à étouffer le cri muet de son cœur. Son souffle se faisait saccadé, presque erratique, tandis qu’elle posait son front contre la porte, espérant en vain capter le moindre son, le moindre murmure provenant de l’extérieur. Il lui semblait, dans un élan d’irrationnelle tendresse, que la chaleur de son fils imprégnait encore le bois rugueux, comme un adieu diffusé à travers les veines de l’arbre.
L’intérieur de cette pièce, autrefois rempli de la douce mélodie des rires et des chants, était désormais dominé par le tumulte intérieur de Siv. Ses émotions, pareilles à un ouragan déchaîné, tourbillonnaient en elle, mêlant désespoir, peur et une incommensurable tristesse. Les souvenirs de Jaal enfant, de ses premiers pas hésitants aux récits héroïques qu’elle lui contait chaque nuit, tout se bousculait en elle, ajoutant à la tempête qui la consumait.
La violence des hommes, avec sa cruelle réalité, venait frapper à sa porte, emportant son fils, laissant derrière elle un cœur déchiré. Et Siv, dans cette sombre mélodie, attendait, espérant que son fils, tel un héraut des temps anciens, reviendrait à elle, porteur de nouvelles d’une bataille remportée et non d’une vie fauchée trop tôt.
~
Au cœur de l’ombre silencieuse qui s’étirait devant la demeure, Jaal, fier et déterminé, se tenait tel un roc face à l’impétueuse tempête qui s’annonçait. Les neuf guerriers, tels des spectres sortis des légendes, imposaient leur présence, défiant quiconque de s’opposer à leur volonté. La lumière du soleil levant caressait leurs armures sombres, faisant étinceler les chaînes de leurs cottes de mailles, les rendant presque surnaturels.
La tension était presque palpable, électrisant l’air de cette journée d’automne. L’arrogance et la puissance se dessinaient sur leurs visages, porteurs de cicatrices qui attestaient de maints combats. Chaque détail, des plumes sombres ornant leurs casques aux griffes métalliques de leurs armes, était un rappel éloquent de leur allégeance au Dragon-Noir, ce symbole qui avait inspiré tant de crainte dans les Contrées-du-Sang.
Au centre, trônant au-dessus des autres, Garrath, dans toute sa splendeur ténébreuse, affichait un air à la fois méprisant et triomphant. L’éclat argenté de sa fibule contrastait avec sa cape noire, et sa stature rappelait celle des rois d’antan. Son visage, à la fois dur et séducteur, était le reflet de sa lignée, une dynastie de guerriers et de conquérants.
Lorsqu’il parla, sa voix s’éleva, aussi tranchante qu’une lame, emplie d’une moquerie à peine dissimulée.
— La bête prodigue est donc de retour dans son antre ?
Sa phrase, bien que caustique, cachait une certaine curiosité, comme si le retour de Jaal avait éveillé en lui une intrigue ancienne.
La mention de la femme et du fils de Jaal, prononcée avec une insinuation venimeuse, semblait être un coup porté directement au cœur de l’ex-guerrier. Mais avant que la tension n’atteigne son paroxysme, une figure féminine émergea de l’obscurité, portant avec elle une aura de grâce et de dignité. Siv, avec ses cheveux ondulant librement au vent et sa démarche royale, semblait être la personnification même de la sérénité au milieu du chaos.
La rencontre entre les deux époux était chargée d’émotions silencieuses, de mots non dits mais profondément ressentis. La caresse tendre de Siv sur la tête du fils révélait tout l’amour d’une mère, mais également une inquiétude sourde, face à la menace présente. Sa proximité avec Rofrid était à la fois un geste de soutien et une déclaration silencieuse de leur unité face à l’adversité.
Alors que Siv s’approchait de Garrath, son audace n’était pas une simple provocation, mais plutôt une tentative d’apaisement, un jeu subtil de séduction et de stratégie. Elle semblait lui dire, sans un mot : « Même en face du danger, la sagesse et la douceur peuvent prévaloir sur la brutalité. »
Chaque mouvement, chaque regard échangé dans cette scène, semblait être une danse complexe, un ballet de pouvoir et d’intrigue, où chaque participant jouait sa partition avec une habileté magistrale. Et le destin de Jaal, de sa famille et peut-être même des Contrées-du-Sang, se jouait dans cet équilibre précaire.
