Chapitre III : Syllhana

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Au sein des voiles de la nuit, des incantations mystérieuses s’élevaient, empreintes d’une vérité aussi profonde que l’océan et d’une ruse aussi affûtée que la lame d’un maître forgeron : « Au cœur des entrelacs d’obscurité, là où le silence se fait l’amant des ténèbres, un pouvoir séculaire trouve refuge, un art ancestral capable de prédire les mouvements du plus féroce des ennemis. »

Chaque mot, porté par une voix d’outre-tombe, s’élevait majestueusement, faisant écho aux confins des montagnes couvertes d’un manteau blanc immuable. L’obscurité, plus profonde que les abysses, semblait absorber ces paroles, répercutant un hymne mystérieux, comme si les ombres elles-mêmes chuchotaient des secrets oubliés.

Émergeant de cette mer d’ébène, la voix s’intensifiait, guidée par la bise glaciale qui courbait les herbes argentées de la lande abandonnée.

« En embrassant le souffle de l’invisible, notre essence devient insaisissable, se transformant en une présence fantomatique, une énigme que même les plus sagaces ne sauraient déchiffrer, et un péril latent pour ceux qui, imprudemment, se risqueraient à croiser notre route. »

Chaque note de cette lamentation nocturne laissait une empreinte, une marque dans l’âme de ceux qui étaient suffisamment courageux, ou fous, pour écouter.



Au cœur d’un éclat doré, là où les premiers rayons du soleil embrassaient la terre, une douce caresse de vent matinal se glissait à travers les épicéas majestueux de la forêt de Kornlir. Ces arbres, gardiens ancestraux, avaient vu passer d’innombrables voyageurs cherchant à traverser la route miroitante de boue qui serpentait jusqu’à Khordull.

Khordull, la cité des ombres, était une promesse d’oubli pour les âmes tourmentées et un sanctuaire pour les guerriers sans honneur. Ses rues, bordées de demeures décrépites, abritaient les échos de rires brisés, les chuchotements des parias et les murmures des courtisanes, dont les regards énigmatiques promettaient autant de plaisir que de péril.

Perchée sur le versant d’une colline sinistre, la ville se dévoilait en une mosaïque de bâtiments construits en Chêne-Noir, un bois rare aux teintes pourpres, qui ajoutait à la mélancolie ambiante. Les toits massifs, faits de bastings robustes, courbaient la cité sous leur poids, créant une ombre perpétuelle qui assombrissait davantage les deux ruelles tristement célèbres, où même les plus téméraires hésitaient à mettre les pieds lorsqu’arrivait le crépuscule.

Au-delà de ses remparts, on racontait que Khordull était le marché noir de l’âme humaine. Les contrats d’assassins se négociaient dans les arrière-salles des tavernes enfumées, où l’or changeait de main aussi rapidement que les secrets. Les voyageurs, en quête d’anonymat ou de mercenaires prêts à verser le sang pour quelques pièces d’argent, étaient attirés par ses promesses. Mais la cité, avec ses jeux d’ombre et de lumière, était une danse perpétuelle entre la décadence et la dépravation, un lieu où la ligne entre la moralité et la monstruosité était aussi floue que le brouillard du matin.

~

À l’aube d’une journée mordorée, où les rayons naissants du soleil jouaient sur les cimes des arbres, un homme solitaire fendait l’air, chevauchant avec une grâce sauvage le sentier menant à Kornlir. Il portait un cuir patiné par les batailles, et sur ses épaules trônait une épaisse peau d’ours qui témoignait autant de sa force que de ses prouesses. Des mèches rousses, vives comme un brasier, s’échappaient de tresses soignées retenues par des lanières de cuir. Si le vent portait avec lui les légendes des grands guerriers, il aurait parlé de cet homme au visage rugueux et au regard tranchant comme la glace d’un hiver éternel.

Alors qu’il approchait de la porte sud de Khordull, ses yeux d’acier se posèrent sur une potence menaçante faite de chêne massif, surmontée d’une bannière noire encerclée d’argent. Un avertissement glacial pour tout contrevenant aux décrets stricts de la ville. L’homme, cependant, n’était pas homme à être intimidé. Un sourire sardonique fleurit sur ses lèvres tandis qu’il évaluait les risques et les récompenses.

Alors qu’il faisait son entrée, la populace, habituée aux visages bas et aux regards fuyants, s’arrêta pour le détailler. Mais face à leur curiosité palpable, il ne fit qu’arborer un sourire moqueur, sa stature imposante renforçant son arrogance naturelle.

Son regard d’aigle repéra une bâtisse grandiose, imposante, se dressant fièrement sur une rotonde de pierres. L’emblème qui la surmontait était impossible à ignorer : une dague d’argent inversée sur fond obsidienne.

 — La demeure de Gunnar..., murmura-t-il, son ton chargé de mépris à peine voilé.

Gunnar Smirtssen, de simple bandit de grand chemin à seigneur de Khordull, avait bâti un empire d’ombre et de peur, bien qu’il fut reconnu comme un allié du Roi Brand.

Cependant, l’intrigant établissement à la devanture écarlate attira son attention bien plus que le palais sombre du seigneur. La taverne de la Hache-Rouge. Il marcha avec prudence, chaque pas mesuré, chaque regard scrutant les ténèbres. Derrière l’auberge, dans la petite ruelle adjacente, il distingua une silhouette jeune et agile émergeant d’une grange.