Au milieu de la clairière, les feuilles tourbillonnaient, capturées dans une danse silencieuse sous le ciel nuageux. Siv s’approcha de Garrath, avec une grâce dignement royale, faisant miroiter les broderies d’argent de sa robe au soleil timide.
— Bonjour Garrath, dit-elle, le regard illuminé par un défi silencieux.
Tout en parlant, sa main glissa doucement sur les naseaux chauds et humides du destrier. Elle s’inclina ensuite, déposant un baiser doux, presque maternel, sur la joue du noble animal, les yeux toujours fixés sur Garrath.
La respiration de Garrath se fit plus lourde, son regard parcourant Siv avec une ardeur à peine contenue.
— Siv ..., murmura-t-il, sa voix un doux grondement, comme un tonnerre lointain.
Ses yeux, brillant d’une lueur dangereuse, la détaillaient.
Siv reprit avec assurance, une pointe d’ironie perlant dans sa voix :
— Il est un peu tôt pour la dîme, mais je crois que Rofrid saurait faire preuve de générosité si tu le souhaitais.
L’atmosphère s’électrifia, quand le geste audacieux de Siv avec Jaal provoqua la fureur de Garrath. Son épée, reflétant le soleil dans un éclat aveuglant, se trouva dangereusement près de la gorge délicate de Siv.
— Assez de ces enfantillages ! siffla-t-il, la haine déformant son visage autrefois serein.
— Garrath, intervint Rofrid, sa voix calme contrastant avec l’orage qui se préparait. Tu es en train de te fourvoyer dans les méandres de ton propre ego.
Siv, impériale, conservait cette attitude presque détachée, son regard fixé sur Garrath. Elle sentait la gravité de l’instant, le fil ténu de la paix menaçant de se rompre à tout moment, mais son amour pour Rofrid et son fils la poussait à tenir tête, sans céder.
Alors que le silence devenait presque insupportable, la main ferme de Rofrid dévia l’épée de Garrath avec une aisance déconcertante. Deux guerriers, reconnaissables à leurs armures aux reflets cuivrés, s’approchèrent alors de lui, l’intention de tuer évidente dans leurs yeux. Mais Rofrid, avec une sérénité royale, les retint d’un geste.
— Discutons, commença-t-il, sa voix douce brisant la tension. Si tu as des exigences à poser, nous sommes prêts à les écouter. Nous préférons le dialogue à l’effusion de sang.
Garrath, avec un rictus moqueur, planta son épée dans le sol, faisant jaillir une gerbe de terre humide.
— J’attendais mieux de toi, Rofrid, cracha-t-il, son regard acéré comme la lame qu’il tenait. Tes tentatives pour gagner du temps m’amusent, mais sache que notre patience a ses limites.
Au milieu de ce tumulte, Rofrid, tel un roc au milieu de la tempête, se tenait debout, défendant sa famille contre cette menace oppressante. Il contempla le ciel, où les nuages s’écartaient, laissant apparaître les premiers rayons du soleil, réfléchissant sur les eaux scintillantes des Grands Lacs. Les souvenirs d’instants heureux avec Siv et Jaal l’envahirent, lui donnant la force de persévérer.
Les regards de Rofrid et Siv se croisèrent, créant un instant d’intimité au milieu de cette clairière tendue. Tout autour d’eux, le monde semblait s’effacer, ne laissant que leur amour comme témoin.
Garrath, dans sa rage impuissante, continuait de vociférer, mais les paroles d’amour échangées entre les deux époux les enveloppaient d’un bouclier d’émotion, les protégeant de la noirceur extérieure.
Siv, les yeux embués de larmes, murmura des mots d’amour à Rofrid, se rappelant leurs serments passés.
— Peu importe le destin qui nous attend, notre amour demeurera éternel, chuchota-t-elle, comme une promesse d’éternité.
La tension, aussi vive que le tranchant d’une lame, était palpable dans l’air. Les yeux de Siv, semblables à ceux d’une déesse en plein dilemme, étincelaient d’une lutte intérieure. Un sourire mélancolique étira doucement ses lèvres, telle une rose délicate caressée par le vent d’automne. Une larme, pure et brillante comme une goutte de rosée du matin, s’échappa, témoignant de la tourmente de son âme. Son regard se posa sur Jaal, empreint d’une ferveur presque palpable, et dans un mouvement à peine perceptible, elle acquiesça. C’était la promesse d’une bataille à venir.
Soudain, le silence fut brisé, semblable à la rupture du barrage retenant les eaux tumultueuses d’une rivière en crue. Un rugissement retentit, annonçant le début d’une guerre qui déciderait du sort de toute une lignée.
D’une agilité stupéfiante, Rofrid se lança en avant, ses mouvements évoquant le vol majestueux d’un aigle royal s’abattant sur sa proie. À ses côtés, Siv, avec une ferveur digne de la déesse mère, éloigna Jaal de l’épicentre du chaos imminent. Sa voix, rauque de détermination, s’éleva dans l’air, frémissante de puissance.
Les ombres des combattants se mêlaient en une danse effrénée. La lame de Rofrid sifflait dans les airs, se délectant du combat, tandis que Siv, avec la rage d’une lionne défendant son lionceau, faisait mordre la poussière à l’un des acolytes de Garrath. Dans un échange fluide, elle lança une épée tombée au sol à Rofrid, qui la rattrapa avec une aisance digne des plus grands bretteurs.
L’éclat de l’acier, les hurlements de douleur et le rugissement de la bataille contrastaient violemment avec l’amour inébranlable unissant Rofrid et Siv. En plein chaos, ils se battaient en parfaite harmonie, leurs corps dansant une danse millénaire dictée par la passion et le devoir.
Jaal, malgré sa jeunesse, montrait une bravoure impressionnante. Il courut vers l’écurie, cherchant refuge parmi les destriers effrayés. Montant sur le superbe étalon noir de son père, l’enfant aux yeux écarquillés tenta d’échapper au chaos environnant.
Mais alors, la tragédie se profila. Un cheval, effrayé par les cris et l’odeur du sang, s’élança en un mouvement désordonné vers Jaal. Sans une seconde d’hésitation, Siv s’interposa entre la bête et son fils. Ses mains agrippèrent le cavalier, ses doigts, aussi tranchants que des lames, trouvèrent la chair. Elle poussa un cri, mélange de rage, d’amour et de défiance, qui résonna comme une mélodie tragique à travers le champ de bataille.
La clairière autrefois sereine se transforma en un théâtre d’héroïsme et de désespoir. Malgré l’enfer qui les entourait, le couple, guidé par un amour aussi éternel que les étoiles, se battait avec une détermination sans faille. Dans cette mêlée, leur amour brillait comme un phare, illuminant même les recoins les plus sombres du combat.
Alors que le ciel se teintait de nuages argentés, la plaine était le théâtre d’un ballet sauvage. Le fracas des armes, les cris d’agonie et les rugissements de victoire se mêlaient en un maelström d’émotions et de douleur. Au cœur de cette tempête, Rofrid, dans une bravoure que même les bardes auraient du mal à chanter, se mesurait à six guerriers redoutables. L’acier de son épée sifflait, brillant d’une lueur argentée, chaque mouvement tranchant la vie de ceux qui osaient le défier. Son habileté au combat était inégalée, et un par un, ses adversaires s’effondraient à ses pieds, la mort marquée dans leurs yeux éteints.
Entre les silhouettes mouvantes, les flèches volantes et la poussière, une paire d’yeux cherchait désespérément un autre regard, le leur. Siv, malgré le chaos ambiant, ne perdait pas de vue Rofrid. Ils partageaient un lien si fort, une promesse silencieuse, celle de toujours se battre l’un pour l’autre. Leur amour, sculpté par les épreuves et les joies, était le phare qui guidait chacun de leurs mouvements sur le champ de bataille.
Mais cette danse mortelle était plus que déséquilibrée. La horde avançait inexorablement, et l’horreur se matérialisa quand le jeune Jaal fut capturé. Sa tentative désespérée d’évasion s’était soldée par une mise en otage. Les poings liés, il était la monnaie d’échange parfaite pour Garrath, l’antagoniste de cette histoire, dont les ambitions étaient aussi sombres que son âme.
— Rofrid ! hurla Siv, sa voix tremblante mais forte, résonnant au-dessus des cris de guerre.
Ses yeux, emplis de larmes, fixaient son mari.
— Abandonne ton épée ! Pour notre fils ! Pour Jaal !