L’adolescent, vêtu simplement, s’approcha avec une audace qui contrastait avec sa stature frêle.

 — Deux sous pour la nourriture et une pièce d’argent pour une nuit d’hébergement, lança-t-il avec assurance.

L’éclat dans ses yeux révélait son admiration pour la majestueuse monture de l’étranger.

Avec un sourire en coin, le guerrier jeta quelques pièces au jeune homme.

 — Cela couvrira mes frais. Veille sur lui.

Le garçon, gonflé de fierté, hocha la tête avec sérieux.

 — Comme toujours.

Le guerrier, intrigué par cette réponse, observa le garçon éloigner sa monture. Mais toujours vigilant, il porta sa main vers le pommeau de son épée, une lame dont le manche était orné d’une tête d’ours en argent, un bijou forgé par les meilleurs maîtres d’armes. Son histoire ne faisait que commencer à Khordull.

Le guerrier, dont le nom était encore inconnu, stoppa sa marche, l’air intrigué. Il observa longuement le ciel bleu foncé, où les dernières lueurs de l’aube s’estompaient, comme s’il cherchait à y déchiffrer une quelconque destinée. Ses épaules larges, couvertes d’une armure brunie par le temps et les combats, se tendirent un instant avant de se relâcher. Sa silhouette solide et imposante dégageait une aura de mystère et d’expérience.

Les dernières lueurs vacillantes des torches placées à l’entrée de la taverne illuminait faiblement son visage buriné, mettant en valeur cette cicatrice qui le marquait profondément. Les murmures des habitants du village, qui se trouvaient à proximité, témoignaient de la réputation qui précédait cet homme. Pour certains, c’était un héros, un combattant sans pareil. Pour d’autres, il était l’incarnation même de la trahison, un homme qui ne connaissait ni la loyauté ni l’honneur.

Lorsque ses yeux d’émeraude se posèrent sur le destrier, un sentiment de nostalgie l’envahit. Le souvenir d’une époque révolue, d’un temps où il chevauchait aux côtés d’un frère de combat aujourd’hui disparu, le submergea. L’animal, de race Dangharienne, était réputé pour sa robustesse et sa rapidité sur les champs de bataille. Son pelage lustré et ses muscles saillants trahissaient l’excellence de son pedigree.

 — Par les Anciens..., murmura l’homme, impressionné par la beauté majestueuse de la bête.

Il s’approcha doucement, laissant ses doigts parcourir la crinière ébène du destrier, qui frissonna sous son toucher.

 — De toute beauté, souffla-t-il.

Le cheval tourna légèrement sa tête, ses yeux noirs fixant le guerrier comme pour le sonder, le reconnaître.

 — Je savais que je te retrouverais, susurra le guerrier, un sourire tendre fleurissant sur ses lèvres.

La perspective de vendre un tel animal aurait dû lui briser le cœur, mais il était conscient que le temps était venu de tourner la page, d’embrasser un nouveau chapitre. La voix rauque du guerrier brisa le silence de la matinée :

 — Avec les pièces que tu me rapporteras quand j’aurais envoyé ton maitre dans l’au-delà, je pourrai peut-être enfin racheter ce qui a été perdu, et redorer notre blason.

Il caressa une dernière fois l’encolure du destrier avant de se diriger vers la taverne, conscient que la soirée lui réserverait encore bien des surprises.

Les portes massives de l’auberge de la Hache Rouge s’ouvrirent lentement, laissant entrevoir une silhouette familière. L’homme avança, chacun de ses pas mesuré, sa démarche rappelant celle d’un prédateur en chasse. Sous la cape qu’il portait, son sourire énigmatique cachait un océan de réflexions, des secrets qu’il n’était pas encore prêt à partager.

L’intérieur de l’auberge était une ruche d’activité : hommes et femmes, buvant et chantant, l’air chargé des effluves d’alcool, du parfum des femmes et du fumet des viandes grillées. Mais parmi cette cacophonie, un détail attira son attention. Dans l’obscurité d’un coin reculé, une silhouette solitaire semblait surveiller la pièce, ses yeux scrutant chaque mouvement avec une précision presque inquiétante.

Ignorant les appels des prostituées et les défis des ivrognes, l’homme se fraya un chemin à travers la foule jusqu’au comptoir. La chaleur de la pièce émanait de l’âtre central, projetant des ombres dansantes sur le sol en bois usé et éclatant de reflets d’or sur les bouteilles alignées. Il commanda une bière, laissant ses pièces d’or retentir sur le bois usé du comptoir.

Le tavernier, un homme à la barbe poivre et sel et aux yeux rusés, le dévisagea un instant avant de déclarer :

 — Ce n’est pas un endroit pour les problèmes, étranger.

 — Je suis ici à la demande du Patricien, répondit l’homme, sa voix grave tranchant dans le murmure ambiant.

Le tavernier eut un sourire narquois.

 — Et je parie qu’il t’a bien payé. Mais un conseil : prends quelques pièces pour toi, et rends-lui le reste. Il y a des forces ici, dans les ombres, que même l’or ne peut acheter.

L’homme termina sa boisson d’un trait, son regard fixé sur la silhouette mystérieuse.