Sa supplique résonna dans le cœur de Rofrid, déchirant chaque fibre de son honneur. Avec un soupir lourd de résignation, son épée tomba, soulevant un nuage de poussière.
Lorsque Rofrid avança, c’était avec le poids d’un monde sur ses épaules. Ses pas étaient lourds, mais ses yeux, brûlants d’une détermination inébranlable, étaient rivés sur son fils. Et pourtant, tout se figea quand un affreux frisson parcourut l’air. Avant même que quiconque puisse réagir, une épée transperça le dos de Rofrid, son sang se déversant telle une cascade rougeoyante.
Garrath, avec un rictus sadique, se pencha vers lui.
— Regarde-la une dernière fois, guerrier. Admire cette beauté que tu ne reverras plus jamais, murmura-t-il à l’oreille de Rofrid.
Chaque parole était une gifle, une piqûre venimeuse déversant sa cruauté.
— Ton fils périra de nos mains, et ta femme pleurera à mes pieds. Ton nom sera oublié, et ta lignée maudite.
Siv, assista impuissante à la déchéance de son amour. Ses cris de douleur, mêlés à ceux de Jaal, se perdirent dans l’air vicié. Garrath, dans sa victoire amère, emporta Siv, laissant Rofrid s’effondrer dans un dernier soupir.
Le ciel gris régnait, et avec lui, le destin tragique de la famille de Rofrid semblait scellé, plongeant les terres dans une obscurité sans fin.
Alors que l’obscur enflammait le ciel de teintes sombres, Siv, le cœur en lambeaux, luttait contre les chaînes invisibles de son destin. Le vent froid portait avec lui le cri déchirant de son fils, Jaal, une mélodie poignante qui se mêlait aux lamentations déchirantes de sa mère. Il n’était pas difficile d’entendre, à travers cette cacophonie de douleur, les rires triomphants et cruels de Garrath et de ses hommes. Ils célébraient leur sinistre victoire avec une jubilation macabre.
Les mains de Garrath, aussi froides et dures que le fer, enserraient le bras frêle de Siv, la traînant avec une brutalité dénuée de compassion vers l’ancienne demeure que la famille avait autrefois appelée foyer. Ses protestations, des supplications déchirantes, se perdaient, noyées dans le tumulte des railleries. Chaque rire était comme une dague dans le cœur de la mère éplorée, chacune de ses larmes, un témoignage silencieux de sa douleur.
Jaal, le visage marqué par l’horreur, ses yeux aussi grands et clairs que les lacs des Hautes Terres, ne pouvait que regarder, impuissant. Son jeune esprit tentait de saisir l’ampleur du mal qui s’étalait devant lui. Garrath, dans toute sa gloire perverse, se délectait de chaque larme, de chaque cri, se nourrissant de la douleur qu’il infligeait.
La maison, jadis un refuge d’amour et de rire, se dressait maintenant tel un sinistre monument à la cruauté de Garrath. Les ombres grandissaient, avalant tout espoir et toute lumière, alors que le jour, complice silencieux, se couvrait le regard d’un nuage enveloppant le monde de son voile sombre.
Ainsi, dans un lieu jadis paisible, se jouait une tragédie dont la noirceur égalait celle des légendes les plus sombres. La journée s’annonçait longue, et le destin de Siv et Jaal, incertain, était suspendu à un fil aussi ténu que la soie d’une araignée.
~
La masure, assombrie par le temps et les épreuves, se tenait en retrait par rapport aux étendues du lac. Une demeure qui avait été témoin de bonheurs oubliés et de tragédies silencieuses. Et en cette sombre journée, elle allait être le théâtre d’un affrontement sans pareil.
La porte à peine franchie, Siv, avec son allure fière et sa robe de lin froissée, devint l’incarnation même de la détermination. Son souffle court trahissait une fureur bouillonnante alors qu’elle se lançait à l’assaut de Garrath. Leurs corps entrelacés s’affrontaient avec une violence inouïe, rappelant les tourments de la nature elle-même. Les bras de Siv, mus par une force désespérée, fouettaient l’air avant de frapper leur cible, creusant la chair de Garrath avec une férocité que seul un cœur brisé pouvait inspirer.
Pourtant, malgré l’ardeur de sa défense, Siv ne put échapper à la force brute de Garrath. L’odeur métallique du sang remplissait l’air alors que la table de chêne massif, témoin muet de tant de repas partagés, se voyait profanée. Garrath, la respiration saccadée et le regard obscurci par le désir et la haine, cherchait à la dompter. Ses paroles, susurrées avec une douceur perverse, étaient des serpents venimeux qui cherchaient à s’insinuer en elle.
— Laisse-toi faire, et je t’épargnerai le pire, promettait-il, mais Siv, le regard plein de défi, cracha sa révolte :
— Plutôt mourir !
Chaque recoin de la pièce, chaque objet, devenait un arsenal pour Siv. Elle saisit un pichet d’argile, témoin des jours paisibles passés, et l’abattit sur Garrath avec toute la force que lui conférait sa rage. Mais même son coup le plus dévastateur ne suffit pas à le tenir à distance. Il répliqua avec une violence qui fit trembler les murs de la vieille masure. Leurs ombres, projetées par la faible lueur des rayons du soleil, dansaient sur les murs, dessinant un ballet macabre.
Au milieu de cette tempête, la pièce semblait se resserrer, les ténèbres engloutissant chaque coin et recoin. Malgré la douleur et la fatigue, Siv refusa de céder. Même lorsque Garrath, dans un accès de fureur, la souleva pour l’écraser contre le mur de pierre froide, elle refusa de baisser les yeux. La vision de Siv, crachant le sang de sa bouche tout en le fixant avec détermination, était d’une beauté tragique.
Garrath, les dents serrées et les yeux écarquillés par la rage, accentua sa pression sur la gorge de la jeune femme, cherchant à étouffer sa résistance.
— Je vais te briser le cou ! gronda-t-il, ses paroles emplies d’une promesse de douleur.
Mais même dans l’adversité, la voix de Siv était inébranlable :
— Essaie seulement.
La masure semblait retenir son souffle alors que le combat continuait, un duel implacable entre deux volontés indomptables. Qui, de l’agresseur ou de la défenseuse, sortirait victorieux de cet affrontement titanesque ? Seul l’avenir, capricieux et imprévisible, le dirait.
Dans la pénombre de cette demeure décrépite, les murs qui avaient entendu les échos d’innombrables drames gardaient leurs secrets. Sous la lueur tremblotante d’une chandelle qui menaçait de s’éteindre, le drame entre Siv et Garrath se déroulait avec une intensité palpitante.
Siv, avec la détermination ardente d’une louve protégeant ses petits, se défendait bec et ongles contre Garrath. Chaque frappe, chaque morsure qu’elle délivrait était le fruit d’une rage ancestrale, celle de tous ceux qui avaient été piégés avant elle. Ses coups retentissaient sur le cuir épais de la cotte de mailles de Garrath, résonnant dans le silence oppressant de la pièce. Le son de leur lutte s’entremêlait aux sifflements étouffés de leur souffle, à la cacophonie de la douleur et de la détermination.
La force herculéenne de Garrath était celle d’un homme habitué à dompter, à briser. Mais Siv, loin d’être une victime, était une force de la nature. Ses jambes, fines mais solides, se débattaient furieusement, cherchant un appui, un moyen d’échapper à l’étau mortel qui enserrait sa gorge.
La douleur lancinante, la peur viscérale qui la poussait aux limites de l’endurance humaine, l’envahirent. Dans un dernier élan de désespoir, ses doigts, semblables à des serres, cherchèrent le bras de Garrath, implorant du regard une once d’humanité. Mais les yeux de l’homme étaient aussi froids et impénétrables que le marbre noir d’un tombeau.
Quand Garrath relâcha enfin son étreinte, c’était avec une cruauté calculée, laissant Siv s’effondrer comme une marionnette désarticulée. Ses poumons, affamés d’air, s’emplirent d’un oxygène brûlant, et chaque inspiration était une douce torture. La marque cruelle autour de sa gorge témoignait de l’acharnement avec lequel elle avait été prise.
Mais même à terre, Siv n’était pas vaincue. Sa force de caractère, celle d’une femme ayant traversé les tempêtes de la vie, éclatait à travers sa douleur. Elle se traînait, chaque mouvement une agonie, chaque avancée un triomphe. Ses doigts, éraflés et ensanglantés, s’accrochaient aux lattes de bois usées du sol, laissant derrière elle une trace de sa détermination. Ses gémissements, loin d’être des signes de faiblesse, étaient les cris d’une âme qui refusait de succomber. Elle avançait, portée par une volonté inébranlable, déterminée à ne pas devenir une victime de plus dans les annales de la cruauté de Garrath.