 — Chaque homme a son prix, tavernier. Le mien est suffisamment élevé.

Il se leva brusquement, faisant tomber volontairement son pichet sur le sol, attirant tous les regards.

 — Je suis ici pour toi, dit-il d’une voix tonnante en direction de l’ombre.

Le murmure de la foule cessa. Les hommes se mirent à chuchoter entre eux, certains reculant, d’autres se levant de leurs sièges. La tension était palpable. Le guerrier, conscient de chaque mouvement autour de lui, glissa sa main vers la poignée de son épée.

Et alors, de l’ombre, une voix s’éleva :

 — Pas si vite, Chasseur.

La femme émergea des ténèbres. Ses cheveux noirs, tressés élégamment d’un côté, tombaient sur une armure de cuir ajustée. Ses yeux brillaient d’une lueur froide et calculatrice.

 — Cette épée, Chasseur, a été forgée dans les flammes de Thyrrim. Elle a un prix, tout comme toi.

Il sentit son cœur s’emballer, mais garda une expression neutre. La danse mortelle entre le chasseur et la chassée venait de commencer, et dans cette taverne, nul ne savait qui serait la proie.

Avec un grondement des flammes dans l’âtre et l’ombre dansante des bougies, le guerrier imposant fit son entrée, chaque pas empreint d’une assurance qui trahissait des années de combat. La lumière tremblante joua sur son visage pour révéler un sourire condescendant, semblable à celui d’un chat jouant avec une souris.

 — Me prendrais-tu pour un sot, femme, ou crois-tu réellement pouvoir m’impressionner avec ces yeux fiers ? demanda-t-il, sa voix riche et profonde teintée d’une arrogance palpable.

La guerrière, une silhouette presque envoûtante à la lumière vacillante, ne montra aucun signe d’intimidation face à son insolence. Ses yeux, clairs et perçants comme des étoiles d’hiver, ne cillèrent pas en croisant les siens. D’une voix égale, elle répondit :

 — Je ne cherche ni à te commander, ni à t’impressionner, Chasseur. Je t’annonce simplement les sombres répercussions qui découlent de ta présence ici.

S’épanouissant dans son arrogance, le chasseur abaissa sa lame brillante, sa pointe griffant le plancher en bois ancien. Ses yeux parcoururent la guerrière, s’attardant sur ses bottes de cuir bien portées, sur la culotte en peau sombre qui épousait ses jambes, sur sa tunique en lin d’une blancheur éclatante. Une cape de chanvre, aussi sombre que la nuit sans étoiles, ondulait derrière elle, fixée à sa taille par une ceinture en cuir ornée d’une boucle d’argent massif représentant la tête d’un loup. Le cuir renforcé enveloppait ses épaules comme une armure, et sur son front, un tatouage complexe en forme de rune guerrière s’enroulait, énigmatique et puissant.

S’éclaircissant la voix d’une manière théâtrale, il annonça :

 — Face à toi se tient ton destin funeste, l’instrument de ta fin prochaine. Je suis Nils Helgersson, le redouté Chasseur de la Guilde des Ombres. Ton apparence, bien qu’impressionnante, ne me dissuade point. Je t’offre même le privilège de la première attaque.

Un soupir, presque inaudible, échappa à la guerrière, mais lorsqu’elle prit la parole, sa voix était d’acier.

 — Alors, c’est ainsi que la Völva prophétisera ton trépas... Nils Helgersson.

Ses yeux ne quittèrent pas les siens, sondant les abysses de son âme.

 — Je suis peut-être encline à écouter ta proposition. Mais ne t’y trompe pas, elle naît de ma clémence, pas de ma faiblesse. Si tu cherches la paix, range ton arme et disparais dans les ombres d’où tu viens. Sinon...

Son sourire s’élargit, découvrant des dents blanches.

 — Sinon quoi ?

 — Sinon, elle répondit, son regard se faisant plus froid, la lueur du crépuscule sera la dernière lumière que tes yeux verront.

Tandis qu’elle parlait, un bruit sourd se fit entendre, suivi du grondement menaçant d’une bête. De l’obscurité, un loup blanc impressionnant, à mi-taille d’homme, émergea. Ses yeux vairons fixèrent le chasseur avec une intensité presque humaine. Le silence était palpable, brisé uniquement par le grognement de la bête et le battement cardiaque du chasseur.

 — Dakkah, murmura la guerrière, et la bête obéit, s’évanouissant dans les ombres tout aussi rapidement qu’elle était apparue.

Avec un hoquet d’incrédulité, Nils parla :

 — Tu... Tu es celle qui marche avec la bête du Nord...

 — Je suis bien des choses, Nils Helgersson, dit-elle en avançant, son épée brillant dangereusement à la lumière. Mais aujourd’hui, je suis ta juge. Choisis bien ton prochain geste, car il pourrait bien être ton dernier.

Sous le lustre vacillant de la taverne, la guerrière leva son épée vers l’homme en face d’elle, ses doigts s’enroulant fermement autour de la poignée, l’un d’eux glissant doucement le long de la lame en acier pur, reflétant une lueur pâle et argentée. Le corset de fer qu’elle portait moulait sa silhouette, tandis que la peinture noire ornant son visage, qui s’étendait d’une oreille à l’autre, semblait absorber la faible lumière, faisant ressortir l’éclat de ses yeux d’un bleu abyssal.