Les poutres en chêne séculaires de la vieille demeure réverbéraient chaque murmure, chaque gémissement de la scène qui se jouait en son sein. Là, en cet instant précis, l’air se chargea d’une tension palpable, l’histoire de Siv, une femme au caractère de fer, se transformait, prenant un tournant aussi sombre que les légendes des anciens.
L’imposante silhouette de Garrath, avec ses épaules larges et sa chevelure aussi sombre que la nuit, s’était éclipsée devant Siv. Son sourire, qui ressemblait à celui d’un serpent à la vue de sa proie, avait disparu, remplacé par une lueur malsaine qui reflétait la noirceur de ses intentions. Ses doigts, forts et calleux, enserraient ses cheveux délicats comme s’il voulait s’approprier chaque parcelle d’elle.
— Pensais-tu vraiment échapper à mon désir, ma belle ? Le festin de ce soir ne fait que commencer ! éructa Garrath, sa voix rocailleuse écho de sa cruauté.
Il la traîna avec une brutalité sans égale, la plaquant contre la table en chêne.
Alors que Garrath, dans sa quête de domination, relevait audacieusement la jupe de lin de Siv, dévoilant la douceur de sa peau, un bouillonnement de rage monta en elle. C’était comme si un esprit sauvage, endormi en elle depuis toujours, se réveillait. Elle rugit, un son si puissant et primal que les murs en tremblèrent.
Ses yeux, jadis doux, étaient désormais flamboyants. Elle utilisa une force presque surhumaine pour repousser son agresseur. Un coup de pied délivré avec la fureur d’une lionne protégeant ses petits le fit tituber. En un éclair, elle le projeta contre le mur, le souffle coupé par l’impact. La violence de son poing, quand il s’écrasa sur le nez de Garrath, fut telle qu’elle aurait pu réveiller les spectres de cette vieille demeure.
Les injures de Garrath n’avaient plus l’assurance d’avant, son nez en sang témoignant de la détermination de Siv. Mais elle, avec la rapidité d’un faucon en chasse, dirigea sa rage vers le point le plus vulnérable de l’homme, le laissant à genoux, les mains serrées en signe de douleur.
Mais alors que Siv semblait avoir repris le contrôle, les portes lourdes s’ouvrirent avec fracas, révélant un guerrier aux allures barbares, portant le jeune Jaal comme trophée. Les reflets argentés de son armure contrastaient avec le noir de son casque, ne laissant entrevoir que ses yeux froids.
— Abandonne cette lame, ou le garçon paiera le prix de ta rébellion ! gronda-t-il, la menace claire dans sa voix, alors que la lame tranchante de son poignard dansait dangereusement près de la gorge fragile du garçon.
Au cœur de cette sombre salle, encadrée par des fenêtres qui distillaient une lumière presque surnaturelle, tout espoir semblait s’être éteint pour la brave Siv. Son corps, paralysé par l’horreur, était tendu à l’extrême, chaque muscle, chaque fibre résonnant du tumulte intérieur qu’elle éprouvait. Sa main, crispée autour de la garde de l’épée, trahissait le conflit qui se jouait en elle. Et, alors qu’un silence lourd s’abattait sur l’assemblée, elle laissa la lame glisser hors de sa main, son éclat s’éteignant aussitôt qu’elle touchait le sol. La pièce fut alors secouée par le soupir triomphant et grave de Garrath.
Les yeux de Siv, ombres de terreur dans un visage pâli, se posèrent sur Jaal, son fils. Sa voix, malgré son émotion, parvint à articuler son nom, comme un appel silencieux.
— Mère, nous ne pouvons fléchir... Pour la mémoire de père, pour notre honneur, murmura Jaal, la lueur déterminée de ses yeux contrastant avec les larmes qui en brouillaient la limpidité.
La mère, déchirée entre sa soif de vengeance et la sécurité de son unique héritier, répondit, la voix chevrotante :
— Comment puis-je sacrifier notre avenir ?