L’homme, un colosse en armure au cuir gravé et doté d’une allure d’arrogance, la toisait avec une suffisance évidente.

 — Ces peintures et ces vêtements exotiques ne te protégeront pas de la fureur de ma lame, femme, dit-il avec un rire sardonique. Mon épée a déjà connu le sang de bien des charlatans comme toi.

La guerrière, un sourire narquois aux lèvres, répliqua, sa voix emplie de défi :

 — Continue à parler, vaniteux. La dernière fois que quelqu’un m’a sous-estimée, il a fini par supplier sa propre lame de le délivrer de sa douleur

L’homme haussa un sourcil, intrigué par sa bravade. Cependant, avec une rapidité surprenante, il bondit vers elle, l’épée en avant, prêt à en terminer. Mais elle, agile comme une hirondelle, se déplaça avec une grâce surnaturelle, évitant l’attaque mortelle de l’homme qui se retrouva déséquilibré, sa lame mordant le sol en bois.

Profitant de cet instant de vulnérabilité, elle tournoya autour de lui, son épée décrivant un arc précis et meurtrier, tranchant l’air avant de s’abattre. Un souffle coupé, un éclaboussement pourpre, et l’homme tomba, sa tête séparée de son corps.

La pièce était silencieuse, la tension palpable. La guerrière, essuyant le sang de sa lame sur le pourpoint de sa victime, se tourna vers les spectateurs horrifiés.

 — Que sa tête soit une offrande pour la Völva. Et que sa bourse remplisse les coffres de cette taverne.

Alors que des murmures d’admiration parcouraient la salle, le loup émergea des ombres, reniflant brièvement le corps avant de marquer son territoire. Les clients de la taverne, bien que terrorisés par la bête, étaient incapables de détourner les yeux.

Le tavernier, ce vieil homme ridé aux cheveux grisonnants, se leva lentement de son siège.

 — Il aurait dû savoir à qui il s’adressait. Vous n’avez rien à craindre ici, guerrière. Il cherchait les ennuis, et il les a trouvés.

La guerrière hocha la tête en signe d’acquiescement, puis, avec un dernier regard méprisant vers le cadavre, elle sortit de la taverne, le loup à ses côtés, laissant derrière elle une légende qui serait racontée pendant des générations.

~

Les ombres se dessinaient de façon inquiétante sur le trône massif en bois sculpté, orné de complexes motifs runiques et drapé de fourrures de bêtes rares. Ce siège royal dominait un ensemble de marches solennelles dévalant vers un dallage froid, presque luisant, taillé dans la plus fine des pierres d’ardoise. Bien que des flammes rugissantes s’échappent des brasiers situés de part et d’autre de la salle, un froid glacial persistait, conférant à l’atmosphère une tension palpable. Les hauts murs revêtus d’un bois sombre étaient ornés d’armes majestueuses et de trophées de chasse, témoignant des exploits passés.

L’homme, assis avec une dignité presque royale sur le trône, avait une crinière flamboyante qui tombait sur ses épaules en cascades, restant étrangement immobile malgré l’annonce qui venait de lui être faite. Chaque mèche semblait avoir été tissée avec le feu de mille soleils.

Le garde, portant une pique sculptée avec des détails exquis, s’inclina avec une gravité qui trahissait son anxiété. Il prit une grande inspiration avant d’annoncer :

 — Monseigneur, des murmures courent parmi les villageois. Ils disent que la Femme, celle qui partage le souffle du loup des ténèbres, a encore frappé.

Les yeux gris acier du monarque se levèrent lentement, reflets d’orages lointains dans leur profondeur. D’une voix grave, il questionna :

 — Quel malheureux a succombé cette fois-ci ?

Le garde avala sa salive, sa voix tremblante, mais claire :

 — Helgersson, Monseigneur. Nils Helgersson, l’un des plus braves de la Guilde des Chasseurs.

Un silence lourd tomba sur la pièce. Le souverain se leva, sa silhouette dominante se détachant de l’obscurité. Son visage, éclairé par les flammes vacillantes, semblait sculpté dans la pierre, ses traits déterminés et perçants.

 — Parle-moi davantage de cette altercation. Qu’a-t-il fait pour mériter un tel sort ?

 — Il se vantait, Monseigneur, répondit le garde, sa voix faiblissant à chaque mot. Il prétendait avoir reçu une missive du Patricien, mentionnant un contrat spécifique... concernant la tête de cette femme.

Le monarque se mit à rire, un rire froid qui ne parvint pas à réchauffer la pièce glaciale.

 — Ah ! Les folies de la jeunesse. Mais il semble que sa langue l’a conduit à sa perte.

 — Oui, Monseigneur. C’est elle qui a pris sa tête avant qu’il ne prenne la sienne.

Le seigneur Gunnar se perdit un moment dans une réflexion profonde.

 — Fais-la venir. Mais avec tout le respect qu’elle mérite.

Le garde hésita.

 — La convoquer, Monseigneur ? Mais...

Gunnar le coupa d’un geste impérieux de la main.

 — Elle est une légende, une élue de l’Ordre des Ombres. Elle a conquis plus de terres que bien des rois. Envoie quelqu’un qui saura l’approcher avec délicatesse.

 — Oui, Monseigneur. Je m’exécuterai immédiatement.

Et alors que le garde se retirait, la lueur des torches reflétait l’intérêt renouvelé dans les yeux du souverain, un homme qui avait vu tant de batailles, mais qui était toujours avide de nouvelles intrigues.

~

À la lisière de la ville de Khordull, où les remparts ancestraux cèdent la place aux vastes étendues sauvages, une imposante grange émergeait du paysage. Ses structures en bois de chêne, polies par le temps, se mêlaient à des torchis patinés par les saisons, solidement ancrées sur des fondations de pierres taillées, témoin des âges passés. Elle dominait une petite vallée verdoyante, première halte avant d’atteindre la forêt mystique de Kornlir, où selon la légende, les esprits anciens murmuraient encore.

Deux modestes fermes se nichaient à ses côtés, protégées par l’ombre de cette grange vénérable. Entre ces bâtiments, s’étendait une mosaïque de champs, où la terre aride était sillonnée par des marques de labours récents.

C’est au cœur de ce tableau pastoral que Sören, un fermier à la peau burinée par le soleil, maniait avec détermination sa binette. Ses vêtements, bien que simples et usés par le temps, racontaient l’histoire d’une vie passée au service de la terre. Chaque goutte de sueur qui perlait de son front était un testament à son dévouement inébranlable.

Lorsqu’il entendit le lointain galop d’un cheval, Sören interrompit son labeur. Le bruit se rapprochait, rythmé, inéluctable. Il se redressa avec effort, ses articulations craquant sous l’âge et le travail, et scruta l’horizon. Une silhouette se détachait au loin : un cavalier en armure de cuir sombre, le visage partiellement caché par un casque à protection nasale.

Le cavalier s’arrêta devant lui, son regard scrutant Sören. D’une voix autoritaire, il l’interrogea :

 — Sören ?

 — C’est moi, répondit le vieil homme d’une voix éraillée mais résolue. Elle est à l’intérieur. Elle m’a dit que tu viendrais.

Le cavalier observa un instant la grange, semblant peser ses options. Avec une certaine réticence, il descendit de son cheval, laissant échapper un soupir qui trahissait une certaine tension. Sören, souriant à demi, reprenait son travail, semblant apprécier le désarroi du visiteur.

Alors que le cavalier se dirigeait vers l’entrée, une voix taquine s’éleva du sommet de la grange :

 — Si c’est moi que tu cherches, mercenaire, lève les yeux.

La guerrière, vêtue de cuir et d’acier, était perchée sur une poutre, une lueur malicieuse dans le regard.

Retirant son casque, le cavalier la salua avec une déférence respectueuse.

 — La guerrière de l’Ordre des Ombres est attendue par le seigneur Gunnar. Sa présence est requise dans la grande salle.

Elle sourit, amusée par la solennité du messager.

 — S’agit-il d’une invitation ou d’un ordre ?

Après un moment d’hésitation, le cavalier répondit :

 — Je suis simplement le messager, madame. Je vous suggère de répondre à l’appel.

La guerrière acquiesça d’un signe de tête, son sourire ne faiblissant pas.

 — Dis-lui que j’arriverai bientôt... en tant qu’amie.

Le cavalier inclina respectueusement la tête et s’éloigna au galop, laissant derrière lui une grange baignée de mystère, où les échos du passé et les intrigues du présent se croisaient.

~

Dans la vallée d’Orlir, là où les contes étaient sculptés par le temps lui-même, la cité de Khordull s’élevait fièrement, dorée par l’éclat d’un soleil matinal. Le ciel, d’une teinte azur presque irréelle, enveloppait la ville d’une sérénité presque trompeuse. Chaque rayon solaire qui traversait les nuages semblait converger vers une figure solitaire qui s’avançait en direction du castel du seigneur de Khordull.

La guerrière des Ombres, marchait d’un pas déterminé, mais ses yeux, aussi tranchants que les lames qu’elle portait, ne cessaient de scruter chaque détail. Elle était sur ses gardes, chaque mouvement, chaque souffle calculé. Ses doigts frôlaient constamment le pommeau de son épée, prête à dégainer à la moindre menace.

Devant elle se dressait le portail de la demeure, une œuvre d’art façonnée dans le chêne le plus robuste, chaque madrier semblait raconter une histoire, un passé glorieux de batailles et de trahisons. Elle monta les marches du castel, avec une majesté qui n’appartenait qu’à elle, passant entre les statues érodées par le temps et les sentinelles revêtues d’armures étincelantes. Chacun de leurs regards était fixé sur elle, leurs lances, affûtées et menaçantes, prêtes à frapper. Mais ils n’osaient bouger, pétrifiés non par la peur, mais par un respect inavoué.

Alors qu’elle approchait de la grande salle, une silhouette se détacha de l’obscurité. Un homme, grand et imposant, avec une pique d’acier aussi froide que son regard, s’interposa entre elle et sa destination. Sa voix, empreinte d’autorité, exigea :

 — Armes au sol, étrangère !

La guerrière le dévisagea avec amusement, son regard scrutant chaque détail de cet homme qui osait lui barrer la route. Elle sourit, un sourire narquois qui trahissait une confiance en elle inébranlable.

 — Prends-en soin, dit-elle, déposant ses armes avec une lenteur calculée. Ses doigts effleurèrent le pourpoint du gardien.