À cet instant, une lueur jubilatoire éclaira le regard de Garrath, qui avait momentanément perdu de sa superbe. Se redressant avec une nonchalance feinte, il appuya sa main sur la table massive, son doigt effleurant son oreille en lambeaux. Sa voix, mielleuse, était un poison doux :
— La Grande Faucheuse m’a ignoré aujourd’hui, mais je ne peux oublier ton audace. Tu m’as rappelé ton feu intérieur, celui de ton époux. Mais maintenant... c’est mon heure.
Et avant que quiconque ne puisse intervenir, sa brutalité éclata de nouveau. Il saisit Siv, la faisant pivoter violemment pour qu’elle lui soit entièrement exposée. Chaque coup semblait jaillir de ses entrailles, chacun plus sauvage et plus féroce que le précédent, un déchaînement de colère et de haine. Chaque impact résonnait d’une violence qui menaçait d’engloutir la Terre elle-même.
Jaal, témoin de cette cruauté, criait et se débattait, mais il était inexorablement retenu par le guerrier au masque d’acier, la froide lame de sa dague effleurant la peau délicate de sa gorge, le rappelant à sa cruelle impuissance.
L’antre, faiblement éclairé par la lueur vacillante des torches, abritait un tableau terrifiant que la douce Siv aurait voulu à jamais soustraire aux yeux innocents de son fils. Tandis que le visage de Jaal reflétait une terreur indescriptible, le regard froid et calculateur de Garrath se portait sur eux, empreint d’une cruauté sans bornes.
— S’il te plaît, Jaal, ne regarde pas, murmura Siv, sa voix tremblante.
Mais les griffes de la terreur retenaient le jeune garçon, l’empêchant de fermer les yeux. Garrath, dans un geste empli d’une violence théâtrale, tourna Siv vers lui. L’étoffe qui couvrait sa chair fragile fut arrachée, laissant sa peau d’ivoire vulnérable à la lumière mordorée de la pièce. La dague de Garrath, finement ouvragée et cruellement aiguisée, trancha l’air avant de s’abattre sur elle, y laissant une marque écarlate.
Le cri déchirant de Siv faisait écho aux murmures lugubres des vieux murs. Jaal, son cœur battant à tout rompre, sentit les mains d’un guerrier s’enrouler cruellement autour de ses boucles. Dans une effusion de sang, d’une teinte aussi rouge que les cerises sauvages de l’été, la vie commença à quitter Jaal, ses yeux s’éteignant lentement, laissant sa mère dans une douleur abyssale.
Siv se soumit alors à la violence dépravée, succombant à une pulsion profonde de rédemption, stupéfiée et silencieuse. Ses paroles et ses cris étaient noyés sous les gémissements grotesques de Garrath, qui résonnaient dans la pièce alors qu'il profanait Siv sans pitié. Il se délectait de la cruauté de ses actes, stimulé par un désir sadique. Le corps de Siv se contractait en spasmes, répondant aux sévices infligés par Garrath, qui émettait des soupirs immoraux de satisfaction.
Après le silence, lorsque Garrath eut terminé, il ressentit une étrange sensation d'apaisement, en harmonie avec sa respiration saccadée et haletante. Il se délecta de la souffrance de Siv, se recula, reprenant son souffle, un sourire sardonique dessiné sur ses lèvres. Siv, malgré la douleur et l’humiliation, rampa péniblement vers son fils. Ses yeux remplis de larmes, elle l’entoura de ses bras frêles, cherchant à le protéger même dans la mort.
Garrath ricana :
— Pauvre petite mère, toute cette bravoure en vain, cracha-t-il, tout en palpant une égratignure qui marquait désormais son oreille. Peut-être aurais-je dû te laisser vivre un peu plus longtemps, juste pour le plaisir de te voir souffrir.
Il éclata de rire, avant de donner un ordre tranchant à ses hommes.
— Brûlez tout !
À l’extérieur, les cavaliers s’affairaient à mettre le feu, le crépitement des flammes mêlé aux rires malveillants des hommes. Alors que le brasier commençait à consumer la demeure, Garrath et son bras droit, l’assassin de Jaal, se mirent en selle, s’éloignant rapidement, laissant derrière eux une mère brisée et un fils perdu.
Dans la distance, une silhouette solitaire observait, une rage froide consumant son cœur. La vengeance serait douce, et Garrath paierait pour ses crimes.
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