 — La fausse rigueur est le bouclier des faibles. Un vrai chef est reconnu par sa loyauté, pas par sa posture.

Elle se pencha, son visage à quelques centimètres du sien.

 — Si une seule de mes lames manque, tu te souviendras de ce jour comme du dernier où tu as respiré librement.

Elle se redressa, lui offrant un clin d’œil complice avant de continuer son chemin vers la grande salle, laissant derrière elle un homme décontenancé, son assurance brisée par une femme dont la réputation la précédait.

~

La majestueuse salle de Khordull, dont les échos avaient jadis porté les chants de fête et les cris de guerre, vibrait maintenant d’une tension palpable. Les tapisseries aux teintes azur et or qui ornaient les murs racontaient les hauts faits des ancêtres du seigneur, mais ce soir, les ombres qui s’y jouaient trahissaient une ambiance beaucoup plus lourde. La salle, bien que familière aux yeux aguerris, était désormais peuplée d’une horde de gardes, leurs armures étincelantes reflétant la lumière vacillante des chandelles.

Syllhana, la guerrière au regard d’azur, pénétra dans cette atmosphère étouffante, sa cape ondulant à chacun de ses pas. Elle remarqua les gardes, non pas par leur nombre, mais par le léger tremblement de leurs mains, trahissant une peur ou une anticipation.

Au fond de la salle, sur un trône sculpté de scènes de chasse, le seigneur Gunnar se tenait, sa posture autrefois altière semblait plus lasse, ses doigts entrelacés soutenant son menton. En voyant la guerrière, un voile de préoccupation traversa son regard, mélange de surprise et d’inquiétude. Syllhana s’avança, la démarche gracieuse et déterminée, répondant à son regard par un sourire moqueur.

Lorsque Gunnar prit la parole, sa voix, autrefois ferme, tremblait d’une émotion contenue.

 — Où est-elle, cette créature dont tu te faisais l’égide ?

Elle haussa un sourcil, feignant la surprise.

 — Elle est à sa place, libre comme le vent, indomptée et sauvage.

Un frisson parcourut l’assemblée à ces mots. Gunnar, le visage marqué, se leva, sa stature imposante dominait la salle.

 — Laissez-nous, ordonna-t-il, la voix dure comme l’acier.

Velnar, capitaine de la garde, fronça les sourcils, échangeant un regard incertain avec ses compagnons. Sa loyauté envers son maître se heurtait à sa responsabilité de le protéger.

 — Tu oses questionner mes ordres ? siffla Gunnar, sa patience s’amenuisant.

Velnar, bien que fier, sentit la froideur de la menace peser sur lui et, avec une révérence rapide, se retira avec ses hommes.

Le crépitement du feu fut le seul témoin de cet échange tendu entre les deux figures. Gunnar, le regard fixé sur Syllhana, semblait chercher des réponses dans ses yeux bleus.

 — La courtoisie de ton accueil est touchante, vieil ami. Tu deviens paranoïaque avec l’âge ? se moqua-t-elle.

Gunnar soupira, passant une main fatiguée sur son front.

 — Le poids du pouvoir peut parfois altérer le jugement, même le mien.

Elle rit, un rire cristallin, mais ses yeux ne cachaient pas son inquiétude.

 — Trois jours ici, sans nouvelles, sans visites. Es-tu devenu un simple monarque, caché derrière ses gardes et ses responsabilités ?

L’atmosphère se fit plus lourde, les ombres dansant plus vivement sur les murs, comme si elles s’impatientaient. Gunnar, la mâchoire serrée, parla enfin.

 — Parlons de cette tête coupée, de cet accord brisé...

Syllhana, tout en confiance et assurance, retint son souffle, préparée à une confrontation dont l’issue pourrait bouleverser Khordull pour toujours.

Le silence régnait dans la pièce, seulement rompu par le crépitement des flammes dans la cheminée. Syllhana, avec une grâce imperturbable, faisait face à l’orage intérieur de Gunnar.

 — Penses-tu que le Patricien m’aurait offert le luxe du choix ? Que j’aurais pu contrôler sa volonté irrépressible ? Elle était telle une bête enchaînée, répondit-elle avec une douceur poignante. Et nous savons tous deux que la loyauté du Patricien va là où souffle le vent. Quant à son « roi »...

Elle laissa sa voix se teinter d’ironie tout en affichant un sourire narquois.

Gunnar, les épaules tendues, lâcha un soupir las :

 — J’aimerais que tu mesures chacune de tes paroles, Syllhana. Car en ces temps incertains, elles ont le pouvoir d’enflammer ou d’apaiser.

Elle inclina la tête, fièrement.

 — Conseil ou menace, Gunnar ?

Un instant, l’atmosphère fut électrique, leurs regards se croisant comme deux épées s’entrechoquant. Gunnar brisa le silence, sa voix aussi tranchante qu’une lame :

 — Quand on surestime ses ennemis, on risque d’isoler ses alliés. Et un jour, peut-être, tu te retrouveras seule face à la tempête.

Un frisson parcourut Syllhana, elle qui avait toujours su lire entre les lignes des discours du seigneur.

 — Les paroles peuvent se répandre comme le feu, et une fois l’incendie déclenché, aucun mur, si épais soit-il, ne pourra le contenir, ajouta-t-il.

L’atmosphère s’adoucit quelque peu, et Syllhana avoua d’une voix douce-amère :

 — Peu importe où je vais, ils me traquent. Tu le savais...

Il passa une main lasse sur son visage barbu.

 — J’en étais conscient, certes. Mais je ne pensais pas que tu leur donnerais autant d’opportunités.

La tension remonta d’un cran.

 — Trois chasseurs, morts dans ma province. Trois de trop, insiste Gunnar.

 — Quatre, corrigea Syllhana avec un brin d’amusement.

Gunnar écarquilla les yeux, et elle poursuivit :

 — Il y eut cette nuit, chez Farnssen. L’imbécile a cru bon me prendre par surprise.

La nouvelle semblait avoir pris Gunnar au dépourvu.

 — Et le corps ?

Elle haussa les épaules.

 — Divisé, enterré. Je pensais te rendre service en m’occupant de cette corvée.

Gunnar se tourna vers elle, la tempête de ses émotions clairement visible dans ses yeux.

 — Fais attention à ton arrogance, Syllhana. Elle pourrait te coûter cher.

Elle rétorqua, le feu dans le regard :

 — Peut-être devrais-tu te souvenir de l’homme que tu étais, de l’éclat de ton nom sur les champs de bataille, plutôt que de te cacher derrière ton titre et de te soumettre à un roi de pacotille.

Il sembla blessé, ses épaules s’affaissant légèrement.

 — C’était un autre temps, Syllhana. Et même toi, tu devras me reconnaître comme Seigneur Gunnar, maître de Khordull et d’Orlir.

La tension était palpable entre ces deux âmes entrelacées par le passé, tiraillées entre honneur et loyauté.

Dans l’atmosphère chargée de la grande salle, chaque ombre projetée par les bougies vacillantes racontait une histoire d’ambition et de trahison. Le bois sculpté du trône semblait vibrer sous la tension palpable.

Syllhana, lança un regard empreint d’ironie à Gunnar.

 — Peut-être attendais-tu une révérence à ta grandeur nouvelle ? ironisa-t-elle, la lueur malicieuse de ses yeux illuminant le visage autrefois familier de Gunnar.

Gunnar, ce seigneur à la stature imposante et aux yeux vifs, ne put s’empêcher d’éclater d’un rire sonore, à la fois sincère et triste. Mais son amusement fut de courte durée. Passant une main sur son visage fatigué, il prononça son prénom :

 — Syllhana, comme un mantra, espérant peut-être en invoquer un passé lointain.

Avec une espièglerie feinte, elle répliqua :

 — Ah, les vieilles habitudes ont la vie dure. Mais une révérence, même venue d’un seigneur, pourrait s’avérer dangereuse pour une humble guerrière comme moi.

 — Amie, tu te joues de ma patience, rétorqua-t-il d’un ton acerbe. Mais permets-moi de te rappeler que les jeux ne durent qu’un temps.

Elle le fixa, les éclats sincères de son regard se heurtant à l’acier froid des yeux de Gunnar.

 — Des amitiés, des serments, des batailles... ne sont-ce pas là les piliers de notre relation, Gunnar ? murmura-t-elle.

 — Les souvenirs ne suffisent pas pour tenir tête aux exigences du Patricien et de son roi. Le temps où je pouvais te protéger est révolu, répliqua-t-il, la tristesse teintant sa voix d’une gravité nouvelle.

L’accusation sous-jacente résonna dans la salle. Syllhana, les paupières alourdies par la trahison, osa poser la question que ses yeux brûlants imploraient :

 — Est-ce leur ordre ? Dois-je être sacrifiée pour satisfaire leurs désirs ?

Gunnar détourna le regard, visiblement mal à l’aise.

 — Pas du Patricien, non, concéda-t-il, mais d’un autre. Un puissant, dont le murmure dirige la volonté d’un roi.

L’étonnement de Syllhana fut palpable, mais la fatigue la submergea presque aussitôt. Elle déglutit, et dans un moment de triste résignation, elle murmura :

 — Quel choix me reste-t-il donc ?

 — Les Guerriers Kriggs sont à tes trousses. Et la directive est claire : la Guerrière des Ombres doit disparaître ou...

Gunnar s’interrompit, la gorge nouée par l’émotion.

 — Ou ? insiste Syllhana, la détermination revenant dans sa voix.

 — Ou sa tête trônera sur les murailles de la Forteresse de Chêne. Je ne peux t’offrir plus que mes condoléances, mon amie.

Les regards de ces deux guerriers d’antan se croisèrent, lourds de souvenirs.

 — Nous avons combattu côte à côte, Gunnar. Mais regarde où cela nous a menés, dit Syllhana, la tristesse perçant à travers sa voix.

Il esquissa un geste, mais elle le stoppa en plaçant doucement une main sur son épaule.

 — Je te fais confiance, malgré tout. Je m’enfuirai, mais ne trahis pas ma destination. Il y a des trahisons que l’on est prêt à accepter.

La douleur se peignit sur le visage de Gunnar, et il baissa la tête. Syllhana, avec toute la grâce qui la caractérisait, recula et, sans un mot de plus, quitta la grande salle, laissant Gunnar seul avec ses pensées et ses regrets.

~

Alors que les lueurs crépusculaires de Khordull baignaient la cité d’une teinte ambrée, Syllhana surgit des portes de la majestueuse demeure de Gunnar. Les dégorgeoirs qui ornaient le sommet de la bâtisse crachaient des flots d’eau en cette fin d’après-midi pluvieuse, comme si elles versaient des larmes en la voyant partir. D’un pas déterminé, elle se dirigea vers son destrier, le magnifique étalon noir, dont la robe semblait absorber la faible lumière du jour.

Se hissant sur sa selle avec l’élégance d’une danseuse et la détermination d’une guerrière, elle fit claquer les rênes, guidant sa monture hors des remparts. Les drapeaux de la cité flottaient avec force, agités par un vent du nord, qui emmêlait sa chevelure ébène. Syllhana, l’âme en feu et le regard tourné vers l’horizon, s’avançait imperturbable, éclipsant même les murmures et chuchotements qui bourdonnaient autour d’elle.

Les rues pavées de Khordull étaient animées par les marchands, les bardes et les enfants, mais à l’approche de Syllhana, une onde de respect, mélangée à une once de crainte, se propageait. Les étals de poissons et d’épices se vidaient comme par magie, laissant un passage net à la guerrière.

Au détour d’une ruelle, l’enseigne d’une auberge griffée par le temps se balançait doucement. Alors qu’elle approchait, Syllhana émit un sifflement perçant, et, comme un spectre émergeant des ténèbres, le loup majestueux à la fourrure d’argent se joignit à elle. Les dames de la nuit, aux robes écarlates, sourirent de leur balcon, admirant la scène avec amusement et envie. Chacun, dans la cité, savait que le périple qui s’annonçait pour Syllhana était aussi risqué qu’exaltant.

Poussée par le vent du destin, elle guida son étalon et son loup hors des limites urbaines, vers les terres sauvages de Kornlir. La grande forêt s’étendait devant eux, telle une mer verte et sombre, promettant mystères et dangers. Sans hésitation, ils pénétrèrent sous le couvert des arbres centenaires, prêts à affronter ce que l’avenir leur réservait. Les oiseaux nocturnes, de leurs cris perçants, saluèrent leur entrée, comme un présage des aventures à venir.

~

Au cœur de l’épaisse et mystérieuse forêt de Kornlir, les chênes antiques se déhanchaient au rythme de la mélodie sifflante de la brise, leurs branches noueuses semblables à d’anciennes mains agitant des malédictions. Les Chênes-Noir, tels des sentinelles ombrageuses, se dressaient avec une prestance presque surnaturelle, ensorcelant quiconque osait croiser leur route.

Syllhana, dont les récits épiques de ses aventures résonnaient jusque dans les lointains royaumes du Nord, se trouvait sous leur charme. Elle avançait, baignée par de sporadiques faisceaux de lumière qui semblaient comme des doigts célestes cherchant à percer l’obscurité des feuillages. À ses côtés, le loup Dakkah, aux yeux aussi pénétrants que la plus précieuse des pierres d’ambre, marchait avec une vigilance farouche.

Soudain, une intuition frappa Syllhana : ils devraient établir leur camp à l’abri des premières ombres du crépuscule. Dans les méandres de son esprit, elle se souvint de certains recoins discrets, nichés dans ces bois labyrinthiques. De petits sanctuaires où le gibier abondait. Elle partagea ses pensées avec Dakkah, qui émit un grondement approbateur, les yeux déjà brillants à l’idée d’une chasse nocturne.

Mais alors que leur route les portait vers un croisement de sentiers, rendu glissant par la boue, la monture de Syllhana s’immobilisa brusquement, renâclant. Une aura sinistre planait. En un éclair, Dakkah disparut parmi les fougères, se fondant dans la pénombre.

Le cœur de Syllhana battait la chamade. Elle dégaina une hache, aux reflets d’acier menaçants, et s’apprêta. Quelque chose n’allait pas. Une ombre, presque imperceptible, bougea entre les troncs. Une flèche effleura sa joue, laissant une éraflure ardente. En un battement de cœur, elle était au sol, positionnant sa monture comme bouclier.

L’agresseur émergea : un homme vêtu de cuir et de maille, portant la marque distinctive des chasseurs de la Guilde. Mais Syllhana, rapide comme l’éclair, le désarma d’un coup de pied, sa hache effleurant sa gorge.

 — Parle, gronda-t-elle, ou meurs.

Sous la pression de la lame et la menace du prédateur tapi dans les ombres, il se présenta :

 — Lars Eralsson, envoyé de Dame Alexa.

Sa voix trahissait une pointe d’arrogance, mais Syllhana discerna la peur dans ses yeux.

 — Dame Alexa, murmura-t-elle, les yeux étincelants de colère. Elle met un prix sur ma tête ?

L’homme hocha la tête.

 — Cinquante pièces d’or pour la tienne, et vingt-cinq de plus pour celle de ton loup.

Un sourire féroce ourla les lèvres de Syllhana.

 — Elle pense qu’une misérable prime suffira à m’arrêter ?

Sans un mot de plus, sa hache fit son œuvre.

Lorsque le calme revint, elle siffla doucement et Dakkah émergea des ombres, son pelage taché de boue mais ses yeux aussi vifs que jamais. Ils avaient encore un long chemin à parcourir. Syllhana monta en selle, se dirigeant vers l’inconnu, une résolution inébranlable dans son cœur.

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